C'est bien connu, le monde littéraire français, ou plutôt parisien, raffole des polémiques et des coups de gueule. Il vient d'être servi avec les sorties récentes de Yasmina Khadra, lequel clame à qui veut l'entendre que « toutes les institutions littéraires » se seraient liguées contre lui. Dans un entretien accordé au quotidien Le Parisien, l'écrivain algérien s'est ainsi emporté contre le fait que son dernier roman, « Ce que le jour doit à la nuit », a été exclu de toutes les sélections pour les traditionnels et très médiatisés prix d'automne (1).
L'actuel directeur du Centre culturel algérien à Paris, et aussi officier des Arts et des lettres et chevalier de la Légion d'honneur (pour ne citer que ses distinctions françaises), n'obtiendra pas le prix Goncourt, pas plus que les prix Renaudot, Médicis ou Interallié. On peut comprendre qu'une telle déconvenue lui provoque quelques urticaires, d'autant que son livre semble bien se vendre. Mais il n'est certainement pas le seul dans ce cas. A chaque rentrée littéraire, nombreux sont les auteurs, talentueux ou non, qui espèrent être distingués mais, loi du nombre oblige, très peu sont comblés. Du coup, cette foire aux vanités, car c'est bien de cela qu'il s'agit, amène toujours son lot de commentaires aigres-doux, voire de révélations à propos des arrangements et des combines entre éditeurs influents (« je vote pour ton auteur pour tel prix, tu voteras pour le mien pour tel autre »). En clair, cette distribution de lauriers, qui est souvent synonyme de ventes accrues (quand il n'a pas d'idée de cadeau de Noël, monsieur Dupont offre le dernier Goncourt à Bobonne ou à Mémé...), mérite amplement d'être critiquée et, quoi qu'on pense des romans et du style de Yasmina Khadra, on peut admettre avec indulgence qu'il soit déçu de ne pas faire partie du crû 2008.
Mais là où les choses se corsent, c'est lorsqu'on examine les arguments qu'il martèle. A l'écouter, il serait privé de prix malgré son propre itinéraire qu'il affirme être exceptionnel. « Les gens pensent que ça a été facile pour moi de devenir écrivain, a-t-il expliqué au Parisien. Ils n'ont rien vu de mon parcours. J'ai été soldat à l'âge de 9 ans. J'ai évolué dans un pays où l'on parle de livres mais jamais d'écrivains et dans une institution qui est aux antipodes de cette vocation. On devrait me saluer pour ça ! ».
Voilà une sortie égotique dont on se demande quel rapport elle présente avec les prix littéraires. Qu'ils soient ou non arrangés, ces derniers récompensent avant tout un livre, ce qui signifie que Khadra aurait pu se contenter de dire « mon livre est bon, je ne comprends pas pourquoi il n'est pas sélectionné ». A l'inverse, le voici qui insiste sur sa vie et sur le fait qu'il est devenu écrivain malgré le fait d'être passé par l'armée algérienne. Et de laisser entendre qu'il serait victime d'un racisme qui ne dit pas son nom, argument facile qui est toujours à double tranchant et qui ne peut que mettre mal à l'aise.
Le plus étonnant dans l'affaire, c'est que Khadra dit se sentir « disqualifié » par son absence sur la liste des prix. La question est simple. Pourquoi écrit-il ? Ou plus exactement, que recherche-t-il ? La reconnaissance de ses lecteurs ou les ors d'un milieu fermé où les rivalités le disputent aux jalousies ? « Celui qui se pince le nez devant moi, je lui crache dessus », dit le dicton, et ce serait l'attitude la plus logique que devrait adopter cet écrivain. Pourtant, on a l'impression qu'il désespère de plaire à ceux qui lui signifient qu'il n'est pas des leurs.
Il y a donc quelque chose de pathétique à voir Khadra se plaindre de ne pas être aimé par le milieu littéraire parisien et à l'entendre répéter que son parcours devrait lui amener admiration et considération de la part des jurés des prix. On se sent même gêné en l'écoutant égrener ce qu'il pense être des arguments imparables, à savoir le fait qu'il a été traduit aux quatre coins de la planète, qu'il a fait la guerre aux terroristes ou qu'il a reçu, ici et là, telle ou telle récompense. Complexe vis-à-vis de madame la France ? Ego surdimensionné ? Il y a sûrement des deux et l'on en sera un peu plus convaincu en relisant ses déclarations pour le moins étonnantes au quotidien montréalais La Presse (2) : « Je suis l'un des écrivains les plus célèbres au monde. Je suis plus connu que l'Algérie ! (sic). Je suis allé en Italie en visite officielle avec le président algérien: je suis passé à la télé, pas lui ! ». Sans commentaire... On pourrait gloser sans fin sur cet orgueil hypertrophié mais on peut aussi rappeler les mots d'Albert Camus, cet écrivain que Khadra affirme admirer. « Ce qu'ils n'aimaient pas en lui, c'était l'Algérien », avait écrit l'auteur de L'Etranger en parlant du petit monde germanopratin. C'est peut-être aussi le cas pour Khadra. Cela signifie que cela ne changera pas, que l'appréciation que lui porte le milieu littéraire parisien restera la même. Mieux, tout changement pourrait paraître suspect. Si dans un an ou deux, Khadra reçoit un prix littéraire, on ne manquera pas de faire le lien avec son coup de gueule passé et ses « amis » parisiens n'hésiteront pas à parler de consolation ou de compensation. Reste enfin un autre point que l'on ne peut éluder. Il est évident que nombre de personnalités influentes du tout-Paris littéraire ont des préventions à l'encontre de Khadra en raison de son passé militaire. Il est vrai aussi que des écrivains algériens ont contribué en sous-main à sa diabolisation. Et il faut bien rappeler que cette image négative a été confortée par sa nomination à la tête du Centre culturel algérien de Paris. Qu'il le veuille ou non, et quoi qu'il en dise, ce poste est synonyme d'appartenance au système algérien. Un système que Khadra défend et critique à la fois. La vérité est qu'on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Face à un système qui a mis l'Algérie à genoux, un écrivain ne peut louvoyer et être « in et out » sans en payer le prix. C'est aussi cela qui vaut à cet écrivain l'ostracisme dont il semble tant souffrir et avec lequel il devra apprendre à vivre.
1- Le coup de gueule de Yasmina Khadra, Le Parisien, 20 octobre 2008.
2- Les fantômes de l'Algérie perdue, La Presse, 28 septembre 2008.
par Akram Belkaïd
Le Quotidien d'Oran, jeudi 30 octobre 2008
______________
Ci-après l'article sur l'éternel ex militaire pleurnichard
JAMAIS il n’aurait pensé qu’un jour l’ennemi aurait été aussi invisible. Au moins, dit-il, quand il risquait sa peau face aux intégristes, slalomant entre les horreurs de la guerre, ramassant ses compagnons « à la petite cuiller », l’ex-officier supérieur de l’armée algérienne Mohammed Moulessehoul ne pouvait s’en prendre qu’à la logique de la guerre. Mais là, celui qui est devenu aujourd’hui Yasmina Khadra, l’auteur d’une oeuvre littéraire reconnue dans le monde entier et dont le dernier roman, « Ce que le jour doit à la nuit »*, est l’un des best-sellers de la rentrée, fulmine .
Il se sent pire que menacé de mort. « Disqualifié ! siffle-t-il entre ses dents en évoquant son absence sur les listes des prix. Toutes les institutions littéraires se sont liguées contre moi. Ça n’a pas de sens ces aberrations parisianistes ! Les gens pensent que ça a été facile pour moi de devenir écrivain. Ils n’ont rien vu de mon parcours. J’ai été soldat à l’âge de 9 ans. J’ai évolué dans un pays où l’on parle de livres mais jamais d’écrivains et dans une institution qui est aux antipodes de cette vocation. On devrait me saluer pour ça ! J’écris dans une langue qui n’est pas la mienne, avec ma singularité de Bédouin. C’est la poésie de mes ancêtres qui lui donne cette teinte que certains me reprochent. Ils ne savent pas que la langue française peut tout dire, parler d’infinitude. Ils trouvent ça ringard. Pauvre Victor Hugo ! »
« Je ne pense pas pouvoir écrire un livre meilleur que celui-là »
De fait, son nouveau roman (qui figure depuis huit semaines dans les meilleures ventes de la rentrée) aurait mérité d’apparaître sur les listes des jurys. L’auteur de « l’Attentat » y raconte, des années 1930 à aujourd’hui, la trajectoire de Jonas, fils de paysan élevé par son oncle dans les beaux quartiers d’Alger, puis habité par un amour impossible. C’est aussi le portrait d’une Algérie déchirée entre ses communautés. « Ce livre, je le porte en moi depuis 1982. Ce n’est pas seulement une histoire de l’Algérie coloniale, c’est aussi une réplique aux travaux de mon idole, Albert Camus.
Il n’a traité que de son Algérie à lui, son jouet d’enfant, de petit pied noir. Il n’est jamais allé de l’autre côté. C’est ce côté-là que j’ai raconté, celui des pieds noirs, des racistes, des gens bien, l’Algérie dans sa globalité. » Il laisse passer un temps puis : « Je ne pense pas pouvoir écrire un livre meilleur que celui-là. »
Il est midi. Un soleil baigne le bureau où l’écrivain nous accueille, à l’Institut culturel algérien. Il reçoit ici des romanciers, des peintres, qu’il essaie d’aider. « Si je peux sauver deux ou trois talents, soupire-t-il ; et surtout leur apprendre à s’aimer… C’est fou, ils se détestent tous, les uns les autres.
» Rien n’est simple. Nulle part.
La conversation court sur son pseudonyme féminin. « J’étais en opération dans les maquis intégristes et chaque soir je devais appeler ma femme pour la rassurer.
Je pensais que je n’allais pas sortir vivant de cette guerre. Un soir, elle m’a dit, tes amis français demandent ta carte d’identité . Mon éditeur voulait un nom. Elle a donné ses prénoms. »
On lui dit que ses livres prennent parfois le risque d’un trop-plein de détails. « J’aime le détail. Ils vous conduisent au plus près du problème. C’est ce dont j’ai peut-être hérité de ma vie d’enfant soldat. Nous étions enfermés dans une caserne. Une forteresse. Le dimanche matin, nous sortions dans la ville. On nous mettait en colonne. Tout le monde s’arrêtait pour nous regarder passer. C’est là que tout me sautait aux yeux. J’étais comme une éponge. »
Pierre Vavasseur, Le Parisien, 20 octobre 2008