Des dizaines de morts ces derniers jours dans plusieurs pays... Assassinats commis par les hordes barbares se réclamant de l'Islam...
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Face aux massacres des nouveaux barbares, nous ne pouvons nous contenter d’ingurgiter des images aussi atroces les unes que les autres et nous plaire dans des bavardages sans fin. Des actions de tous ordres et de tous niveaux sont nécessaires. J’ai longuement réfléchi à la part qui pourrait être la mienne, auprès d’autres volontés. A la suite de Ghaleb Bencheikh, je pense qu’il ne s’agit pas de nous « plier à une quelconque injonction » ni de répondre à une « sommation de nous désolidariser » des assassins se réclamant de l’Islam. Il y va de notre honneur de préparer, de participer à une action d’envergure pour dire haut et fort notre dégoût, notre révolte face à ceux qui, au nom de notre religion, accomplissent les pires atrocités.
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Adnan Ibrahim sur Al- mayadin TV |
ADNAN IBRAHIM _ A
ADNAN IBRAHIM _ B
ADNAN IBRAHIM _ C
Le film complet se trouve ici:
https://www.youtube.com/watch?v=sEanxZOTA5s
JDD_ 19 avril 2015
Adnan Ibrahim, l'imam qui dénonce les barbares
Né à Gaza, prêchant à Vienne, en Autriche, cet imam séduit
sur Internet des milliers de jeunes musulmans en Europe et jusqu’en Arabie
saoudite par son réformisme et sa tolérance.
Je sais que je suis sur la liste de
Daech, c'est un risque que j'assume." Il a l'air à la fois désolé et
déterminé. "Ils veulent m'abattre et peuvent me tuer, mais je ne
m'arrêterai pas." Le 9 janvier, du haut de sa chaire, Adnan Ibrahim
ne s'est pas seulement adressé à ses frères dans sa modeste mosquée de
Leopoldstadt, dans la banlieue de Vienne. Il visait, par caméra interposée, les
dizaines de milliers de jeunes musulmans qui se connectent en Europe et au
Moyen-Orient sur Facebook et YouTube pour l'entendre. Le soir même de l’assaut
de la police contre l’Hyper Cacher de Paris, Adnan Ibrahim, en costume cravate,
dénonce les "barbares" : "En tant que musulmans, nous nuisons à
notre image, nous donnons à voir celle du terroriste tueur, quelle
insulte!" Effets de manches pour un avocat sans robe, le phrasé éloquent,
il continue de haranguer ses fidèles en éducateur. "Ceux qui s'explosent
au milieu des foules n'ont pas compris grand-chose, ils n'ont pas appris
l'islam, ils ne savent rien. C'est un fanatisme vil comme celui des croisés du
Moyen Âge!"
Il dévore Newton, Darwin et Freud
À l'image
de ces prêtres-ouvriers des années 1970, l'imam palestinien au passeport
autrichien ne porte aucun signe distinctif de sa religion ou de son métier de
pasteur des âmes. Sa barbe est bien taillée, rien à voir avec celle des fous de
Dieu qui la laissent pousser pour respecter la consigne du Prophète. Contrairement
à l'un de ses amis qui l'accompagnent en ce début avril lors d'une escale
parisienne, il n'a pas non plus cette petite bosse au milieu du front qui
témoigne de longues heures à prier la tête contre le sol. "La prière,
c'est d'abord entre soi et Dieu", murmure-t-il. "La religion, c'est
dans le cœur que ça se passe", insiste-t?il. Il rappelle alors que depuis
le plus jeune âge il a compris que la mosquée n'était pas le meilleur endroit
pour cultiver sa foi, il préfère le secret de son âme. "Cela vous ennuie
qu'on ose vous comparer à un Luther de l'islam?", lui demande-t on avec un
rien de provocation. "Pas le moins du monde, même si la Réforme est un
arbre avec beaucoup de branches…"
Adnan
Ibrahim n'a jamais cessé d'apprendre la différence. À Gaza, enfant, son père
lui avait enseigné que l'islam visait d'abord à "la pureté du cœur".
Entre l'éducation religieuse traditionnelle et celle dispensée dans les écoles
et collèges de l'Unrwa, l'agence des Nations unies en charge des réfugiés
palestiniens, Adnan se jette à corps perdu dans les livres que l'on ne peut ou
que l'on ne doit pas lire. Adolescent, il dévore Newton, Darwin et Freud,
s'initie à la psychologie et refuse de se laisser embrigader dans les factions
palestiniennes. Non parce qu'il serait insensible à la violence des soldats
israéliens jusque dans les maisons de son camp de Nuseirat, mais parce que
l'éducation lui paraît "prioritaire". Adnan Ibrahim aurait pu devenir
un fantassin du Hamas, plein de haine pour l'occupant, ou un collabo de Tsahal,
l'armée israélienne, pour rapporter quelques shekels à sa famille.
Le père
est un homme du peuple qui a fait tous les petits métiers : chauffeur de taxi à
Gaza, commis boucher et même ouvrier dans une usine en Israël. Adnan a une
dévotion pour ce père qui ne porte ni la barbe ni l'habit, ne s'embarrasse pas
de symboles mais vit sa foi dans la simplicité du quotidien : aimer son
prochain, servir l'autre. Le fils retient d'une leçon paternelle qu'être beau,
intelligent et pieux ne sert à rien si c'est pour insulter sa mère et se
comporter avec arrogance.
Une mosquée pleine à craquer en quelques années
Un jour,
devenu imam, il choquera au plus haut point en demandant à Dieu de bénir un
soldat israélien qui s'était suicidé après avoir, vainement, plaidé auprès d'un
officier qu'une Palestinienne puisse franchir un check-point afin d'accoucher
à l'hôpital. "Les Juifs sont nos cousins, plaide Adnan. Et tous ceux qui
instrumentalisent le conflit israélo-palestinien en une guerre de religions
font du tort à notre islam."
Et le
djihadisme? Faut-il le combattre? Par quels moyens? L'imam estime qu'il n'y a
pas d'autre choix que de se défendre si ceux d'en face prennent les armes.
"Toutefois, la meilleure façon de contrer ces fanatiques, c'est d'offrir
un discours alternatif. Si l'on utilise la force physique, on peut les vaincre
une ou deux fois, mais tant que les causes de ce mal persistent, rien ne sera
réglé." D'où l'engagement pris par Adnan Ibrahim de dissuader les jeunes
de rejoindre les djihadistes.
La femme est l'égale de l'homme
"Les
réformistes ne sont en général pas bien accueillis par les jeunes musulmans parce
que leur discours n'est pas suffisamment religieux, confie Adnan. Moi, je leur
offre une base spirituelle solide, je dissèque un par un les arguments
coraniques développés par les djihadistes pour les réconcilier avec le message
originel de l'islam." Surprise, parmi les pays où ses thèses sont le mieux
reçues figure l'Arabie saoudite, comme si les jeunes sujets du roi Salmane ne
se retrouvaient plus dans "cet État déconnecté de la réalité". Mais
c'est aussi à Riyad que l'imam palestinien est qualifié d'apostat parce qu'il
ose "prêcher la miséricorde plutôt que la confrontation".
À Vienne,
lorsqu'il est arrivé, les jeunes musulmans de la capitale autrichienne étaient
en majorité séduits par le salafisme. En quelques années, sa mosquée, au
départ désertée, est devenue pleine à craquer. "Il faut redonner aux
jeunes leur liberté de conscience", argumente Adnan. "J'ai beaucoup
appris de la Réforme chrétienne", ajoute celui qui cite également
volontiers saint Thomas d'Aquin et saint Augustin. "Je comprends aujourd'hui
qu'il n'est pas si important d'aller vers l'autre avec ce que je suis que de
répondre à ses besoins, c'est tout le contraire du prosélytisme."
Remarquant
au passage que cela ressemble aussi à la manière dont le pape François rappelle
aux catholiques le sens premier des Évangiles, Adnan compare tel hadith
enseigné par le Prophète avec une parabole de Jésus : "Ce que vous avez
fait au plus petit d'entre vous, c'est à moi que vous l'avez fait."
Hérétique?
Iconoclaste? Ou tout simplement libre? Adnan Ibrahim ose prétendre que la femme
est l'égale de l'homme et qu'elle peut hériter avec égalité de droits, que la
démocratie est compatible avec un islam ouvert. Pas étonnant que la police
autrichienne surveille de loin ce réformiste de l'islam et s'étonnerait même de
le voir jusqu'ici épargné par des attentats commandités par ses ennemis. Comme
s'il était "protégé" de plus haut…
François Clemenceau
- Le Journal du Dimanche
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Wikipedia:
Plus d'infos ici:
http://www.adnanibrahim.net/?lang=en
Et sur Facebook:
https://www.facebook.com/FrAdnanIbrahim
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EL WATAN 20 juin 2015
Chronique. Ghaleb Bencheikh(*)
Pourquoi sommes-nous arriérés ? (**)
La vie des hommes est cyclique, rythmée par des repères dans le temps.
Ces repères ponctuent les activités humaines, alternées qu’elles sont, par des
moments de repos et d’autres d’intense labeur.
Il en est de même de la pratique rituelle dans les
traditions religieuses. Les rites ont aussi un lien avec l’écoulement du temps
et s’y inscrivent. Aussi la lunaison Ramadhan pour les musulmans est-elle un
temps particulier, attendu avec ferveur et joie par les uns, appréhendé par les
autres.
Mais, il n’en demeure pas moins que c’est un temps
déterminé avec des spécificités propres. J’essayerai, pour ma part, de le
mettre à profit afin d’introduire quelques réflexions soumises à la sagacité
des lecteurs d’El Watan reproduisant une expérience heureuse – pour moi.
Et je sais gré à la rédaction du journal d’ouvrir ses
colonnes à la rencontre des idées, à la circulation des concepts, à la
confrontation des points de vue et au partage des représentations du monde. Il
s’agit de contribuer aux débats existants et d’en susciter d’autres avec, à la
fois, l’humilité requise de ne pas se croire seul dépositaire de la vérité
absolue et la liberté de pensée revendiquée comme telle et assumée.
Puissions-nous émerger des basses eaux des discussions oiseuses aux conclusions
péremptoires dictées par le seul argument d’autorité.
En effet, nous avons besoin de renouer avec l’éthique du
débat et de l’échange – à la manière d’un Chafiî, le maître éponyme de la
troisième école juridique (767-820). Il nous a bien enseigné, dès la première
décade du IXe siècle, que lors des controverses : «Mon avis est juste, mais il
peut être entaché d’erreur et l’avis de mon contradicteur est – par
construction – faux, mais il peut receler sa part de vérité.»
Interrogeons-nous : où en sommes-nous, aujourd’hui, de
cette attitude d’ouverture et de respect à l’égard des idées d’autrui,
fussent-elles dérangeantes ?
Il se trouve que dans bon nombre de contrées islamiques
actuellement, une bonne partie des croyants musulmans va vivre quasiment au
ralenti avec une confusion du jeûne diurne et de la torpeur dans une
interversion du jour et de la nuit. Certains membres de l’oumma s’acquittent,
certes, de leur devoir religieux dans l’élévation de l’âme et l’accomplissent
avec abnégation. Ils comprennent le sens du jeûne dans ses dimensions
personnelle, sociale et spirituelle et se réjouissent de l’avènement du mois de
Ramadhan.
D’autres subissent la pression de la communauté et avec peu
de conviction endurent toute cette période. Ils fulminent à la moindre
contrariété et, parfois sans être eux-mêmes directement contrariés, ils
vitupèrent contre tout. Inutile de nous appesantir sur tous les manquements à
l’éthique et à l’entraide, requises de chaque croyant tout le temps, a
fortiori, lors du temps sacré du jeûne.
Ce qui prime pour nous – d’abord musulmans – est de
comprendre pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation d’indigence
intellectuelle et de déshérence culturelle.
Pourtant nous nous gargarisons toujours de belles paroles
et nous croyons, verset coranique à l’appui, que nous sommes la meilleure
communauté suscitée aux hommes (à condition que et parce que) nous ordonnons le
bien et proscrivons le mal. Sauf que nous sommes – sans autoflagellation aucune
– dans l’ornière.
Et nous nous y vautrons, tant qu’il n’y aura pas d’éveil
des consciences. Pourquoi sommes-nous arriérés ? C’est la même question qui
nous taraude depuis bientôt deux cents ans ; depuis le livre composé par Rifaat
Rafa Tahtaoui (1801- 1873). Une esquisse d’ébauche de réponse aura lieu dans
les épisodes à venir.
*Docteur en sciences et physicien, Ghaleb Bencheikh, fils
du cheikh Abbas Bencheikh El Hocine, ancien recteur de la Grande Mosquée de
Paris et frère de Soheib Bencheikh, ancien mufti de Marseille, est également de
formation philosophique et théologique. Il anime l’émission «Islam» dans le
cadre des émissions religieuses diffusées sur France 2 le dimanche matin. Il
préside la Conférence mondiale des religions pour la paix.
(**) le titre est de la rédaction
Ghaleb Bencheikh
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EL WATAN dim 21 juin 2015
Chronique. Ghaleb Bencheikh(*)
Le culte sans la culture (**)
Dans le sillage de ce que nous avons abordé hier, méditons aujourd’hui
cette double métaphore empruntée à l’univers médical : celle du médecin légiste
et celle du chirurgien. Le premier par profession et par disposition, autopsie
des cadavres froids.
Il dissèque des dépouilles mortelles afin de déterminer les causes du
décès. Mutatis mutandis, nous serions presque dans la même situation si nous
voulions comprendre les raisons qui, dans le temps «froid» de l’histoire, nous
ont embourbés et figés dans l’ornière évoquée hier. Le second, dans le bloc opératoire,
opère in vivo.
Et, il a à cœur de sauver son patient. Le chirurgien ne s’embarrasse
nullement de considérations autres que celles qui maintiennent en vie le
malade, dût-il consacrer tout son temps et y investir toute son énergie pour le
succès de son opération. C’est le temps chaud de l’actualité brûlante. Il en
est de même pour l’idée que nous nous faisons de notre nation. Si nous tenons à
sa pérennité, à sa prospérité et à son avenir radieux et sain, nous devrons la
soigner.
Elle entrera enfin de plain-pied dans la modernité institutionnelle et
intellectuelle. La médication commence par faire délivrer le peuple du piège de
la religiosité sauvage – selon l’expression du cardinal Daniélou (1905-1974) et
le traitement salvateur passe par la désaliénation des consciences de la
bigoterie crétinisante.
Surtout libérer l’esprit de toutes ses entraves. Parce qu’il ne saurait y
avoir de modernité véritable sans la modernité intellectuelle fondée sur
l’esprit critique et sur la promotion de l’intelligence. Or, s’il nous est
arrivé ce qui nous est arrivé, c’est à cause de la démission de l’esprit, de
l’abdication de la raison, de la défaite de la pensée et de l’abrasement de la
réflexion.
Aussi savons-nous, maintenant ce qu’il nous reste à faire : reconquérir
cette liberté avec l’audace intellectuelle nécessaire et la hardiesse requise
de la pensée et de l’action. Il est temps de mettre de l’ordre dans le fatras
idéel que nous connaissons. Les maîtres-mots pour cette reconquête et cette
mise en ordre sont éducation, instruction, acquisition du savoir, science et
connaissance, ouverture sur le monde et sur l’altérité, notamment
confessionnelle, avec l’amour de la beauté et l’inclination pour les valeurs
esthétiques.
Les Beaux-Arts, les belles lettres, la musique et la poésie contribuent
grandement à élever les âmes, à flatter les sens, à polir les cœurs et à les
assainir de tous les germes du ressentiment et de la haine.
Je ne sais par quelle inversion des ordres de priorité dans la mission
éducative du peuple ou peut-être en l’absence d’orientation claire et de
volonté politique, le peuple est laissé comme une proie facile à des
sermonnaires doctrinaires idéologues. Ceux-ci tiennent un discours le plus
souvent abêtissant et culpabilisant.
Et, nous voilà, ahuris, consternés devant tant de confusion mentale et tant
de raidissement radical. Or, l’extrémisme est le culte sans la culture ; le
fondamentalisme est la croyance sans la connaissance ; l’intégrisme est la
religiosité sans la spiritualité.
Savoir endiguer la déferlante obscurantiste, ravaler le délabrement moral,
guérir du malaise existentiel, en finir avec l’indigence intellectuelle et la
déshérence culturelle. Aller vers l’universel
. Ne pas s’arc-bouter sur les particularismes irrédentistes. Telle est la vision
programmatique que nous devons avoir pour sortir des fondrières ténébreuses
dans lesquelles nous avons glissé et depuis lors nous nous y débattons.
Comme l’optimisme est de volonté et le pessimisme est d’humeur – même si pour
certains, il n’est que le paroxysme du réalisme – notre détermination est
totale pour ne pas laisser flétrir définitivement un patrimoine moral et
spirituel qui a sous-tendu une civilisation impériale. Ce n’est pas pour dire
que nous fûmes grands, mais c’est pour enrayer la machine du désastre. C’est ce
dont nous parlerons dans les éditions à venir.
(*) Philosophe et théologien. Il
préside la Conférence mondiale des religions pour la paix. Il anime l’émission
«Islam» dans le cadre des émissions religieuses diffusées sur France 2 le
dimanche matin.
(**) Le titre est de la rédaction
Ghaleb Bencheikh
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El Watan 22 juin 2015
Chronique : La liberté de conscience
Tout en souhaitant un jeûne bien agréé à l’ensemble des musulmans et
musulmanes de par le monde et pour ne pas apparaître comme aigri et ne pas
rester dans des approches négatives de tout le patrimoine islamique, il est
juste de reconnaître les valeurs de bonté, d’accueil et d’hospitalité propres à
la grande tradition de l’islam.
De toute façon, l’aigreur et l’amertume n’aident pas à voir clairement ni à
percevoir avec discernement, tout comme la peur et la colère sont toujours de
mauvaises conseillères. Parce que tout essentialisme est réducteur et toute
généralisation est abusive. Et, il n’y a pas pire insulte à l’intelligence que
de prendre le conjoncturel pour le structurel et confondre le circonstanciel
avec l’atemporel.
La partie n’est jamais le tout. En outre, ce que je dis et exprime ne relève
pas d’un quelconque dolorisme et encore moins d’une autoflagellation malsaine.
Que Dieu nous préserve de la haine de soi. C’est tout simplement parce que nous
avons à cœur de renouer avec les principes fondamentaux de la civilisation et
l’idée du progrès émancipateur que le regard n’est pas amène sur l’actuelle
situation. Il doit être même sévère et le bon diagnostic doit être effectué
sans complaisance aucune afin de trouver la médication appropriée.
Il se trouve qu’un des points noirs de la pensée théologique islamique
contemporaine avec toutes les scories drainées depuis quelques siècles, est la
question fondamentale de la liberté et notamment la liberté de conscience.
C’est le point aveugle de cette pensée. Et pour rester dans le registre
médical, les ophtalmologistes auraient parlé de scotome, cette lésion du nerf
optique qui induit une non-perception lumineuse. Ce serait aussi l’angle mort
tant redouté par les conducteurs automobilistes et dont on veut pallier les
méfaits par les avancées technologiques telles des mini-caméras et autres avertisseurs.
Il en est de même pour cette pensée qui sur ces questions cruciales de liberté
de conscience s’est encore crispée et radicalisée ces dernières décennies.
La dégradation est affligeante. J’en veux pour preuve la régression terrible
qui nous caractérise à ce sujet : Figure-toi, ami lecteur, qu’il y a plus
de 80 ans, le jeune mathématicien et écrivain égyptien Ismail Ahmad Adham
publia, dans l’Egypte des années 1930, un manifeste intitulé : Pourquoi je suis
athée, dans lequel il défendait son incroyance et vantait son état d’esprit
d’homme soulagé à le proclamer…
Que penses-tu qu’on lui ait fait ? L’a-t-on occis ? L’a-t-on décapité ?
L’a-t-on bastonné ? L’administration s’est-elle mêlée pour l’emprisonner ?
Non, rien de tout cela. La réponse fut, entre autres, celle d’un autre écrivain
théiste sous la forme d’un opuscule ayant pour titre Pourquoi je suis croyant.
Aujourd’hui, une telle «affaire» ne se passera pas et il y aura assurément un
Chems-Eddine ou un pseudo-imam quelconque qui appellera à tuer l’hérétique, à
en finir avec l’apostat par le châtiment suprême.
Pis encore, ces procurateurs de Dieu et défenseurs autoproclamés de ses
droits exclusifs, jettent l’anathème sur toute personne qui n’entre pas dans le
moule de l’intolérance et du fanatisme qu’ils ne cessent de rendre de plus en
plus étroit. L’accusation de mécréance est devenue l’arme fatale pour mettre
fin à toute discussion. Non seulement, de nos jours, un Ismail Ahmad Adham
n’oserait jamais écrire, en contexte islamique, le moindre manifeste militant
pour l’athéisme ni imaginer composer un pamphlet irréligieux, mais, les
réponses seraient jugées timorées et non satisfaisantes valant à leurs auteurs
brimades et vexations à cause de leur tiédeur à défendre comme il faut la vraie
foi…
Ô maison de la sagesse de Baghdad, où es-tu ? Tu fus le lieu des débats
et des controverses entre juifs, chrétiens, musulmans et hérétiques – sans que
l’on prît les références scripturaires coraniques comme bases de discussion.
Elles n’étaient pas reconnues de tous. Ces fameuses munazarates, ont été
reprises par les auteurs latins sous forme de disputationes pluriel de
disputatio, l’ancêtre de la soutenance de thèse afin d’obtenir le grade de
docteur de l’université. Voilà, le ton est donné, nous devons recouvrer notre
patrimoine assaini de tous ses germes d’intolérance. L’entreprise est
titanesque. Mais nous n’abdiquons pas.
Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de
l’émission «Islam» sur France 2
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El Watan 23 juin 2015
Chronique : Le temps de l’analyse
Aujourd’hui, nous abordons la question cruciale du terrorisme abject qui
sévit au nom de la tradition religieuse islamique. Il se poursuit encore, en ce
moment même, alors que nous sommes censés vivre un temps consacré de bonté et
de miséricorde. Sauf que des individus fanatisés affiliés à des groupes
islamistes djihadistes ont décidé de déclencher une conflagration généralisée
s’étalant sur un arc allant depuis le nord du Nigéria jusqu’à l’île de Jolo
passant par la Corne africaine, sans parler de la monstruosité idéologique
dénommée Daech.
Et, l’élément islamique y est franchement impliqué. Chaque jour que «Dieu
fait», des dizaines de vies sont fauchées par une guerre menée au nom d’une
certaine idée de l’islam avec toutes les logorrhées dégénérées qui usurpent son
vocabulaire et confisquent son champ sémantique, devenus anxiogènes pour nombre
de non-musulmans. Les exactions terribles qui sont commises nous scandalisent
et offensent nos consciences.
Cette guerre réclame de nous tous, qui que nous soyons, hommes et femmes de
bonne volonté, mais surtout de nous autres musulmans, de l’éteindre. Il est de
notre responsabilité d’agir et de nous opposer à tout ce qui l’attise et
l’entretient. Nous ne le faisons pas pour obéir à une quelconque injonction ni
parce que nous sommes sommés de nous «désolidariser» de la bête immonde. Nous
agissons de la sorte, avec dignité, mus que nous sommes par une très haute idée
de l’humanité et de la fraternité.
Nous ne cèderons jamais à la psychose. C’est une déclaration de résistance
et d’insoumission face à la barbarie. C’est ce que nous avons fait lors de la
décennie noire où cette calamité a endeuillé tout le peuple algérien. C’est
aussi notre attachement viscéral à la vie, à la paix et à la liberté. Et, tout
comme l’enseigne l’Ecclésiaste, au début du troisième chapitre de la genèse –
dans l’Ancien Testament – «Il y a un temps pour tout, il y a un temps pour les
actions sous le ciel, il y a un temps pour tuer et un temps pour guérir, un
temps pour abattre et un temps pour bâtir, un temps pour pleurer et un temps
pour rire, un temps pour la guerre et un temps pour la paix.»
Alors, après le temps de l’affliction et de la torpeur, après celui de la
sidération et des condamnations, le temps de l’analyse doit succéder à celui du
panurgisme émotionnel. Ces derniers mois, plusieurs décryptages du terrorisme
djihadiste se sont fait concurrence. Des lectures sociologisante, politique,
géostratégique, psychologique, millénariste et théologique ont été présentées
doctement. Et, tout en reconnaissant à chacune d’elles sa pertinence propre,
nous affirmons qu’aucune n’est susceptible d’épuiser, à elle seule, le sujet.
C’est pour cela qu’il faut plus de distanciation et de hauteur pour une vision
panoptique et synoptique des choses.
Certes, il y a des facteurs endogènes propres aux contextes islamiques et
des raisons intrinsèques qui sont venues les alimenter et les aggraver. Les
éléments endogènes sont connus et plusieurs fois passés en revue. Il s’agit
d’un faisceau convergent de facteurs politique, culturel, théologique,
économique, militaire et géographique. Ils ont concouru à la stagnation, à la
décadence, au déclin, à la régression et à la «colonisabilité» – en empruntant
l’expression de Malek Bennabi. Nous aurons à y revenir à l’occasion de l’une ou
l’autre de ces chroniques. Parce que nous devons être conscients des causes de
notre décadence.
Quant aux raisons extrinsèques qui sont venues alimenter et aggraver les
premiers facteurs, je les énumère sous forme de flashs sinon, il faudrait un corpus
de plusieurs volumes dépassant le cadre de ces modestes chroniques. Ce sont en
quelques mots et noms : Laurence d’Arabie, Mac Mahon, Sykes-Picot, Allenby,
Balfour, Sèvres, Lausanne, Berlin, canal de Suez et plus tard Guantanamo et
Abou Ghrib sans évoquer les résolutions de l’ONU relatives à la Palestine, à
trois chiffres, qui dorment dans les tiroirs de l’Organisation et celles à
quatre chiffres appliquées dans un déluge de feu et de fer.
Et, malheureusement ce déluge s’est abattu aussi sur le peuple irakien en
dehors de toute légalité internationale et suite à un mensonge éhonté. Et, les
menteurs, auteurs de cette désolation et du désastre, continuent à couler des
jours heureux au ranch de Crawford et à Londres au moment où on a voulu arrêter
Omar El Béchir lors de son déplacement en Afrique du Sud. Ce dernier aura
sûrement à s’expliquer devant la justice des hommes en attendant de comparaître
pour le jugement céleste.
Sauf que tant que les agissements de la «communauté internationale»
s’accommodent de la realpolitik et de la loi du plus fort considérée comme la
meilleure, nous aurons toujours à déplorer la subversion terroriste. Nous
verrons demain en quoi nous n’accepterons jamais que la terreur islamiste
pervertisse la grande tradition de générosité et de miséricorde, ni avilisse
l’enseignement d’amour et de bonté.
Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de
l’émission «Islam» sur France 2
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El Watan 24 juin 2015
Chronique : Des chantiers urgents
Après la chronique d’hier où nous avons abordé la question du terrorisme
aveugle qui s’abat au nom de notre tradition religieuse, aujourd’hui, nous
poursuivons en soulignant que le drame réside surtout dans le discours martial
puisé dans la partie belligène du patrimoine religieux islamique – conforme à
une conception du monde dépassée, propre à un temps éculé – qui n’a pas été
déminéralisée ni dévitalisée.
Il est temps de reconnaître, dans la froideur d’esprit et la lucidité, les
fêlures morales graves d’un discours religieux intolérant et les manquements à
l’éthique de l’altérité confessionnelle qui perdurent depuis des lustres dans
des communautés musulmanes ignares, déstructurées et crispées, repliées sur
elles-mêmes.
Des sermonnaires doctrinaires idéologues le profèrent pour «défendre» une
religion qu’ils dénaturent et avilissent. Plus que la caducité ou
l’obsolescence de ces doctrines d’attaque et de violence légitimées par le
divin, il est temps de les déclarer antihumanistes. Au-delà des simples
réformettes, par-delà le toilettage, plus qu’un aggiornamento, plus qu’un
rafistolage, qui s’apparentent tous à une cautérisation d’une jambe en bois,
c’est à une refondation de la pensée théologique islamique qu’il faut en
appeler, je ne cesse, pour ma part, de le requérir et je m’étais égosillé à
l’exprimer.
En finir avec la «raison religieuse dévote» et la «pensée magique»,
s’affranchir des représentations superstitieuses, se soustraire à l’argument
d’autorité, déplacer les préoccupations de l’assise de la croyance vers les
problématiques de l’objectivité de la connaissance, relèvent d’une nécessité
impérieuse et d’un besoin vital. On n’aura plus à infantiliser des esprits ni à
culpabiliser des consciences ni à fragiliser des êtres.
Les chantiers sont titanesques et il faut les entreprendre d’urgence : le
pluralisme, la laïcité, la désintrication de la politique d’avec la religion,
l’égalité foncière et ontologique entre les êtres par-delà le genre, la liberté
d’expression et de croyance, la garantie de pouvoir changer de croyance, la
désacralisation de la violence, la démocratie et l’Etat de droit sont des
réponses essentielles et des antidotes primordiaux exigés partout dans le monde
islamique. Ce n’est plus suffisant de clamer que ces crimes n’ont rien à voir
avec l’islam. Le discours incantatoire ne règle rien et le discours
imprécatoire ne fait jamais avancer les choses.
Ce n’est plus possible de pérorer que l’islam c’est la paix, c’est
l’hospitalité, c’est la générosité... c’est irresponsable et c’en est même
devenu insupportable. Occulter les raisons du mal laisse les plaies grandes
ouvertes. Bien que nous le croyions fondamentalement et que nous connaissions
la magnanimité, la mansuétude et la miséricorde enseignées par sa version
standard, où jamais l’assassinat n’est la mesure de l’offense ! C’est bien
aussi une compréhension obscurantiste, archaïque, passéiste, dévoyée et
rétrograde d’une partie du patrimoine calcifié qui est la cause de tous nos
maux.
Et il faut tout de suite la dirimer. Nous ne voulons pas que la partie
gangrène le tout. Les glaciations idéologiques nous ont amenés à cette tragédie
généralisée. Nous devons toutes les dégeler. La responsabilité nous commande de
reconnaître l’abdication de la raison et la démission de l’esprit dans la
scansion de l’antienne islamiste justifiée par une lecture biaisée d’une
construction humaine sacralisée et garantie par «le divin». Il est temps de
sortir des enfermements doctrinaux et de s’émanciper des clôtures dogmatiques.
L’historicité et l’inapplicabilité d’un certain nombre de textes du corpus
religieux islamique sont d’évidence une réalité objective. Nous l’affirmons. Et
nous en tirons les conséquences.
L’ancrage dans la modernité ne saurait se faire sans une modernité
intellectuelle fondée sur l’esprit critique, je l’ai déjà écrit dans la toute
première chronique. Je regrette que nous ne l’ayons pas fait dans notre pays.
Aucun colloque de grande envergure n’a pu se tenir, aucun symposium important
n’a été organisé en vue de subsumer la violence «inhérente» à l’islam ; pas la
moindre conférence sérieuse n’a été animée pour pourfendre les thèses
islamistes radicales. Nous avons vécu sur la défaite de la pensée et
l’abrasement de la réflexion.
Il est vrai que la pusillanimité et la frilosité de nos «hiérarques» nous
ont causés beaucoup de torts. Leur incurie organique nous laisse attendre,
tétanisés, la dramatique séquence d’après. Leur seul argument avancé est que
nous sommes pris en otage par les fanatiques barbares. Or, face à la barbarie,
il vaut mieux vivre peu, debout, digne et en phase avec ses convictions humanistes
que de végéter longtemps en louvoyant, en étant complice, par l’inaction et le
silence, de ce qu’on réprouve. Nous verrons la suite demain.
Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de
l’émission «Islam» sur France 2
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El Watan 25 juin 2015
Chronique : Autres voies, autres voix
Nous poursuivons ces chroniques au fil des jours que compte ce mois de
Ramadhan. Elles commencent à susciter réactions et débats sur la Toile. Tant
mieux, si une certaine effervescence intellectuelle peut nous sortir de la
torpeur, de l’été et du jeûne. Je souhaite, pour ma part, qu’elle reste
contenue dans les limites de la courtoisie et de l’éthique du désaccord. Je
sais gré à toutes celles et tous ceux qui, avec sagacité et intelligence,
commentent et critiquent mes propos.
Ceux-ci sont interrogeables et révisables. Ils ne relèvent d’aucun
dogmatisme. Et, j’admets volontiers que mes prises de position soient
discutables, voire contestables. Je fais mienne cette parole du calife Omar Ier
: «Que Dieu fasse miséricorde à celui qui m’offre mes défauts.» En revanche,
lorsque les dérapages se produisent et les attaques ad hominem fusent, la
diffamation et la calomnie tiennent souvent lieu d’arguments pour faire taire
et couper court à toute discussion. Sauf que la prise de parole publique est
une responsabilité et il faut l’assumer.
Et, je ne me tairai pas. Je suis mithridatisé contre la malveillance et la
bêtise humaine. De toute façon, le silence et la complaisance ont toujours été
de discrets facteurs générateurs et amplificateurs des grandes tragédies. Et
l’importance de la parole est telle, lorsqu’elle est bonne – et selon la
parabole coranique - un bel arbre dont la racine est ferme et la ramure
s’élançant dans le ciel, donne ses fruits à tout instant par la grâce de
son seigneur. Et lorsque la parole est destructrice, elle est semblable à un
mauvais arbre déraciné de la surface de la terre et qui n’a point de stabilité.
Bien entendu, il faut condamner sans réserve toutes les dérives meurtrières
qui s’abattent au nom de la religion et dénoncer l’extrémisme islamiste
violent. Qui dit dénoncer, dit aussi annoncer : aucune cause, si légitime
soit-elle, n’implique le massacre des innocents. Et surtout que le sacrilège
suprême est l’atteinte à la vie. On ne peut pas et on ne doit pas se prévaloir
d’un idéal religieux pour semer la terreur et provoquer la haine et le
ressentiment.
Après avoir affirmé cela avec force, il est juste et sage de rechercher
d’autres voies et d’entendre d’autres voix. Celles qui ne se cantonnent pas à
la dénonciation. Celles qui veulent construire des alternatives aux nouvelles
nécessités et potentialités du développement humain intellectuel et social.
Celles qui fédèrent les forces vives de tous ceux et de toutes celles qui sont
porteurs des valeurs d’humanisme de paix, de justice et de fraternité en
nourrissant leur espérance.
Celles qui participent au renouveau et à l’éveil des consciences. Cet éveil
commence par voir chez soi, en soi, les manquements à l’éthique, les écarts à
la sincérité avec soi-même, les fêlures morales. Parce qu’aucune nation et
aucun peuple ne changent véritablement si, pris individuellement, les membres
de la nation ou du peuple n’entreprennent pas chacun un travail d’introspection
intérieure afin de modifier l’inadéquation entre l’hypocrisie ambiante et le
ressenti intérieur.
Et, cela commence par réaliser qu’encore de nos jours, dans de nombreux
pays, à population majoritairement musulmane, des régimes politiques sévissent
sans aucune légitimité démocratique. Ils gouvernent en domestiquant la religion
et en idéologisant la tradition. Ils manipulent la révélation pour des fins
autres que spirituelles. Les sociétés, elles-mêmes, en sont devenues minées par
l’obscurantisme et l’infantilisation des esprits.
Elles n’ont engendré, globalement au risque d’être sévère – que des
«diseurs» et jamais ou rarement des «faiseurs». Alors, comment faire pour que
la réflexion, précédant l’action, puisse être formulée et exprimée en vue
d’être saisie et intériorisée dans une adhésion intime ? Nous poursuivrons
cette analyse dans la prochaine chronique en oscillant entre le fait de
s’appesantir sur les raisons de cette arriération et ses méfaits et le fait
d’ouvrir des perspectives d’avenir et de sortie de crise.
Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de
l’émission «Islam» sur France 2
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El Watan 27 juin 2015
Chronique. Ghaleb Bencheikh(*)
Hypocrisie et escroquerie
Nous avons évoqué, jeudi, le manque de légitimité démocratique dans la
quasi-totalité des pays où la société est majoritairement musulmane. Nous
constatons que les régimes s’y prévalent tous de l’islam comme religion d’Etat.
C’est même inscrit dans la Loi fondamentale.
En réalité, j’ai précédé «totalité» par «quasi» pour ne pas être injuste
vis-à-vis de nos voisins tunisiens et d’autres exemples en dehors du monde
arabe, dont le nombre peut être compté sur les doigts d’une main affreusement
mutilée.
Certes, la promesse démocratique est une asymptote – comme auraient dit les
mathématiciens – et nous y tendons pour en être le plus près possible. Nous
mesurons aussi les grandes étapes franchies dans la lente et longue maturité de
l’humanité pour approcher ce point à l’horizon dans la gestion des affaires de
la cité.
Depuis Solon et Clisthène, qui instaurèrent les fondements de la démocratie
athénienne dès le VIe siècle avant l’ère commune jusqu’à nos jours, nous
constatons son évolution et comment elle a pu se frayer un chemin entre
despotisme et tyrannie.
Tant et si bien que les femmes, les métèques et les esclaves devaient être
exclus de l’agora. Plus tard, et bien après la révolution française, nous
verrons que le Tocqueville de l’Amérique n’est pas celui de l’Algérie et le
Jules Ferry de la Métropole n’est pas celui des colonies où l’école n’était ni
gratuite, ni laïque, ni obligatoire… maintenant, la démocratie française
fonctionne cahin-caha. Elle est meilleure que celle de Poutine assurément, mais
il arrive que les Scandinaves s’en amusent et la trouvent quelque peu affectée…
C’est souligner le caractère intrinsèquement évolutif de la démocratie. Il
dépasse le simple formalisme creux du processus électoral. Il ne suffit pas
d’organiser des scrutins pour assurer la franchise des résultats et, même si
ces scrutins étaient exempts de fraudes, quelle serait leur valeur si ceux qui
sont élus n’avaient pas de réelle maîtrise sur le cours des choses ni sur les
véritables décisions ? Le cas iranien est un exemple patent.
Le régime des mollahs se targue du respect des échéances électorales et du
bon fonctionnement de la machine des différentes consultations, notamment
présidentielles, bien que la réélection de Mahmoud Ahmadinejad ait été
contestée par les jeunes non sans courage avec leurs cris et leurs pancartes
portant l’inscription : «Where is my vote ?» Encore une fois, quel intérêt
peut-on avoir d’une élection, fût-elle transparente, si la Loi fondamentale est
biscornue avec l’idée du mandat du jurisconsulte : un guide spirituel
ayant main basse sur la police et la justice ! Un homme qui ne rend compte à
personne !
Nous ne connaissons pas, en contextes islamiques, qu’est-ce la séparation
des pouvoirs, ni l’alternance au pouvoir, ni l’équilibre des pouvoirs, ni ce
que sont les contre-pouvoirs. Rien de tel n’est connu ni appliqué ni même
voulu.
On se gargarise de belles paroles sur l’islam et on ajoute dans une
escroquerie morale et intellectuelle que «ceux qui ne gouvernent pas selon ce
que Dieu a prescrit, sont des mécréants», en ayant déjà tordu le sens de
«juger» et «arbitrer» en «gouverner» et en affirmant avoir pénétré le désir
politique de Dieu !
On s’offusque de voir l’épithète islamique accolée à Etat par la
monstruosité dénommée Daech, mais on l’accepte lorsqu’elle qualifie la
République en Mauritanie, en Iran et au Pakistan. Tout comme on s’accommode à
l’idée bizarre qu’un Etat puisse avoir une confession ! A-t-on un jour pris le
temps de déconstruire l’article des différentes Constitutions qui stipule que
l’islam est la religion de l’Etat ?
Et, nous ne sommes pas à cette contradiction près ni à une hypocrisie de plus.
Actuellement, certains régimes participent à la coalition menée par des
«mécréants» qui bombarde justement le prétendu Etat islamique alors que les
criminels fous furieux du califat de la terreur appliquent leurs doctrines et
soutiennent leurs thèses ! La dite monstruosité idéologique, c’est le
wahhabisme en actes, rien d’autre. C’est le salafisme dans les faits, la
cruauté en sus.
Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de
l’émission «Islam» sur France 2
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