L'hôpital - Pomnik-Szpital Centrum Zdrowia |
Ne
vous arrive-t-il pas, pour une raison ou une autre, pour une cause ou une
autre, de vous retrouver plongé âme et bagages dans un doux amer temps lointain
que votre mémoire, titillée par cette raison ou par cette cause, extrait à
votre intention et vous le propose sur un plateau d’argent ou nu ? Il est
entendu que le « vous » que je convoque ici s’adresse aux lecteurs de
plus de tant d’années. Plus ce « tant » est pesant et plus le champ
d’investigation est large. Inversement, plus on est jeune et plus les zones de
la mémoire libres de toute obstruction, sont importantes. Personnellement je
peux écrire que je figure dans le palmarès de la première catégorie, avec ceux
dont la mémoire est saturée de récits de vie, ceux qu’on nomme « les
anciens », pour ne pas dire les vieux et je ne suis pas peu fier. Mais je
ne radote pas encore heureusement.
Il
suffit parfois d’un rien, d’un sourire sur le visage d’une affiche publicitaire
qui nous nargue, d’un ou de plusieurs mots lus sur une page d’un vieux livre, d’un
slogan, de graffitis, d’un son, un refrain… pour se retrouver plongé dans un
plus ou moins lointain passé, très présent pour le coup. Un passé ressuscité le
temps de regretter de ne pas en avoir pleinement profité, « ah si seulement je… »
« Les
faits s’il vous plaît, les faits, les faits ! » vous
impatientez-vous. Je m’explique. Nous sommes vendredi 3 août de l’année que
vous savez (sommes-nous jeudi, vendredi… ?) Très bien. Ce matin, comme
tous les matins, après le petit déjeuner (ou pendant), je branche l’ordinateur,
ouvre mes boites de courriels (on dit ‘mails’ n’est-ce pas), lis les titres de
la presse (‘Mediapart’, ‘Le Quotidien d’Oran’, ‘El-Watan’, ‘Liberté’…, dans cet
invariable ordre), m’attarde sur un ou plusieurs de leurs articles. Je n’ai
jamais coupé les ponts. Souvent je passe. Les pages culturelles de la plupart
des médias algériens agonisent (qu’il est loin ‘Algérie Actualité’ !)
Elles se sont transformées en fades logorrhées assimilées, dans lesquelles le
journaliste ou l’écrivant (pas tous, non, vraiment pas tous, ‘hacha !’) se lâche ou bien loue les
écrits ou le spectacle de celui, de celle « dont a parlé Le Parisien, Le
Point, Madame Figaro… » ou ceux de tel ou tel ami de l’ami de l’ami… quant
il ne déterre pas les ancêtres pour prouver qu’il maîtrise (lui aussi) l’inénarrable
« Butin » en rabâchant inlassablement les mêmes discours, les mêmes
inepties, stéréotypes et en procédant à des emprunts dissimulés. M’enfin. Il ne
faut pas jeter la pierre aux (jeunes) journalistes, mais à leurs responsables qui réduisent à peau de chagrin les moyens financiers nécessaires et évacuent les formations approfondies au bénéfice des employés. Pardonnez-moi ce débordement.
La
presse, disais-je, et Facebook bien sûr aussi. Enormément de futilités hélas et
de ragots, de violence, de vide. Mais c’est ainsi, on ne caporalise ni le
facteur, ni la boite aux lettres, à moins de la détruire. J’en reviens à mon
objet.
Comme
vous le voyez sur l’image, un porte-documents en plexiglas est posé derrière le
verre (d’eau souvent, de thé ou de jus parfois, je n’aime pas le café), sur
lequel je pose tantôt une photo, tantôt un texte ou autre livre corné à telle
page. Je garde ainsi l’objet (photo, texte, livre) pour le dire trivialement
« à l’œil » jusqu’à sa lecture, analyse etc., et son remplacement par
un autre. La brochure qu’il porte aujourd’hui, je l’ai apportée d’Oran (1) où
je me trouvais il y a quelques semaines et où elle n’avait que trop patienté,
coincée depuis des lustres entre un livre de Yves Courrière (La guerre d´Algérie: Le Temps des léopards.
Éd. Casbah) et un numéro de la revue Insanyat (L’imaginaire,
littérature-Anthropologie). Je l’ai parcourue et me suis dit « il faut la
relire. La brochure est titrée « Le monde se souviendra de ces enfants. »
C’est en la parcourant que je suis tombé sur une lettre méticuleusement pliée
en quatre, glissée avec d’autres coupures entre les pages 22 et 23. Cette
lettre est datée « 3.08.1975 ». Elle est signée par Jerzy Tomasini,
un Polonais. Je me trouvais en l’été de cette année-là en Pologne, où
j’effectuais un Chantier de volontaires internationaux (envoyé par Concordia, 27,
rue du Pont neuf à l’époque, non loin du Louvre), et ce monsieur était le
commandant de celui de Varsovie. Un mot qui m’est incompréhensible précède la
date. Je me souviens par contre de « Radosc » (Podstawona- 140 ul
Wilgi) où nous résidions, à une dizaine de kilomètres à l’est de Varsovie. Une
école entière avec ses infrastructures sportives et autres cuisine, salles,
ainsi que des véhicules de transport... était mise à notre disposition.
Dans
cette lettre, destinée au commandant du Chantier d’Olsztyn au nord-est du pays
(wojewodzlca Komenda OHP, ul Zwyciestiwa 32), monsieur Jerzy Tomasini loue
probablement toutes les qualités (vraies, soupçonnées ou imaginées) qu’il a
décelées en moi durant les longues journées du chantier de Varsovie qui a duré
près d’un mois. Je remercie d’avance le Polonais ou le polonophile qui se
manifesterait et traduirait ce courrier.
Mais
qu’était ce chantier ? en quelques mots il ne s’agissait de rien de moins
que de construire un « hôpital-monument » dédié à la mémoire des
enfants martyrisés durant la seconde guerre mondiale. Ce monument devait
« respirer la vie qui manqua aux enfants qui ne sont plus parmi
nous ». Un édifice de 200.000 mètres-cube comprenant six sections
spéciales (troubles de la croissance, tumeurs, cardiologie, néphrologie, neurologie,
réadaptation) pour venir en aide à 6000 enfants hospitalisés et à 60.000 autres
en traitement ambulatoire). Son
nom : Pomnik-Szpital Centrum Zdrowia. Nous y avons participé ! Il y a quelques
années j’y suis retourné
et ma fierté était grande.
(lire
ici :
Dans
la brochure « Le monde se souviendra de ces enfants » que j’ai
apportée d’Oran, se trouve également une page de journal, par endroits bien
rouillée par le temps qui ne mine pas que l’homme. La page 3 du journal Ƶycie Warszawy du 22 juillet
(lipca) 1975, avec un titre qui glorifie notre travail. Nous étions chez les
cocos en pleine ère Podgorny en URSS, maîtresse voisine honnie par tous les
Polonais, grands et petits, profondément croyants (durant la grande période de
la démocratie populaire, on se cachait presque pour prier). Le titre de
l’article : « Aktywność nas wszystkich (Toutes nos activités
- ?) est agrémenté d’un long texte et d’une photo (m’y reconnaîtriez-vous ?).
Ce
jour de fête nationale, nous avions été décorés par les plus hautes autorités
de l’Etat stalinien (à mon corps défendant). J’étais fier et avais à peine plus
de 20 ans. Le monde ouvrier polonais se remuait, le « comité de défense des
ouvriers » (le futur KOR) balbutiait, s’organisait, et
nous, nous étions manipulés. Personnellement mon esprit (la vingtaine !)
était ailleurs, porté par la grivoiserie. Le 22 juillet était alors dans
ce pays communiste
« Fête
nationale » (Narodowe Święto Odrodzenia Polski, ou « journée
nationale de la renaissance de la Pologne). Cette fête disparaîtra en 1989 (je
pense au « 19 juin » de la dictature algérienne, mère de tous nos
malheurs). Grâce à « Vincennes », peu de temps après, je virais ma
cuti.
Le
commandant du chantier d’Olsztyn auquel je tendais la lettre du commandant du
chantier de Varsovie m’accueillit avec des fleurs et des salamalecs, c’est fou.
Je n’en revenais pas. Celui-ci (le chantier) était beaucoup plus léger que le
précédent. Nous y avions passé de très bons moments comme à Varsovie. C’est
pendant ce second chantier (dont j’ai demandé à proroger la durée) que j’ai rencontré mon amie C. (tiens, bonjour
C ! elle est, elle aussi, facebookienne ou kieuse) elle en raconterait,
des vertes et des pas mûres : Hi !
Ensemble
nous avions traversé toute une partie de l’Europe (à pieds, à cheval – âne – en
motocyclette, en bus (sans ticket), en autostop (Mozart dans une luxueuse Volvo
parfumée en Suisse, à plus de 150 km/h … et l’odeur de mes (nos ?) pieds),
en passant par Cieszyn, Brno, Linz, Bâle, Strasbourg (La Cité U)… jusqu’à
Paris, place de la République, à minuit.
Avoir
vingt ans est la portée de chacun, quel que soit son âge.
Je
découvre avec bonheur que Concordia existe toujours. Si je n’ai qu’un mot à
ajouter (aux jeunes) je dirais « Foncez ! » (c’est sur Facebook :
et ici :
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(1) J’ai
pris l’avion vendredi 13 juillet à 9 heures, d’Oran-Ben Bella pour
Marseille-Provence. J’y suis arrivé deux heures plus tard. La valise que j’ai
enregistrée à Oran m’a été restituée (dans un piteux état) dix-sept (17) jours
plus tard, le lundi 30 juillet ! J’y reviendrai bientôt dans un post.
Vive Air
Algérie !
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