L'invitée de Jean Lebrun, Alice
Kaplan, apporte un souffle complémentaire sur l’Étranger et sur Albert Camus. Sur
la question de l’absence de l’Arabe dans L’Étranger, Kaplan avance une autre
raison que le dédain ou le racisme qu'on attribue à l’auteur envers L’arabe (ou
les Arabes – et Berbères en général). Pour Alice Kaplan, si Albert Camus n’a pas
nommé l’Arabe, c’est par choix esthétique. Elle précise que pour écrire
L’Étranger, Camus a été fortement influencé par « Le facteur sonne
toujours deux fois » de James Mallahan Cain (1934). Elle dit qu’en
supprimant l’identité de L’Arabe Camus « exprime le racisme sans avoir à l’expliquer ».
Sur ce point Kaplan n’innove pas. C’est ce qu’avait écrit autrement et avant elle,
Lamria Chetouani (cf in mon
« L’Arabe dans les écrits d’Albert Camus).
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Désolé, mais je n’ai trouvé que cette astuce — filmer l’enregistrement
audio — pour le diffuser sur les réseaux.
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Albert Camus- La marche du siècle- F. Inter- Mer 21 09 2016 _1.2
Albert Camus- La marche du siècle- F. Inter- Mer 21 09 2016 _2.2
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CAMUS : CE QUI SUIT A ETE AJOUTE LE
MARDI 13 DECEMBRE 2016
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Ce qui suit a été ajouté le samedi 14 janvier 2017
Alice Kaplan . Critique et historienne américaine
«Le problème avec Camus...»
El Watan
le 14.01.17 | 10h00
Le passage à Alger, l’essayiste nous parle de son enquête passionnante sur
«L’Étranger».
Vous
signez une biographie*, non pas de Camus mais de L’Étranger. Comment écrit-on
la biographie d’un roman ?
Cela va
de la première inspiration du texte à la réception du livre. Ce sont deux
aspects qui m’intéressent beaucoup. C’est lié à l’auteur évidemment, mais une
fois que le livre est publié, il a sa propre vie et échappe à l’auteur. Et puis
on quand on écrit la biographie d’un livre, on est vraiment dans les mots. Le
problème avec Camus, c’est que c’est un personnage tellement glamour et
controversé que souvent l’intérêt pour sa vie dépasse l’intérêt pour son œuvre.
On
découvre avec vous l’influence importante du travail journalistique de Camus
sur son œuvre…
Oui.
Quand il couvre le meurtre du mufti d’Alger pour Alger républicain, il décrit
un juge qui brandit le crucifix. Camus a dû se dire : «C’est trop
beau ! C’est déjà un roman.» Et cette scène se retrouvera en effet dans
L’Étranger. C’est un procès tout à fait particulier avec la réplique d’Akacha
qui rétorque : «Dieu est trop vieux, il faut le remplacer.» Par ailleurs,
Camus parle de ce procès à Jean Grenier (Ndlr son professeur de philosophie
auquel il était très attaché) dans sa correspondance. On le sent très intéressé
par le cheikh Tayeb El Okbi, qui sera innocenté…
Parmi
les influences inattendues, on retrouve Le Shpountz de Fernandel et puis
saint Augustin
aussi…
Le
passage où saint Augustin ne pleure pas à l’enterrement de sa mère et puis va
au bain ! Camus connaissait très bien saint Augustin et puis c’est un des
passages les plus célèbres des Confessions. C’est impossible qu’il n’ait pas lu
ça. Après, il ne faut pas être trop littéral. Il s’agit de montrer un
environnement d’influences et de sources.
Des
choses qui pouvaient être dans sa conscience ou son inconscient. Il ne faut pas
faire la chasse aux sources. C’est tout le travail de transformation qui fait
l’œuvre. Par exemple, Camus ne cite pas le titre du film de Fernandel. Le
lecteur ne sait pas que dans ce film, Fernandel répète un article du code civil
(Ndlr «tout condamné à mort aura la tête tranchée») dans une scène comique.
C’est seulement dans mon essai que je développe cet aspect.
Comment
avez-vous trouvé l’identité du fameux «Arabe» du roman ?
Ce n’est
pas vraiment l’identité du personnage de Camus. Les journalistes ont sauté un
peu trop vite sur ce nom (Ndlr Kaddour Touil). J’étais plutôt en conversation
avec les biographes de Camus. Ils sont allés à Oran sur la trace de cette
bagarre. Ils ont interrogé des gens mais ils ne se sont pas posé la question de
l’identité de l’Arabe. C’est exactement comme dans le roman. Il faut dire aussi
qu’Olivier Todd avait travaillé dans un contexte particulier juste avant la
décennie noire. Les biographies évoluent avec les questions que nous posons. A
l’époque, la question de l’Arabe ne se posait pas. Il était effacé dans la
biographie.
Pour ma
part, c’est grâce à Abdelhak Abdeslam, de l’association Bel Horizon, que j’ai
eu accès aux archives du journal L’Echo d’Oran. C’était fascinant de travailler
sur les archives papier de la presse et non des microfilms. Quand j’ai lu le
nom de l’Arabe, j’ai sauté au plafond !
On
découvre aussi que la bagarre en question est d’une grande banalité…
Oui.
Presque personne ne s’en souvient. C’est une bagarre tout à fait ordinaire. Ce
qui était beaucoup plus dramatique, c’était le meurtre du caïd par le frère de
Kaddour Touil. Et puis le fait que ce dernier sera emprisonné pour viol. Mais
les bagarres sur la plage, c’était le lot de tous les jours. 1939, Kaddour
Touil descend d’une famille assez aisée, une grande famille d’ascendance
turque. Il va sur la plage de Bouisseville (Oran) avec sa petite amie
française. Il a le «sang chaud», comme dit sa sœur. Une bagarre a lieu avec les
Bensousan. Ces derniers ne portent même pas plainte. C’est d’une pure banalité.
Aucun
intérêt, sauf celui d’avoir inspiré Camus…
C’était
une petite étincelle qui a permis à Camus d’aller plus loin. C’est Tchekhov qui
disait qu’on ne peut pas montrer un revolver dans la première scène sans qu’il
n’y ait meurtre dans les suivantes ! Dans la littérature, dès qu’il y a un
revolver, il faut que quelqu’un meurt.
On
s’intéresse de plus en plus à l’identité de «l’Arabe» dans L’Étranger. Pourquoi
cet intérêt aujourd’hui ?
Cela
remonte à beaucoup plus loin. Lisez la petite préface à l’édition anglaise de
L’Étranger par Cyril Conolly, qui est un grand anticolonialiste. Non seulement
il parle beaucoup de l’Arabe mais aussi de la sœur de l’Arabe. Cette dernière est
absente du livre de Kamel Daoud. C’est cette sœur qui souffre vraiment dans le
roman. Elle est abusée par Raymond. C’est elle qui est à la source de tout ce
qui suivra. Conolly dit que Meursault aimait la vie, mais la sœur de l’Arabe
aussi aimait la vie ! Mais elle n’a pas droit à toutes les attentions de
la part de l’auteur. Et puis il y a eu Edward Saïd qui était très sévère avec
Camus. Il l’accusait d’éliminer l’Arabe. Vous avez Connor Cruise O’Brien qui
est allé très loin en parlant d’une «solution finale» contre l’Arabe dans le
roman…
Je pense
que la lecture des articles de presse de Camus, notamment sur la Kabylie et la
trêve civile, change notre vision de l’homme. Et puis le roman de Kamel Daoud a
donné une nouvelle vie à L’Étranger. Aujourd’hui, les jeunes lisent en France
L’Étranger avec Kamel Daoud. Aux USA, on lit les deux livres ensemble en cours
de littérature à l’Université. Ce livre est une œuvre de fiction mais aussi un
geste critique. L’intervention de Kamel Daoud est fascinante.
Elle est
très liée à l’Algérie contemporaine avec une critique de la religion, de
l’imam… Mais il touche à quelque chose d’universel. Je crois qu’il touche à
l’idée de l’autre. Je défends beaucoup ce livre. Dans la première partie du
livre, il critique Camus pour ne pas avoir nommé l’Arabe. Mais dans la
deuxième, c’est Haroun qui tue un Européen. Il sent une solidarité avec
Meursault et ça complique beaucoup les choses.
On
a souvent identifié Meursault à Camus, vous établissez un parallèle entre Camus
et Kaddour Touil. Une façon de renverser la donne ?
Mes
étudiants me demandent tout le temps : «Alors Meursault c’est
Camus ?» Il a failli s’appeler Albert Meursault dans le film de Visconti.
Il s’appelle d’ailleurs comme ça dans l’édition algérienne de Meursault
contre-enquête de Daoud. La famille de Camus n’était pas contente de cette
confusion. Le personnage s’appelle finalement Arthur Meursault dans le film. Je
suis d’accord que Meursault est l’ombre de Camus.
La
partie de lui-même qu’il prenait en horreur et qu’il voulait expulser pour
devenir l’humaniste que nous connaissons. C’est un petit voyou, un type qui
n’aime pas sa mère… Tout le contraire de Camus. J’aimais bien l’idée de trouver
des rapprochements entre Camus et Kaddour Touil. Tous deux étaient atteints de
tuberculose. Ils n’étaient pas très éloignés durant l’occupation. Ils étaient
en France dans des sanatoriums… Il nous faut des récits de réconciliation entre
nos différents mondes.
Je ne
pouvais pas le dire comme ça. Alors j’ai pensé à le suggérer en montrant que
les hommes et les femmes ont des expériences similaires même s’ils viennent de
milieux différents.
On a
très souvent abordé L’Étranger d’un point de vue moral, comme s’il fallait se
prononcer sur le jugement de Meursault. Pourquoi ?
Il y a eu
même cette fameuse affaire en 1948.
Un jeune
Américain qui avait tué son camarade de classe mettait en avant pour sa défense
l’influence de L’Étranger ainsi que des textes de Sartre. Un de mes étudiants a
retrouvé le dossier et prépare une thèse sur ce sujet… Au-delà de cet exemple
extrême, il faut dire que les lecteurs ont beaucoup de mal à considérer un
personnage comme un être de fiction. Cela dit, quelque chose de la force de la
littérature. Les critiques de New York, en 1946, se sont complètement plantés
en essayant de montrer que Meursault était un collabo ! Le texte a été
conçu en 1939. Mais chaque lecteur a le droit de projeter ce qu’il veut. Et
sans ces projections, le roman n’aurait pas la biographie qu’il
a.
*Alice
Kaplan, En quête de L’Étranger Gallimard, Paris, 2016, 336 pages. Traduit de
l’anglais.
Repères
Ecrivain,
historienne et traductrice, Alice Kaplan enseigne la littérature française à
l’université de Yale (USA).
En 2000,
elle a été finaliste du National Book Award et a obtenu le L.A. Times Book
Award. Après de nombreuses publications sur la littérature française sous
l’occupation allemande, elle signe un passionnant ouvrage sur les sources et la
réception de L’Étranger de Camus.
Son
ouvrage est une véritable biographie du roman. On y découvre le contexte
d’écriture et des sources d’inspiration étonnantes, à l’image des chroniques
judiciaires de Camus pour Alger Républicain.
On y
relit aussi les mille et une vies de L’Étranger à travers les critiques,
élogieuses ou acerbes, qu’il a inspirées. Parti à la quête de L’Étranger,
l’essai s’achève sur les traces de Kaddour Touil.
C’est le
nom du protagoniste algérien dans un fait divers (une bagarre sur la plage de
Bouisseville à Oran) qui aurait inspiré la scène du meurtre de «l’Arabe» à
Camus. Documenté comme une enquête, cette recherche se lit comme un
roman.
Walid
Bouchakour
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