Ce qui suit a été proposé sur Facebook au jour le jour, durant le mois de ramadan, 30 jours (ou 29) à compter du lundi 11 mars 2024.
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Je vous souhaite un bon ramadan. Que la zénitude et la sagesse encouragent et stimulent votre état de vigilance et d’éveil. Que l’esprit supérieur vous guide.
Voici donc arrivé chahr el moubarek. Comme promis je vous proposerai chaque jour quelques lignes d’un texte que j’avais écrit et qui concerne le grand éclairé éclaireur, Ibn Rochd dit en Europe Averroès. Quand j’en aurai fini avec ce texte, je vous proposerai le texte complet du philosophe, son texte le plus célèbre, « Traité (ou Discourt) décisif ». Il n’est pas facilement abordable, mais l’adage ne dit-il pas « quand on veut on peut » ?
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Bonjour à tous, Ramadan, de nouveau, frappe à nos portes. Le mois de la sagesse. De la fraternité. De la réflexion. De l’altruisme. Avec lui arrive (ou devrait arriver) la paix pour qui veut se réconcilier avec soi. Et avec les autres. Un mois durant lequel l’esprit positif tente de s’élever au plus haut de ce que peut ‘l’être’. Dès demain, premier jour de ce mois de jeûne, je vous proposerai une série de courts texte sur IBN ROCHD (AVERROÈS) ainsi que, à leur suite, son « discours décisif » intégral, tel qu’il l’a écrit en 1179, intitulé exactement « Fasl al-maqal fima bayn al-hikma wa as-shari’â min al-ittisal » (une traduction de Léon Gauthier) et qui commence ainsi : « Le jurisconsulte très considérable, l'incomparable, le très docte, le grand Maître, le qâdhi très équitable, Abou’l-Walid Mohammed ben Ahmed ben Mohammed ben Ahmed ben Ahmed Ibn Rochd (Dieu l'agrée et lui fasse miséricorde !) a dit :… »
En attendant je vous propose cet extrait, le deuxième, du formidable film de Youssef Chahine « Le Destin, Al Massir » (1997).
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Bonjour à tous,
La semaine prochaine, nous retrouverons le mois de ramadan et avec lui apparaitront (de nouveau) les casseroles, le haraj, l’irritabilité, les Grandes hypocrisies, l’incompréhension, la bouffe en veux-tu en voilà…les bousculades (pourquoi ?) dans les mosquées, et les débiles de chez débiles et rétrogrades émissions de télévision où les neurones voltigent au raz des doigts de pieds, à se jeter du plus haut pont ou de la plus haute falaise. Mais avec ramadan arrive aussi la paix pour qui veut se réconcilier avec soi. Et avec les autres (je fais ici offre en la matière). Un mois durant lequel l’esprit peut se fracasser dans le bruit et la fureur ou tenter de s’élever au plus haut de ce que peut ‘l’être’ (quel que soit le lieu, la mosquée n’est pas du tout obligatoire). Les pourfendeurs de l’humanité comme ceux qui en font l’éloge sont des Hommes. Prenons de ces derniers ce qu’il y a de mieux en eux. Parmi ces hommes, notons à l’encre indélébile celui de l’éveillé, du « commentateur, le jurisconsulte très considérable, l'incomparable, le très docte, le grand Maître, le qâdhi très équitable », Abou’l-Walid Mohammed ben Ahmed ben Mohammed Ibn Rochd, un des plus grands philosophes. La philosophie a longtemps été décriée dans le monde musulman (et l’occident aussi). Dans Fasl al-maqal fima bayn al-hikma wa as-shari’â min al-ittisal Ibn Rochd questionne l’accord entre la religion et la philosophie (Traité décisif). Il écrit : « Que la Loi divine invite à une étude rationnelle et approfondie de l'univers, c'est ce qui apparaît clairement dans plus d'un verset du Livre de Dieu (le Béni, le Très-Haut !) » Je vous présenterai chaque jour du mois sacré page après page, un article que j’avais proposé au Quotidien d’Oran qu’il a bien voulu reproduire, il y a quelques années, puis, à sa suite, « Traité décisif » d’Ibn Rochd tel qu’il l’a écrit.
(NB : en novembre dernier, je lui avais proposé un long article sur Ibn Thufaïl (précisément : « Hayy ben Yaqdhân ») qu’il n’a pas cru bon retenir. Vous le trouverez sur mon site et mon blog)
À très bientôt.
En attendant, ces extraits sublimes de « LE DESTIN » de Youssef Chahine (1997)
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Jour 1 de Ramadan- lundi 11 mars 2024
Ibn Rochd
« Le but du dirigeant vertueux est d’orienter sa gouvernance vers la perfection afin de parvenir à la cité juste, la cité parfaite, la « cité de beauté » où le citoyen peut atteindre sa fin suprême qui est le bonheur »
« Que la Loi divine invite à une étude rationnelle et approfondie de l’univers, c’est ce qui apparaît clairement dans plus d’un verset du Livre de Dieu (le Béni, le Très-Haut !). Lorsqu’il dit par exemple : ‘‘Tirez enseignement de cela, ô vous qui êtes doués d’intelligence !’’ (Coran LIX, 2), c’est là une énonciation formelle montrant qu’il est obligatoire de faire usage du raisonnement rationnel, ou rationnel et religieux à la fois. » 1- (Ibn Rochd (Averroès), « L’accord de la religion et de la philosophie. Traité décisif. Traduit de l’arabe par Léon Gauthier. Ed. Sindbad, Paris, 1988, 70 p. Page 12.)
« L’homme a naturellement la passion de connaître. » (La Métaphysique, Aristote. Livre 1°- chapitre 1°. Traduction J.B. Saint-Hilaire. Librairie G. Baillière. 1879.)
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En ce début du mois de ramadan, nous célébrons la naissance, il y a près de neuf siècles, de Abû-l-Walid Mohammed bnou Ahmed bnou Rochd, l’un des plus illustres penseurs andalous, dont le nom orne les portails de nombreux établissements scolaires en Algérie, mais qui disparaît dès qu’on les a franchis. Qui est Ibn Rochd ? C’est l’objet de cette contribution. J’appréhenderai ce savant d’abord par son identité, puis par son parcours, sa pensée, son rapport au pouvoir, à la cité où il vécut, et finirai par évoquer quelques regards sur son œuvre/sa personne, par des hommes de son temps ou non.
Ibn Rochd et l’Andalousie
(à suivre)
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Jour 2- mardi 12 mars 2024
Ibn Rochd et l’Andalousie
Ibn Rochd « le fils de la rectitude » était Juriste, physicien, astrologue, philosophe (hakim-sage), médecin, au temps d’al-Andalous. En Espagne où il naquit, et en Occident de manière générale, Ibn Rochd al Qortobi est connu sous son nom latinisé Averroès ou « Le commentateur ». Il y est admis comme « l'un des pères de la philosophie occidentale » ou encore « le précurseur de la pensée rationaliste occidentale ». Nous savons beaucoup de choses sur la pensée et les écrits (ses propres écrits en arabe ou retraduits) d’Ibn Rochd, mais peu sur lui, son identité, sa famille. Il est né le 14 avril 1126 (520 H) à Cordoue, mort le 10 décembre 1198 (595 H) à Marrakech. Il était Espagnol et ses aïeux probablement Berbères, très certainement pas de la périphérie du Nejd comme le suggère étrangement Luis Borges dans une de ses nouvelles. (La quête d’Averroës. (in L’aleph). Jorge Luis Borges. https://ahmedhanifi.com/la-quete-daverroes/)
« La lignée des Banû Rushd est connue à partir de l’arrière-grand-père de notre philosophe, Ahmad b. Ahmad b. Muhammad b. Ahmad b. ‘Abd Allah b. Rushd. Ce nasab (généalogie incluse dans la nomination) indique que la famille était déjà musulmane depuis au moins trois générations », écrit Urvoy.( Averroès, les ambitions d’un intellectuel musulman. Dominique Urvoy. Ed. Flammarion/Champs biographie, Paris, 2008_ 253 p. Pages 18, 150,152.)
Notons que tous les philosophes espagnols de cette époque sont dits « arabes » en référence à la langue qu’ils utilisaient et non à leur origine ethnique, ils avaient pour la plupart une ascendance berbère. De même, les dynasties berbères almoravides (almorabitoun), almohades (almowahhidoun), zirides (ezziriyoun)… sont parfois dites « arabes ». Au début du 12° siècle, le sud de l’Espagne et du Portugal était sous domination des Almoravides (1086-1147), puis des Almohades (1147-1248), une autre dynastie berbère qui serait chassée par la Nasride, dernière dynastie musulmane en Espagne (milieu du 12° à fin du 15° siècle). La période dite de « l’âge d’or de l’Islam » (9° au 13° siècle) couvrait trois continents. Les savants n’étaient pas tous musulmans, mais Ibn Khaldoun écrivait : « Parmi les plus grands (philosophes) musulmans, on citera Abû-Nasr al-Fârâbî et Abû-‘alî Ibn Sînâ (Avicenne) en Orient, le cadi Abû-l-Walîd b. Rushd (Averroès) et le vizir Abû-Bakr b. as-Sâ’igh (ou Ibn Bajja, ou Avempace), en Espagne ». (Discours sur l’Histoire universelle – Al Muqaddima, Ibn Khaldûn. Traduction nouvelle, préface et notes de Vincent Monteil. Éditions Sindbad, Paris, 1978, T3, 1440 p. Pages 1047-1048.)
Nous pouvons ajouter d’autres noms qui furent célèbres comme les orientaux Al-Razi (Iran), al-Kindi (Irak), Al-Ghazali (Iran) et les Occidentaux-Andalous Ibn Tufayl, Ibn Arabi, Hafsa Rakumiyya, Wallada bint al mustakfi, Ibn Sab’în, Maïmonide, qui n’était pas musulman. Et d’autres.
(à suivre)
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Jour 3- mercredi 13 mars 2024
Suite de « Ibn Rochd/ Averroès
La péninsule ibérique était alors florissante, les pouvoirs favorisaient la connaissance, les salons littéraires se multipliaient. Cordoue comptait plus de 300.000 habitants. « Au ‘‘pays de bénédiction’’, Alméria tissait la soie sur 800 métiers, produisait des instruments de cuivre, Alicante possédait des chantiers de construction navales… À partir d’Abou-Ya’qoub, il est impossible de séparer le Maghreb de l’Espagne… » écrit Charles-André Julien.(Histoire de l’Afrique du nord. Charles-André Julien. Ed Payot, Paris 1975, T2, 368 p. Pages 121,122.) Au Maghreb les Almohades régnèrent (1147-1260) de Tanger à Tunis et au-delà.
Très jeune, Ibn Rochd avait appris tout le Coran. Il aimait la poésie, la musique. Son père et grand-père étaient juges à Cordoue, très proches de la dynastie almoravide. Afin de le distinguer de ses parents, on l’appelait « Ibn-Rochd al hafid ». Plus tard, il ferait des études de fiqh et des hadiths. Il s’intéresserait à la physique, à l’astrologie, à la philosophie par le biais des écrits du perse Al-Farabi (872-950), mais surtout de ceux d’Ibn Bajja de Saragosse (1085-1138), Avempace pour les Européens… Il étudierait la médecine auprès de Abû Ja’far al-Trujjâli ( ?- 1180).
Ibn Rochd a écrit une soixantaine d’ouvrages qui traitent de médecine, de théologie, de droit, de philosophie… comme Fasl al-maqal fima bayn al-hikma wa as-shari’â min al-ittisal (L’accord entre la religion et la philosophie - Traité décisif), Le Commentaire du Traité de l’âme (De Anima) d’Aristote, Bidayat al-Mujtahid wa Nihayat al-Muqtasid (Le début pour qui s’efforce et la fin pour qui est partial, traité de droit), Tahafut at-tahafut, (l’Incohérence de l’incohérence), Al-Kulliyât, (Colliget ou Le livre des généralités, médecine), d’innombrables Commentaires (grands, moyens, petits)…
(à suivre)
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Jour 4- jeudi 14 mars 2024
Suite de Ibn Rochd (Averroès)
Ibn Rochd (Averroès) avait 34 ans lorsque son ami et érudit Ibn Tufayl, (50 ans) le présenta à Abu Yacub Youssef qui succèderait bientôt à son père Abdelmoumen, mort en 1163. Ibn Tufayl (1110-1185), était mathématicien, philosophe, astronome, médecin et romancier. Il a écrit en 1170 une œuvre majeure. « L’épître d’Ibn Tufayl Hayy ibn Aqzan est un chef d’œuvre de la pensée arabe classique, de la pensée tout court. » (Robinson de Guadix. Jean-Baptiste Brenet. Ed. Verdier, Lagrasse 2021, 115p. Page 97. (Lire le bel article de Faris Lounis « Le philosophe sans maître d’Ibn Tufayl » Le Quotidien d’Oran, 13 mars 2021).
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Ajouté ce jour 14 mars 2024 : lire ici mon article très détaillé sur Hayy ibn Aqzan :
https://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/.../818-hayy-ben...
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Ibn Rochd, un intellectuel organique
Abu Yacub Youssef, « le calife intellectuel » devenu amir al-mou’minin, fit savoir à Ibn Tufayl qu’il cherchait quelqu’un qui pût résumer Aristote. Voici comment en parle Ibn Rochd à l’un de ses élèves : « Abû Bakr Ibn Tufayl me fit appeler un jour et me dit ‘‘ j’ai entendu aujourd’hui le prince des croyants se plaindre de l’incertitude de l’expression d’Aristote ou de celle de ses traducteurs. Il a évoqué l’obscurité de ses desseins et a dit : ‘Si ces livres pouvaient trouver quelqu’un qui les résumât et qui rendît accessibles ses visées après l’avoir compris convenablement, alors leur assimilation serait plus aisée pour les gens.’’ Si tu as en toi assez de force pour cela, fais-le. » (Averroès, les ambitions d’un intellectuel musulman. Dominique Urvoy. Ed. Flammarion/Champs biographie, Paris, 2008_ 253 p. Pages 18, 150,152.)
Et Ibn Rochd le fit. Ainsi et dans la tradition des Miroirs des princes (Kalila et Dimna ou l’éducation des princes) Ibn Rochd fut engagé. Il entreprit de « traduire » tout Aristote « le plus sage des Grecs » pour lequel il avait une grande admiration, plus tard il deviendrait le médecin du sultan à la suite de Ibn Tufayl. « Nous adressons des louanges sans fin à celui qui a prédestiné cet homme, Aristote, à la perfection, et qui l’a placé au plus haut degré de l’excellence humaine. » (Averroès et l’averroïsme. Ernest Renan. Ed. Ennoïa, Rennes 2003, 377 p. Pages 56, 31,100, 30.)
Ibn Rochd avait déjà composé l’Abrégé du ‘‘Mustasfa min ilm al-usul’’ d’Al-Ghazali, en 1157, et au cours des deux années qui suivraient il rédigerait un Abrégé de l’Almageste de Ptolémée, et un Traité des Météorologiques d’Aristote, puis des Commentaires moyens sur l’Organon, un ensemble de traités d’Aristote et beaucoup d’autres ouvrages plus tard. Parmi ses livres les plus retentissants figurent Discours décisif (1179) et L’incohérence de l’incohérence (1180-1181) dans lesquels Ibn Rochd défend l’importance de la philosophie.
Si Makram Abbès ne pense pas qu’Averroès était « un simple instrument aux mains du Pouvoir qu’il aurait servi durant un demi-siècle… non, Averroès n’a pas du tout été un intellectuel organique comme l’avancent certains9 », Alain de Libera nuance : « Un philosophe médiéval ne peut être qu’un intellectuel organique. Quand il est organique par son statut social et socialement critique par la réforme et le contenu de son activité, il vaut mieux se le représenter comme philosophe engagé. » (Averroès. L’Islam et la raison. Anthologie. Traduction et notes par Marc Geoffroy. Présentation par Alain de Libera. Ed. GF Flammarion. Paris, 2000. 226 p. Page 51.)
(à suivre)
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Jour 5- vendredi 15 mars 2024
Suite de Ibn Rochd (Averroès)
Comme d’importantes divergences opposaient Ibn Rochd au Calife Al Mansour, le petit-fils de Abdelmoumen Ben Ali Agoumi ennedromi, il n’hésita pas à démissionner de ses charges (voir absolument le beau film de Youcef Chahine « Le Destin » — a-t-il été jamais projeté en Algérie ?)
« Dans Commentaire de ‘‘La République’’ de Platon, Averroès exprime très nettement son attitude envers les trois souverains almoravides, respectant le premier, mais voyant dans les deux autres l’incarnation type de la dégradation des régimes politiques telle que la décrit Platon… Averroès dénonce la résurgence du pouvoir de l’argent, qui ne laisse le plus souvent place qu’à des attitudes encore plus ‘‘abjects’’. » ( Averroès, les ambitions d’un intellectuel musulman. Dominique Urvoy. Ed. Flammarion/Champs biographie, Paris, 2008_ 253 p. Page 150.)
Les trois souverains almoravides sous lesquels vécut Ibn Rochd, avant que ne les supplantent les Almohades, sont : Ali Ben Youssef fils de Youssef Ben Tachine, Tachfin Ben Ali et Ibrahim Ben Tachfin qui fut tué à Oran par les Almohades en 1147. Il ne régna que quelques mois.
Une seule vérité, plusieurs voies.
(à suivre)
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Jour 6- samedi 16 mars 2024
Suite de Ibn Rochd (Averroès)
Une seule vérité, plusieurs voies.
Dès les premières pages du Traité décisif il écrit : « Notre but dans ce traité est d’examiner si l’étude de la philosophie et des sciences logiques est permise ou défendue par la religion ou prescrite » et cite deux versets du Coran (s59/v2 et s12/v184). Il y a une obligation coranique pour les savants, les sages, « d’examiner le royaume des cieux et de la terre et toutes les choses que Dieu a créées » (s7/v185 et non s6/v75 comme indiqué par l’auteur) (Averroès. Ali Benmakhlouf. Ed. Perrin/Les Belles Lettres- tempus Philo- Paris, 2009_ 242 p. Pages 36, 142.)
Sur l’ensemble du Traité décisif (ou Discours décisif) il cite 23 versets du Coran. Ibn Rochd déduit qu’il est obligatoire de faire usage du raisonnement rationnel ou rationnel et religieux. « C’est pour nous une obligation de nous appliquer à la spéculation par le syllogisme rationnel (el qiyyas el ‘aqli) et par la forme la plus parfaite de celui-ci qui est la démonstration (al-borhan) ». La démonstration dit Ibn Rochd incombe aux philosophes, « gens de la démonstration ». La voie démonstrative dévoile le contenu de la voie révélée qui est caché derrière le « sens obvie » écrit Alain de Libera dans l’introduction au Discours décisif, dont il dit qu’il n’est pas une œuvre philosophique, mais une fetwa, un avis juridique.(Averroès : Discours décisif. Traduction de Marc Geoffroy, introduction de Alain de Libera. Ed GF Flammarion, Paris 1996, 254 p. Pages 119, 11, 115.)
(à suivre)
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J’ai ajouté un documentaire d’Arte diffusé hier vendredi 15 mars sur l’Islam à Grenade (Orgiva). Il ne traite pas d’Ibn Rochd, mais on n’en est pas loin. Il se dégage de cette vidéo une grande sérénité.
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Jour 7- dimanche 17mars 2024
Suite de Ibn Rochd (Averroès)
Ce noble terme de fetwa a subi par le fait d’un glissement sémantique médiatique un détournement, de sorte qu’aujourd’hui il signifie tout autre chose, une condamnation, une mise à mort, qui n’a plus rien à voir avec son sens initial, un avis juridique.
Il y a une seule et même vérité, mais les chemins qui y mènent sont différents. « À la multitude appartient de s’en tenir au sens littéral ; l’interprétation relève du philosophe, qui découvre des vérités dont la connaissance est le culte même qu’il rend à Dieu. On comprend que cette philosophie syncrétiste, admettant qu’une même vérité peut se présenter sous des formes diverses, ait inquiété les théologiens professionnels et pu faire soupçonner son auteur d’hérésie. » (Histoire de l’Afrique du nord. Charles-André Julien. Ed Payot, Paris 1975, T2, 368 p. Pages 121,122.)
En effet, la vérité révélée dans le Coran peut être atteinte par la voie de la démonstration ou par la voie non-démonstrative. Si la première est réservée aux philosophes, la voie non démonstrative, la voie de la rhétorique ou dialectique est destinée aux « théologiens (al-mutakallimoun) qui soulèvent des doutes sur le sens apparent du texte sacré sans disposer du moyen de les résorber » (Averroès. Ali Benmakhlouf. Ed. Perrin/Les Belles Lettres- tempus Philo- Paris, 2009_ 242 p. Pages 36, 142.) et à la masse (al-joumhour) qui ne dispose pas non plus des outils pour décrypter le Livre, car tous les esprits ne sont pas à même de pouvoir philosopher. Telle était la perception d’Ibn Rochd.
Jamais il ne parla de « double-vérité » comme on le lui a souvent reproché, il y a là un contresens. Il n’y a qu’une vérité accessible par des voies différentes. Selon nos capacités cognitives propres, nous avons accès à la sensation, à l’imagination et aux intelligibles. Ces derniers étant le domaine des philosophes. Il y a chez Ibn Rochd une démarche élitiste assumée. « Nous musulmans savons de science certaine que l'examen des étants par la démonstration, n'entraînera nulle contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé́ : car la vérité́ ne peut être contraire à la vérité, mais s'accorde avec elle et témoigne en sa faveur » (Averroès : Discours décisif. Traduction de Marc Geoffroy, introduction de Alain de Libera. Ed GF Flammarion, Paris 1996, 254 p. Pages 119, 11, 115.) Toute interprétation sans les armes du savoir et contre lui ne peut qu’engendrer de graves dérives. Nous conviendrons que l’actualité de ce 21° siècle en regorge.
« L’entreprise philosophique c’est d’abord la saisie et la compréhension des intelligibles. La fonction première de l’intellect/la raison c’est de saisir et comprendre les intelligibles, c’est l’aspect le plus important de la raison » souligne le professeur Souleymane Bachir Diagne. (Lire Comment philosopher en Islam ? Souleymane Bachir Diagne. Ed. Philippe Rey / Jimsaan, 2013.)
Il n’est malheureusement pas possible ici d’aller plus avant sur les questions relatives aux différents intellects, à la puissance commune de penser (l’intellect-agent est-il éparé, pas séparé ?) et à celle de leur synergie et l’intellection, elles exigeraient plus d’espace et ouvriraient sur d’autres perspectives hautement exigeantes.
(à suivre)
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Jour 8- lundi 18 mars 2024
Suite de Ibn Rochd (Averroès)
L’essentiel des positions d’Ibn Rochd à travers Al Kashf ‘an manâhij al-adilla (Dévoilement des méthodes de démonstration des dogmes de la religion musulmane) et dans Tahafut al-Tahafut (L’Incohérence de l’incohérence) est clair, écrit Alain de Libera :
« a) l’obligation de philosopher est prescrite par la Révélation,
b) elle est adressée aux ‘‘hommes de démonstration’’,
c) la théologie véritable a pour tâche de montrer par ses résultats mêmes que la philosophie est indispensable à la préservation du noyau littéral dur du Texte révélé contre les ‘‘innovations blâmables’’ de la théologie sectaire » (Averroès. L’Islam et la raison. Anthologie. Traduction et notes par Marc Geoffroy. Présentation par Alain de Libera. Ed. GF Flammarion. Paris, 2000. 226 p. Page 51.)
La cité vertueuse
Comme le médecin soigne les corps, le philosophe, ‘‘le philosophe-roi’’ (ce dirigeant idéal de Platon) soigne les âmes des citoyens. « Il n'y aura donc de cesse aux maux de l'espèce humaine, avant que, soit l'espèce de ceux qui philosophent droitement et en vérité n'accède au pouvoir politique, soit ceux qui sont puissants dans les cités, par quelque grâce divine, ne se mettent réellement à philosopher » (Platon, la Lettre VII, 326 b). Le philosophe-roi ou le roi-philosophe doit être doté des quatre types de vertus (al-fada’îl) ou arété grec : le premier type englobe les vertus théoriques (al-fada’îl nadhariya), le deuxième est celui des vertus intellectuelles (al-fada’îl al-fikriya), le troisième est celui des vertus morales (al-fada’îl al-kholoqiya), le quatrième et dernier type regroupe les vertus pratiques (al-fada’îl al-‘amaliya). Le but du dirigeant vertueux est d’orienter sa gouvernance vers la perfection afin de parvenir à la cité juste, la cité parfaite, la « cité de beauté » où le citoyen peut atteindre sa fin suprême qui est le bonheur.- Lire Islam et politique à l’âge classique. Makram Abbès - PUF, Paris, 2009 - 320 p.)
(à suivre)
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Jour 9- mardi 19 mars 2024
Suite de Ibn Rochd (Averroès)
Et l'exemple premier du citoyen ordinaire est donné par les gouvernants. S’ils font fi des vertus attendues d’eux par le peuple, la corruption et l’immoralité s’installent aux différents niveaux de la société, de la cité.
« Platon (écrit Al-Farabi) évoque le grand nombre des citoyens des cités et des nations. Il affirme que l’homme parfait, l’homme qui cherche, et l’homme vertueux y sont en grave danger ; on doit trouver un moyen de faire que le grand nombre des citoyens changent de mode de vie et d’opinion pour adopter la vérité et le mode de vie vertueux ou s’en approcher’’ » Al-Farabi « La philosophie de Platon, son ordre, ses parties », cité par Ali Benmakhlouf. (Pourquoi lire les philosophes arabes. Ali Benmakhlouf. Ed. Albin Michel, Paris 2015, 203 p. Page 115.)
Dans une cité qui vise la perfection, les citoyens sont égaux. Les hommes et les femmes ont quasiment strictement les mêmes droits et devoirs. « Un dialogue imaginé en 1189 entre Ibn Rochd et la poétesse Hafsa bint al-Hajj, dite Al-Rakuniyya, est l’occasion de rappeler l’engagement précurseur du philosophe en faveur de l’égalité des sexes, mais aussi d’interroger la possibilité de côtoyer, voire de servir, le pouvoir tout en défendant une ‘‘éthique du dire-vrai’’ » écrit Khalid Lyamlahy. (« Zone critique », 24 octobre 2020). Quant à Urvoy, il écrit : « Sur la question féminine, Ibn Rochd s’avance seul. Il développe sans la moindre restriction, la thèse platonicienne de l’égalité des sexes : ‘‘ Dans ces États, la capacité des femmes n’est pas reconnue, car elles y sont prises seulement pour la procréation.
Elles sont donc placées au service de leur mari et (reléguées) au travail de la procréation, de l’éducation et de l’allaitement. Mais cela annule leurs (autres) activités. Du fait que les femmes, dans ces États, sont des êtres faits pour aucune des vertus humaines, il arrive souvent qu’elles ressemblent aux plantes. Qu’elles soient un fardeau pour les hommes, dans ces États, est une des raisons de la pauvreté de ces (mêmes) États. » À mille lieues de cette position, dans ‘‘Kitab at-tibr al-masbuk fi nasihat al-muluk’’ (Le Miroir du prince et le conseil aux rois), « Al-Ghazali reprend tous les préjugés sur la femme qui est un être foncièrement mauvais, soumis à la passion qui est parfois en deçà de l’humanité ». (Makram Abbès. École normale supérieure de Lyon, 2009.)
La persécution
« Sans Avicenne (Ibn Sina) d’abord et sans Averroès (Ibn Rochd) ensuite, l’Europe telle qu’elle est n’aurait pas existé, disait naguère un spécialiste d’Ibn Rochd (Jean-Baptiste Brenet lors de la 24° édition des « Rencontres d’Averroès » (Marseille, 16 novembre 2017)
Ibn Rochd était réellement seul sur tant de sujets. « Nul philosophe n’aura été plus mal compris ni plus calomnié qu’Averroès... Philosophe impénitent, rationaliste intrépide ou cynique, homme d’une “double foi” ou inventeur du “double langage”, tous les qualificatifs lui ont été attribués. »
(La Philosophie médiévale, Alain de Libera. Paris, PUF, 1993. Page 161.) Ernest Renan fut à la fois élogieux et très critique, très dur envers Ibn Rochd : « Il faut rendre cette justice à la philosophie arabe, qu’elle a su dégager avec hardiesse et pénétration les grands problèmes du péripatétisme et en poursuivre la solution avec vigueur.
(à suivre)
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Jour 10- mercredi 20 mars 2024
Suite et fin de Ibn Rochd (Averroès)
« Il faut rendre cette justice à la philosophie arabe, qu’elle a su dégager avec hardiesse et pénétration les grands problèmes du péripatétisme et en poursuivre la solution avec vigueur écrit Ernest Renan. En cela, elle me semble supérieure à notre philosophie du Moyen-Âge, qui tendait toujours à rapetisser les problèmes et à les prendre par le côté dialectique et subtil.» Sur sa sévérité à l’égard du penseur il rectifierait « j’ai sous-évalué cette figure » (rapporté par Ali Benmakhlouf)
Stimulés par le sultan Al-Mansur qui a interdit la philosophie et qui voulait que l’on sache qu’il maudissait les égarés, les adversaires d’Ibn Rochd s’organisèrent contre ce dernier. Sa pensée est dénoncée dans des réunions, une plainte est déposée contre lui. Un jour alors qu’il était dans la mosquée de Cordoue avec son fils Abd Allah, il en fut expulsé « par une poignée de la lie du peuple ». « Ibn-Rochd ne fut pas persécuté́ seul; on nomme plusieurs personnages considérables, savants, médecins, faquihs, kadhis, poètes, qui partagèrent sa disgrâce. ‘‘La cause du déplaisir d’Almansour, dit Ibn-Abi-Oceibia, était qu’on les avait accusés de donner leurs heures de loisir à la culture de la philosophie et à l’étude des anciens’’. La disgrâce des philosophes trouva même des poètes pour la chanter. » (Averroès et l’averroïsme. Ernest Renan. Ed. Ennoïa, Rennes 2003, 377 p. Pages 56, 31,100, 30.)
Accusé d’hérésie, Ibn Rochd est banni et exilé dans la petite ville de Lucena au sud de Cordoue. Ses livres seraient brûlés. Près d’un siècle plus tôt, al-Ghazali (Tahafut al-falasifa) condamnait la philosophie qu’il opposait au Texte sacré et accusait les philosophes d’impiété alors que lui-même opta pour la démarche philosophique. Abdurrahmân Badawi note pourtant : « la légende d’un Ibn Rochd athée est à mettre définitivement dans le magasin des antiquités de fausses accusations.
Il croyait fermement en Dieu, en Son Prophète Muhammad, en le caractère miraculeux du Coran, et aucun texte d’Ibn Rochd ne peut être interprété en un sens contraire ». ( Averroès (Ibn Rushd). Abdurrahmân Badawi. Ed J. Vrin, Paris 1998, 194 p. Page 143.)
« La disgrâce d’lbn-Rochd ne fut pas, au reste, de longue durée : une nouvelle révolution fit rentrer les philosophes en faveur. Almansour, de retour au Maroc, leva tous les édits qu’il avait portés contre la philosophie, s’y appliqua de nouveau avec ardeur, et, sur les instances de personnages savants et considérables, rappela auprès de lui Ibn-Rochd et ses compagnons d’infortune. Abou-Djafar el-Dhéhébi, l’un d’eux, reçut la charge de veiller sur les écrits des médecins et des philosophes de la cour. » Ibn-Rochd mourut en décembre 1198, peu après avoir été gracié.
En mars de l’an 1199, trois mois après sa mort, le corps d’Ibn Rochd fut exhumé de sa tombe de Marrakech et transporté jusqu’à Cordoue pour y être enterré. Voici ce qu’écrit Ibn Arabi, le Cheikh el akbar, dans son Futuhat : « Lorsque le cercueil qui contenait ses cendres eut été chargé au flanc d’une bête de somme, on plaça ses œuvres de l’autre côté pour faire contrepoids. J’étais là debout en arrêt: il y avait avec moi le juriste et lettré Abû l-Hosayn Mohammad ibn Jobayr, secrétaire du Sayyed Abû Sa’îd (prince almohade), ainsi que mon compagnon Abû l-Hakam ‘Amrû ibn as-Sarrâj, le copiste. Alors Abû l-Hakam se tourna vers nous et nous dit: ‘‘Vous n’observez pas ce qui sert de contrepoids au maître Averroës sur sa monture? D’un côté le maître (imam), de l’autre ses œuvres, les livres composés par lui.’’ Alors Ibn Jobayr de lui répondre: ‘‘Tu dis que je n’observe pas, ô mon enfant? Mais certainement que si.
Que bénie soit ta langue!’’ Alors je recueillis en moi (cette phrase d’Abû l-Hakal), pour qu’elle me soit un thème de méditation et de remémoration. Je suis maintenant le seul survivant de ce petit groupe d’amis – que Dieu les ait en sa miséricorde – et je me dis alors à ce sujet : D’un côté le maître, de l’autre ses œuvres. Ah! comme je voudrais savoir si ses espoirs ont été exaucés ! » (Cercamon.net/ibn-arabi) Les mots qui suivent sont extraits de la dernière page de Discours décisif qu’il publia l’année de ses 52 ans (traduction de Marc Geoffroy/Flammarion, 1996) : « Dieu a par lui ouvert la voie à de nombreux bienfaits, surtout pour cette classe de personnes qui s’est engagée dans la voie de l’examen rationnel et aspire à connaître la vérité. » Ibn Rochd a parlé et a écrit de l’intérieur de l’Islam et toujours a revendiqué la démonstration (al-borhan).
Ahmed HANIFI, auteur.
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VOICI MAINTENANT LE TEXTE COMPLET "DISCOURS DÉCISIF"
D'IBN ROCHD (AVERROÈS)
Traduction de Marc Geoffroy
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