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samedi, mai 05, 2007

53- Francophonie? Tahar BEN JELLOUN


Extraits d'un bel article de TAHAR BEN JELLOUN paru dans LE MONDE DIPLOMATIQUE de ce mois de Mai 2007

Ces « métèques » qui illustrent la littérature française

On ne parle pas le francophone

Les mots se jouent des visas pour entrer dans la littérature. La littérature française est donc celle que construisent tous les auteurs qui s’expriment en français, où que ce soit dans le monde. A cet égard, le qualificatif de « francophones », pour désigner les écrivains ressortissant d’autres pays que la France, et les œuvres qu’ils produisent, est non seulement absurde, mais aussi blessant. Ne fait-il pas penser aux tentatives d’instaurer une hiérarchie entre les Français dits « de souche » et les autres, pourtant tous citoyens égaux en droits ?

Par Tahar Ben Jelloun

Pourquoi la cave de ma mémoire, où habitent deux langues, ne se plaint jamais ? Les mots y circulent en toute liberté, et il leur arrive de se faire remplacer ou supplanter par d’autres mots sans que cela fasse un drame. C’est que ma langue maternelle cultive l’hospitalité et entretient la cohabitation avec intelligence et humour.

Ainsi, que de fois il m’est arrivé, en écrivant, d’avoir un trou, un vide, une sorte de lacune linguistique. Je cherche l’expression ou le mot juste, mot parfois banal, et je ne le retrouve pas. La langue arabe, classique ou dialectale, vient à mon secours et me fait plusieurs propositions pour me dépanner. Ces mots arabes, je les écris dans le texte même, en attendant que ceux qui m’ont lâché reviennent. C’est une question d’humeur, de fatigue ou d’errance.

Oui, il m’arrive de céder à une errance dans l’écriture comme si j’avais besoin de consolider les bases de mon bilinguisme. Je fouille dans cette cave, et j’aime que les langues se mélangent, non pas pour écrire un texte en deux langues, mais juste pour provoquer une sorte de contamination de l’une par l’autre. C’est mieux qu’un simple mélange ; c’est du métissage, comme deux tissus, deux couleurs qui composent une étreinte d’un amour infini.

Cette situation est simplement fabuleuse. Personne ne peut affirmer que cette appartenance à deux mondes, à deux cultures, à deux langues n’est pas une chance, une merveilleuse aubaine pour la langue française. Car c’est en français que j’écris et, pour des raisons de choix et de défi, je ne me suis jamais senti prédisposé à créer en langue arabe classique. Malheureusement je ne maîtrise pas cette langue, belle, riche et complexe. Une question de hasard et d’histoire. Il aurait fallu tôt s’investir entièrement dans cette langue pour pouvoir l’utiliser et en faire l’expression privilégiée de mon imaginaire, avec l’ambition de raconter des histoires qui sont autant de desseins humains ; je savais cependant, comme le dit un personnage de Tandis que j’agonise, de William Faulkner, que « les mots ne correspondent jamais à ce qu'ils s'efforcent d'exprimer".

Dès l'école primaire, je me suis trouvé...

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