L’association SALON-DJEZAIR a organisé hier samedi à 18 heures une rencontre autour de « Présence invisible » un recueil de photos de Chibanis prises par Kamar Idir accompagnées de textes écrits par Dominique Carpentier. Après la présentation de l’association SALON-DJEZAIR par sa présidente Keltoum Staali, la parole est donnée à Dominique Carpentier qui détaillera dans le menu la lutte dans le centre de Marseille des vieux travailleurs maghrébins pour recouvrer leur dignité. Kamar Idir « ne travaille pas ‘sur’ les Chibanis. Il discute avec eux, les regarde, les écoute, les entend et les fait entendre. ‘Les Chibanis ne me parlent pas, ils me racontent’. Pas un jour ne se passe sans qu’il ait une pensée pour eux, pas une semaine sans un mot pour eux, dans l’émission qu’il anime le jeudi après-midi sur Radio Galère. De la Présence invisible de ces ‘cheveux blancs’ côtoyés sans être remarqués » Un pot amical est offert à la suite de la rencontre. L’association SALON-DJEZAIR envisage de se rapprocher du foyer d’immigrés (Adoma) de Salon de Provence pour leur faire bénéficier de l’exposition, même si quelques-uns de ces résidents ont promis de se rendre à la librairie Le grenier d’abondance pour voir l’exposition photos où elle se trouve jusqu’au 11 décembre.
____________________________
__________
Le site de l’association ARTRIBALLES
http://www.artriballes.com/?page_id=87
______________________________________
http://www.med-in-marseille.info/spip.php?article109
Kamar Idir respire l’art de la mémoire
Publié le 27 mars 2008, mise à jour le 2 avril 2008 par Anne Auréli
Alger, Marseille, Arabie Saoudite, Koweït City,… Il a vu les hommes et la terre trembler face à l’inhumanité. A bientôt 50 ans, l’artiste-journaliste-photographe « franco-algérien » agrafe toujours l’histoire des migrations aux souvenirs des Marseillais. Et, à travers son association Artriballes, tente d’insuffler aux plus jeunes son goût de la tolérance et de l’équité. Nous lui avons tiré le portrait…
Quand on se plonge dans la vie de Kamar Idir, on se doit de plonger dans le passé croisé de l’Algérie et de la France. Dans l’histoire de l’entre-deux rives, de vies distendues, déchirées, traversées par la Méditerranée. Car, observateur affranchi, il en est le témoin exceptionnel.
C’est dans son atelier du Domaine Ventre, dans les entrailles de la rue d’Aubagne à Marseille, qu’une discussion apaisée s’engage avec ce peintre, sculpteur, photographe, qui eut gratté la plume sur le papier, et grave encore les sons de la mémoire sur son MD [1].
Proches et loin de la rumeur du centre-ville, où je l’ai rencontré il y a plus de deux ans. Je travaillais alors sur les problèmes administratifs subis par les Chibanis, ces migrants du Maghreb vieillis là, au destin ingrat, après des années de labeur.
Lui, en bleu de travail, bonnet vissé sur ses longues boucles noires et chèche noué en écharpe, ne travaille pas « sur » les Chibanis. Il discute avec eux, les regarde, les écoute, les entend et les fait entendre. « Les Chibanis ne me parlent pas, ils me racontent ». Pas un jour ne se passe sans qu’il ait une pensée pour eux, pas une semaine sans un mot pour eux, dans l’émission qu’il anime le jeudi après-midi sur Radio Galère. De la Présence invisible de ces « cheveux blancs » côtoyés sans être remarqués, il a tiré en 2005 une exposition. Photos en noir et blanc de gens mis au banc [2].
Esthétique anti-conventionnelle
Focalisé sur l’autre, Kamar conte à merveille la vie des autres. Cependant lorsqu’il s’agit de se raconter lui, le message devient presque subliminal. De l’art de lire entre les lignes, entre les droites imparfaitement parallèles d’une vie alambiquée.
Fin 58, en pleine guerre, il pousse son premier cri dans la Casbah d’Alger. Quatre ans plus tard, l’indépendance est proclamée. Jeunesse passée entre la capitale algérienne et la Kabylie, du côté du village de Timerzouga où se trouve une partie de sa vaste, « incroyable et ouverte » famille. Une région qui constitue une « réserve naturelle » d’artistes, plaisante-t-il.
L’autodidacte, qui a tôt « fuit » son rôle d’écolier, n’a pourtant jamais cessé d’apprendre. Il est le seul de sa fratrie que le patriarche n’envoie pas étudier à l’étranger. Tandis que ses frères planchent en URSS, en Hongrie, ou aux Etats-Unis, il entame une formation d’ébéniste, dispensée par des professeurs allemands. Inachevée. « Je ne pouvais pas rester enfermé, j’avais besoin d’aller à la rencontre des gens, d’être libre ». Il enchaîne stages et petits boulots et devient reporter pour différents titres de la presse algéroise. En 1986, il entre aux Beaux-arts. Encore des études qu’il ne validera pas, mais qui constitueront un tremplin. Toutefois, ce lieu de vie du monde artistique l’accapare, et durant plusieurs années, il en hante les couloirs. De son passage dans la prestigieuse école, il conserve un penchant pour l’esthétique. Et l’une de ses passions : la photo.
Une guerre, des guerres
À la suite des émeutes de la jeunesse algérienne, à l’automne 88, le fan de cinéma documentaire participe à la fondation, avec Chafik Abdi et Fathi le caricaturiste, du premier quotidien émancipé du pouvoir. Le Jeune Indépendant est en kiosque en mars 90. Dans un récent entretien – retranscrit par Gilles Suzanne, docteur-chercheur en sciences sociales – Kamar définit son activité de l’époque ainsi : « se déplacer dans le pays à la rencontre des femmes villageoises, des populations rurales, des jeunes banlieusards… Pour mettre en débat les enjeux politiques, sociaux et économiques qui traversaient l’Algérie ». Un peu plus tard, tandis que la tension monte, il co-crée l’agence photo Mirage, dans l’optique constant de fournir une information pertinente, déliée de toute censure. La première Guerre du Golfe éclate. Il est l’un des seuls journalistes algériens à partir couvrir le conflit en free lance. Sans papiers ni autorisations, dans une semi inconscience, juste « parce qu’il fallait le faire ».
Puis la situation dans son pays prend vite un tour insupportable, nauséabond même. « Nous sentions l’odeur de la mort rôder », glisse Kamar sans être sûr que je puisse comprendre, ou ne serait-ce qu’imaginer un drame que je n’ai pas vécu. En 94, les massacres. S’il n’est pas directement menacé, le journaliste voit des confrères mourir ou disparaître, quand ils ne sont pas arrêtés [3] . Un ami photographe tout juste rentré d’Espagne, le directeur des Beaux-arts et son fils… Aussi bien critique envers les fondamentalistes qu’envers le pouvoir et l’armée, Kamar dérange potentiellement. Apeurée, la famille Idir le presse de partir. Ce qu’il fait, avec Fathi.
« Aujourd’hui, mon combat, il est là »
Le Berbère, dont sa « religion est dans [sa] tête », débarque sur le Vieux continent, et transite à Milan, en Italie. Grâce à ses relations, il y travaille durant six mois. Il aurait pu choisir la Suisse, et obtenir le statut de réfugié politique que lui offrait le premier conseiller de l’ambassadeur helvète en place à Alger. Le photographe dédaigne ce pont d’or. En France, à peine arrivé, de grandes agences telle Gamma lui proposent de fixer sur pellicule les événements qui ébranlent l’Algérie. Il refuse tout net. Et entame une longue tournée qui le mènera un peu partout en Europe, enchaînant conférences et expositions.
Enfin, Kamar Idir se fixe à Marseille, où il découvre « un autre combat », pour « la communauté maghrébine en général et la communauté algérienne en particulier ». Car du fait de l’histoire, « il reste comme une tache noire sur les relations entre nos deux pays », dont on n’arrive pas à parler, qu’on n’essaie pas de dépasser.
L’image d’une France prospère, véhiculée au bled par l’un de ses oncles exilés et idéalisée, prend rapidement du plomb dans l’aile. Son oncle bûche en fait dans la mine et dort dans un foyer Sonacotra. « Les vieux, le logement, les enfants dans des écoles ghettoïsées… Je trouvais qu’il y avait des injustices, un mal-vivre, un racisme fin, un manque d’espace. Je me suis demandé ‘Pourquoi accepter de vivre dans de telles conditions ?’ ». Kamar veut comprendre : « de qui, de quoi ont-ils peur ? ». Il se met à lire, à étudier l’histoire depuis l’Empire ottoman jusqu’à la colonisation et ses conséquences.
Son émission radio consacrée à l’Algérie (virulente, elle a été suspendue un temps, après qu’une pétition a circulé. Il faut dire qu’il avait « dépassé les limites ») devient le porte-voix des plus démunis, des plus à la marge. Radio Galère… Sa « secte », comme il l’appelle. Beaucoup de ses amis sont « rouges ». L’extrême gauche ne l’a somme toute « pas endoctriné » : « j’ai lu Trotsky, j’ai lu Marx. Mais je ne suis pas d’accord ».
Avec Dominique, sa femme, il crée l’association Artriballes. Il y offre des ateliers d’arts plastiques aux enfants du quartier et d’ailleurs. Elle y donne des cours de trapèze aérien. Objectif : « leur transmettre la connaissance de leur histoire et de leur société ». Avec des mômes de Félix Pyat, Kamar conçoit des poupées Aghandja [4] articulées. Avec d’autres encore, des caravanes, des roulottes en matériaux de récup’, sur le thème du nomadisme. Engagé dans la lutte pour le droit de tous de disposer d’un logement digne, il a à ce titre suivi les Gitans de la Renaude, dans les quartiers nord. « Aujourd’hui, on nous parle de vivre ensemble, de métissage, pourtant dans certains quartiers on ne peut parler que de ghettos ».
Le bateau… Mon pays
Mais sa rage, sa plus grande rage, reste le sort dévolu aux Chibanis. En recueillant leur témoignage, en le diffusant, en immortalisant leur image, Kamar espère se faire « l’écho d’une histoire commune » en passe de sombrer dans l’oubli. « Je les laisse venir à moi », dit-il. « Parfois ils sont de bonne ou de mauvaise humeur, alors je prends le temps, je ne déclenche pas, je n’enregistre pas ». Il leur pose simplement les mêmes questions existentielles que lui-même s’est posé : « D’où viens-je ? Où vais-je ? ». « D’où venez-vous, où allez vous ? ».
Le photographe préserve l’intimité des Chibanis. N’a, sauf une fois, « jamais pénétré dans les chambres insalubres, pour un cliché ». Kamar préfère « faire parler » l’image, sentir dans sa composition « une atmosphère, un échange ».
« Chamboulé, cassé » par ce qu’il voit, ce qu’il entend, Kamar en néglige parfois de dormir la nuit. Passe des heures à dresser l’oreille pour capter un reportage de France Culture, ou d’Inter. « Les vieux, ils ne comprennent pas que la main-d’œuvre, ça part de son pays et ça y revient. C’est comme ça ». Nulle part chez eux, à part sur le bateau.
Et toi, Kamar, tu y retournes au « pays » ? De loin en loin, « de temps en temps ». Il ramène toujours quelque chose à ses sœurs, prend des nouvelles régulièrement de la famille. Se réinstaller en Algérie ? « Je vis ici. Je ne fais en aucun cas marche arrière ».
« Impossible » de lui coller lieu ou étiquette. Libre, Kamar Idir. L’homme presque demi centenaire, à qui quinze ans de moins iraient très bien, l’humble et « jeune indépendant » de l’art a encore bien des combats à mener.
[1] Mini Disc enregistreur
[2] On doit à Kamar Idir plusieurs expositions dont « Marseille-Alger, Alger-Marseille », ou encore « Présence Invisible ». Un recueil de photos qu’accompagneront des témoignages de Chibanis devrait bientôt voir le jour.
[3] « 57 journalistes ont été assassinés entre 1993 et 1996. Une quarantaine d’autres employés des médias ont également trouvé la mort au cours de ces années noires », selon un rapport de Reporters Sans Frontières, datant de 2003.
[4] Poupées en forme de louche en bois, vêtues d’habits traditionnels berbères, utilisées lors de rites agraires ancestraux.
______________________________________
http://www.rougemidi.org/spip.php?article3600
22.12.2008
Où l’on reparle, grâce à un livre beau par ses photos et touchant par ses témoignages, de la lutte des chibanis de Marseille.
Depuis la fin du XIXe siècle, les entrepreneurs français sont venus faire leur marché dans les colonies. L’esclavage est depuis longtemps aboli et c’est pourtant sur des critères physiques qu’ils iront chercher ces travailleurs de l’autre côté de la Méditerranée.
Dans les années 50 et 60, le besoin de main d’œuvre est tel que des centaines de milliers de travailleurs débarquent en France (il y aura 1,4 millions de régularisation entre 1958 et 1974). Après 30 ou 40 ans de labeur, ces damnés du “miracle économique” sont vieux, fatigués et présentent souvent des pathologies liées à leurs activités professionnelles.
Ils sont pourtant devenus indésirables, parce qu’“inutiles”.
À travers de multiples témoignages, ils racontent leur venue en France, leurs années de travail, leurs conditions de vie, mais aussi leurs joies, la musique qu’ils aiment et leur rapport au pays d’origine.
Kamar Idir, lui même ayant fui l’Algérie de la “casquette et de la barbichette”, est photographe. Il a couvert la guerre du Golfe, pas celle de Bush junior, mais celle de son père et de François Mitterrand, en 1991… Il a aussi réalisé de nombreux reportages en Algérie, jusqu’à l’assassinat de ses proches. À Marseille depuis 1994, il déchante quant au sort réservé aux travailleurs immigrés. C’est presque par hasard qu’il découvre le bidonville de la rue des Petites Maries, en plein cœur de Marseille, dans le quartier Belsunce.
Les cabanes sont habitées par de vieux travailleurs, tous issus du même village : Bouzeguène. Cette découverte se fait alors que le quartier est en pleine réhabilitation et que le relogement des habitants n’est assuré que grâce à leur résistance. Une association est créée : “Un centre ville pour tous”, alors que le “comité chômeurs CGT” poursuit, par d’autres moyens, sa lutte contre les expulsions. Kamar, lui-même Kabyle, se lie très rapidement avec les anciens qu’il photographie et dont il enregistre les témoignages. En 2005, alors que Nicolas Sarkozy est ministre des Finances, 4 000 “chibanis” se voient privés de leurs feuilles d’imposition, et par conséquent de leurs droits à toucher le minimum vieillesse et à pouvoir bénéficier d’une couverture médicale. Sous le prétexte de lutter contre la sur occupation frauduleuse des hôtels meublés, cette mesure donne un sacré coup de pouce à l’opération “nettoyage” de Jean-Claude Gaudin.
Mais, là aussi, la résistance s’organise et aux côtés de “centre ville pour tous”, une autre association prend la défense des anciens, spoliés de leurs droits : “Le Rouet à cœur ouvert”. Le quartier du Rouet est lui aussi livré aux promoteurs, placé en “zone d’activité concertée”. En fait, il s’agit de raser des rues entières du dernier îlot populaire de l’arrondissement, pour construire des immeubles de luxe vendus à plus de 4 000 € le m2. Avant l’action des pelleteuses, Kamar rencontre les habitants des hôtels meublés de la rue Alcazar et ceux de la rue du Rouet, vivant dans d’anciens poulaillers. Tous sont originaires du Maghreb (Algérie et Tunisie)), et la plupart anciens travailleurs du bâtiment.
Dominique Carpentier, journaliste pour quelques titres de la presse locale, est aussi militant du comité chômeurs CGT, et principalement mobilisé sur les questions du logement. Il rencontre Kamar au cours d’une manifestation où il découvre son travail photographique. De cette rencontre naîtra le désir de faire un livre pour raconter en texte et en images la lutte des “chibanis”. Ils suivront alors ensemble les anciens, jusqu’à ce que des solutions de relogement leur soient proposées. Décryptage des bandes son et choix des photos constitueront alors leur travail jusqu’à la réalisation du livre : “Présence invisible”. Mais cette publication n’est qu’une étape pour redonner vie et dignité à ces “oubliés”, chassés des mémoires après avoir construit les principales infrastructures de la ville. Elle doit être l’occasion d’organiser conférences et débats, mais aussi de poursuivre la lutte contre la chasse faite aux pauvres dans une ville restée populaire…
Présence invisible - Photographies de Kamar Idir, textes de Dominique Carpentier
Éditions Artriballes 92 pages - 18 €