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jeudi, juillet 30, 2020

704_ Sur les traces de... (4)

 

Sur les traces de… (IV)

Vers 15 heures Marc les conduit au pavillon de Jacques Latraverse, chez eux. La maison se trouve au cœur de la ville, dans la 54° Street. Sur la même rue, une façade attire leur attention. Elle est entièrement rose. Sur le grand panneau accroché à l’entrée, on peut lire : « Bruno’s Deli & pizza – eat or take out ». La maison de monsieur Latraverse est un pavillon à la couleur nacrée. Les portes, les fenêtres sans volets et l’encadrement sont d’un autre blanc, froid. Sur l’entablement de l’entrée, il est écrit 5419. La maison est un grand trois-pièces avec cuisine américaine. Elle est bâtie au centre d’une importante superficie. De part et d’autre de l’entrée du pavillon, deux grands frênes immobiles sont postés comme des sentinelles en temps de paix. Le long du côté gauche de la maison, un potager protégé par une clôture en bois, haute de cinquante centimètres, ne semble pas trop souffrir du climat. Le reste de l’espace est un jardin très soigné qui a la forme d’un U, où poussent différentes plantes, fleurs et gazon savamment harmonisés comme pour les légumes du potager. Dans celui-ci Monsieur Latraverse cultive des courgettes, tomates, petit-pois, brocolis… Des allées dallées entourent la maison de sorte que l’on a accès de toutes parts à chacune des zones cultivées.  Marc reste avec Omar et Véro le temps de leur donner toutes les informations nécessaires sur le fonctionnement des différents appareils de la maison et leur remettre une chemise remplie de documents divers que prépara à leur intention Jacques Latraverse. Puis, ensemble, Marc au volant du Westfalia, ils font un tour dans les larges artères de la ville. Omar conduit sur le trajet du retour. Après le départ de Marc, ils vident les valises de leur contenu et les rangent dans une partie de l’armoire libérée par monsieur Latraverse à leur intention. Les aiguilles trottent sur les poignets, mais pas le temps dirait-on, « tu as vu l’heure ? » s’exclame Véro. Il est près de 20 h et la luminosité est totale. Ce qui les fait rire. « C’est fou ça » dit Omar. Lorsqu’ils finissent de ranger, ils sortent. Ils contournent à pied le bloc de maisons par la droite jusqu’à la 50° avenue qu’ils empruntent. A l’angle de la 49° Street se trouve la banque Canada Trust. Ils font un retrait au guichet automatique et rentrent au Black Knight pub, dans la même rue. Omar dit comprendre pourquoi les rues sont vides. « Ils sont tous là ! » Le pub est en effet bondé. Dans le fond de la salle, un groupe écossais chante une chanson gaélique. Les consommateurs applaudissent et boivent. Les serveurs jonglent avec les plateaux surchargés de bouteilles et de verres. Omar s’amuse : « par moment on dirait Tri Yann », « sans cornemuse » sourit Véro. Ils ont commandé et attendent longtemps avant d’être servis. Bière Keith’s et Curry chicken Rotini pour Véro, Sawmill Creek Merlot et soupe de palourdes pour Omar. Pensant qu’on avait omis de lui donner le pain, Omar en réclame. Le garçon semble surpris, « there is not, but we’ll see ».

Le lendemain matin ils se rendent à l’Association franco culturelle où on les accueille à bras ouverts, « ah voilà les Français, Victor tu peux venir ? ». La discussion est aussitôt enclenchée : la France, le sud, le soleil. Victor est un Parisien installé à Yellowknife depuis plusieurs années. « La directrice se trouve au City-Hall », leur dit-il. Il se propose de les y accompagner. « C’est à deux pas », précise-t-il. En chemin il leur explique de quoi il retourne. Le prince William duc de Cambridge et son épouse, la duchesse Kate Middleton sont en tournée royale dans les TNO. Ils sont attendus d’un instant à l’autre devant l’esplanade de la mairie d’un instant à l’autre. La foule est celle des grands jours dit Victor. Quant à Marie Chaumont, elle est introuvable. Les deux compagnons restent toutefois avec Victor. Le couple royal arrive par hélicoptère. Il est très fortement applaudi. Des gardes le protègent de la pluie avec leurs grands parapluies noirs. Le prince et la princesse serrent quelques mains… Ils ont le sourire facile devant les innombrables appareils photo des spécialistes et des habitants admirateurs. Des représentants des T’atsaot’ine, ou Couteaux jaunes, portant des tuniques en daim de trappeurs comme celle de Davy Crockett, font un discours de bienvenue, puis entreprennent quelques pas de danse. Véro réussit à franchir la barrière de sécurité et prend des portraits au plus près du couple sans se soucier des policiers ni des gardes du corps indulgents. « On ne sait jamais » répond-elle à Omar qui la raille. Ni lui ni elle n’affectionnent ce type de manifestation et le font savoir à Victor, avec tout le tact nécessaire, bien qu’il ne soit pas lui même sujet de Sa Majesté la reine du Canada. Victor préfère rester. Véro et Omar reviennent vers la 50° avenue, passent devant la Diavik Diamond Mine et la CIBC Bank. À hauteur du restaurant AεW ils tournent à droite sur la 49° Street. Ils entrent au Frolic, un sympathique bar-restaurant français dont vient de leur parler Victor. La couleur est affichée dès la porte d’entrée. Un grand drapeau tricolore flotte sur le fronton. À l’intérieur, les quatre serveuses sont autant de Mariane portant un bonnet phrygien. Sur chaque table sont dressés deux fanions, l’un canadien, l’autre français. Le patron se prépare à recevoir la semaine prochaine, dans le jardin du restaurant, tous les citadins de Yellowknife amis de la France. La nuit du 14 juillet sera longue. Omar fait un clin d’œil à Véro « et si on cherchait un bar ou un restaurant algérien, c’est la fête nat. au bled aujourd’hui… » Il a une pensée pour M.B. et Maïssa Bey. Il aurait aimé participer à la manifestation de la librairie du musée. « Au Piranha-bar ! » fait Véro malicieuse. Omar ne relève pas ce qu’il considère comme une maladresse. Ils prennent deux jus avant de revenir au pavillon de l’Association franco culturelle. Cette fois ils la rencontrent la directrice. Marie Chaumont est une jeune et jolie brune qu’on jurerait sortie d’une agence de mannequins andalous. Ce que Skype, durant leurs échanges, ne laissait guère entrevoir ou deviner. Ses longs cheveux de jais tombent négligemment sur ses épaules, ses yeux noisette-noir brillent sous la poudre sombre qui souligne leur tour, leur élégance orientale. De grandes boucles en corail (imitation ?) rouge vif, pendent à ses oreilles. Marie est heureuse de les rencontrer. « Des Français qui s’aventurent jusqu’à Yellowknife, on n’en voit pas tous les jours » dit-elle en venant à eux. Elle leur présente ses collègues : Victor donc, mais aussi Alice, Rosalie et Pascaline « on s’est vus tantôt » dit Pascaline. Elle leur présente également des usagers : Gabriel, Dembe, Olivier et Noémie. Puis elle leur parle de l’association et de ses multiples activités. Elle leur donne toutes sortes d’informations sur la capitale et ses environs, mais aussi sur Dawson City et Inuvik. Elle leur fournit les coordonnées de Budget, une agence de location de voitures à Whitehorse. Lorsqu’ils lui demandent si son association est en relation avec celle de Whitehorse, Marie dit en connaître l’existence, mais pas vraiment les membres qui la dirigent ou la constituent. Les deux associations n’ont pas d’activités communes et n’échangent pas leurs expériences. Avant la fin de la rencontre, Marie téléphone à l’agence de location de Whitehorse. Elle se renseigne sur les prix et les disponibilités des véhicules. Quelques minutes lui suffisent pour conclure, avec l’accord de Véro et Omar, la réservation d’un monospace pour la période allant du mercredi 20 au jeudi 28. « Vous êtes tranquilles maintenant », leur dit-elle. Marie Chaumont semble aussi contente de leur rendre service qu’ils sont eux-mêmes contents de rencontrer des gens aussi avenants.

Vers midi, ils font des courses à Extra Foods un supermarché que leur suggéra Victor. Puis reviennent à la maison pour déjeuner. Omar propose de faire un grand tour avec le Kombi. Il dit vouloir mieux le connaître, en maîtriser la conduite. Sitôt soumise, l’idée est acceptée. Ils quittent le pavillon et prennent la vieille route de l’aéroport. Ils contournent la ville par le nord, empruntent la Frontier Trail, puis l’Ingraham Trail, la route qui passe devant la mine d’or Giant aujourd’hui désaffectée. La vitesse maximum est de soixante kilomètres à l’heure. De nombreux panneaux invitent à la prudence. La vitesse est encore plus réduite sur certains tronçons de Yellowknife où il est interdit de rouler à plus de trente kilomètres à l’heure. La conduite du Volkswagen n’est par conséquent ni stressante ni même fatigante. Au cinquième kilomètre après la mine on peut soit continuer, soit prendre à droite. Si on poursuit l’Ingraham Trail, on arrive à Tibbit Lake à une centaine de kilomètres. Au-delà il n’y a que des routes de glaces qu’on ne peut utiliser qu’entre mars et décembre. Ces routes mènent au Nunavut. Si on prend à droite, ce que font Véro et Omar, au kilomètre quinze on arrive à Dettah, un village indien qui se trouve en face de Yellowknife, sur le bord du Grand lac des Esclaves : Un grand panneau accueille le visiteur « Welcome to Dettah Yellowknives Dene First Nation Territory ». Pour s’y rendre en hiver, il est préférable d’emprunter la route de glace qui traverse le lac Slave en un de ses bras au nord. La route de l’hiver est directe et plus rapide. Deux cents mètres en aval de la grande route, le bâtiment gouvernemental du chef Drygeese est fermé. C’est une sorte de pentagone construit sur deux niveaux auquel on accède par plusieurs escaliers et plusieurs portes vitrées. Sur la principale, un autocollant indique « please report to receptionist for assistance – Mahsi Cho » sur la seconde une pancarte signale « Closed ». Une quinzaine d’épaves de motoneiges, trois tipis, une peau d’ours semblent abandonnés sur un grand terrain vague. Dans le village engourdi, il n’y a rien d’intéressant. Hormis des gamins et le chien inuk fatigué qu’ils poursuivent. Dettah donne l’impression que pas une âme n’y vit ou que ses habitants sont reclus dans les maisons, ou qu’ils en sont absents. Plus loin, sur des monticules de gravier traînent des objets de toutes sortes : carcasses de vélo, caisses en métal et en bois, pneus… En retrait de ce bric-à-brac, au bord du lac Slave, une autochenille semble attendre l’hiver. Étrange sensation de désolation. Les deux collègues ne s’attardent pas à Dettah. Sur le retour ils croisent deux renardeaux portant chacun dans la gueule, fièrement, une énorme dépouille de corbeau. Ils avancent sur le bas-côté de la route et le bruit du véhicule ne semble pas les perturber. Omar donne son verdict bien avant la fin du tour qu’ils s’imposèrent : « Le Westfalia est impeccable ». En lisant le carnet d’entretien, Véro remarque que le véhicule possède un suivi mécanique rigoureux. Une révision préventive générale avait même été réalisée en juin. Tout avait été vérifié : pneus, freins, suspension, la direction, le moteur… « Il est impeccable », reprend Véro.

Le soir ils se retrouvent au Mackenzie Lounge sur la 49° Street avec Marc, Karin, Marie et Victor. Marc invita ses collègues Rob Ruben et Joneen Jensen, mari et femme, tous deux reporters pour CBC-North. Les fishs and ships et la Yukon gold sauce sont succulents. Sur scène le chanteur folk Craig Cardiff remporte un vif succès. Le pub est comble. Ils ont de la chance. La voix est langoureuse, habitée de mélancolie… « Here’s to the year where we learned that Fear/Rents the cheapest room in the house, dear/Love called and said she found a better room/ To the year where we stayed awake/ And talked about how the earth quaked/ It surely must be a sign the sky would fall » Rob et Joneen sont friands d’informations. Ils veulent connaître les raisons qui amènent Véro et Omar dans ce coin perdu, « this lost town ». Les Marseillais leur détaillent le projet qui ravit les journalistes. Joneen parle correctement le français. Mais hélas pour eux les Canadiens ne savent rien sur cette mosquée qui a flotté des milliers de kilomètres sur le Mackenzie. Ils demandent même si cela n’est pas une plaisanterie, ce qui contrarie Véro et Omar. Toutefois, Joneen et son compagnon invitent les Marseillais, qui n’y voient pas d’inconvénient bien au contraire, à parler de leur projet à la radio. Ils prennent rendez-vous pour le vendredi au pavillon de la 54° Street.  La discussion allant, on leur vante le village de Tuktoyaktuk – on dit Tuk – ses entrepôts souterrains, et surtout cette femme, la mère Ninguiukusuk qui n’a plus d’âge, dont le corps porte les stigmates de taillades de plusieurs ours et qui aime à raconter son passé chaotique dans le restaurant qu’elle tient dans un des nombreux sous-sols frigorifiés de Tuk. C’est un village méconnu aujourd’hui, mais pas pour longtemps assurent-ils. Pourquoi, parce que ses entrailles sont potentiellement riches de plus de vingt pour cent des réserves mondiales d’hydrocarbures. La semaine prochaine et la suivante il va s’y tenir un important festival des arts premiers qu’il ne faut pas manquer. C’est à cent quarante kilomètres au nord d’Inuvik. « Mais en été il n’y a pas de route, on ne peut y accéder qu’en avion » dit Rob. Dans dix ans, peut-être y aura-t-il une « route tout temps », fonctionnelle en été comme en hiver, « mais nous n’y sommes pas encore » tempère-t-il. Pendant la discussion, Marc présente aux Marseillais un jeune homme qu’il invite à se joindre au groupe. « Just a drink » s’enthousiasme celui-ci en tendant la main. Il affiche un large sourire : « Jean-Pierre Fontaine ». Marc dit : « nos amis viennent de France ». Jean-Pierre est un jeune poète francophone, originaire de La Gaspésie. Il est membre de North words writers, une association d'auteurs dont la majorité est anglophone. Lui est un parfait bilingue. Il est aussi journaliste à L'Aquilon, un hebdomadaire francophone de la région. La soirée est longue et belle en promesses. Le jeune poète est ravi lorsqu’il prend connaissance des projets de Omar et Véro « surtout ne manquez pas les bains à Liard River Hots Springs, ils sont exceptionnels, c’est sur votre route, à cent quatre-vingt-cinq miles seulement de Fort-Nelson. » Jean-Pierre est un amoureux de la France, particulièrement des nuits parisiennes de Montmartre et du Quartier latin. Il en parlerait pendant des heures. Emporté par la bonne humeur et les souvenirs, il se laisse aller à déclamer des poèmes, debout, devant le micro abandonné par Craig Cardiff le temps d’une pause : « Le son de tes voies coul’ dans mes veines/ N’avais-je pas suffisamment d’audace/ Pour tatouer sur ton corps mes peines/ Retrouverai-je tes artèr’, tes places ?/ Dis-moi Panam’ si ma quête est vaine. » Pour ne pas froisser les anglophones, majoritaires dans le lounge, Jean-Pierre Fontaine lit Cachalot, un poème célèbre de Edwin John Pratt. A thousand years now had his breed/ Established the mammalian lead;/ The founder (in cetacean lore)/ Had followed Leif to Labrador;/ The eldest-born tracked all the way/ Marco Polo to Cathay;/ A third had hounded one whole week/ The great Columbus to Bahama;/ A fourth outstripped to Mozambique/ The flying squadron of de Gama… Jean-Pierre n’est pas un inconnu. Il est chaleureusement applaudi par les uns et les autres. Marie informe les Marseillais que Jean-Pierre anime pour l’association des activités culturelles comme des lectures de textes ou des ateliers d’écriture créative. « Soyez les bienvenus leur dit Jean-Pierre en ouvrant grand les bras, venez participer à l’atelier du mercredi » « Avec plaisir, demain ? » répondent ensemble les Marseillais.  « C’est dans une semaine, vous serez encore là ? »

 

(à suivre…)

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