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dimanche, septembre 29, 2024

874_ Amin Maalouf à Lourmarin

 Je me suis rendu ce matin à Lourmarin dans le Vaucluse. C’est là qu’a vécu de nombreuses années, jusqu’à son décès, Albert Camus. 

Dans le cadre de « L'ESTIVAL DES RENCONTRES MÉDITERRANÉENNES », il y avait aujourd’hui une discussion sur le thème au cœur de l’Estival 2024, « La fraternité », une rencontre autour d’Éric Fottorino (journaliste et écrivain) et Amin Maalouf (écrivain, prix Goncourt, Secrétaire perpétuel de l’Académie française).


Amin Maalouf- Lourmarin-1.2_




















samedi, septembre 28, 2024

873_ Le bouquiniste le plus connu d’Oran et le plus ancien, est décédé.

 Samedi 28 septembre 2024

On l’appelait « Âmmi Moussa ». Le bouquiniste le plus connu d’Oran, et le plus ancien, Moussa Hamchaoui, est décédé hier vendredi 27 septembre 2024. Il ne lira pas les pages que je lui consacre dans mon dernier roman à paraître bientôt. Dans « Traversées périlleuses du miroir » j’évoque des pans de sa vie. Je lui ai inventé une vie autre que la sienne très probablement, un passé, une histoire alors que nous n’avons lui et moi jamais discuté au-delà de quelques phrases sur tel ou tel livre que je lui achetais. À chacune de mes visites à Oran, sa petite boutique en plein air était une de mes priorités. Rien de plus. Mais il était tellement vrai.
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Voici un extrait de mon roman à paraître fin octobre (1) :
« Le jour déclinait à son rythme sur la rue de la Paix comme sur le boulevard Émir Abdelkader que je remontais. Sur un pan du mur de cette impasse sans nom, oubliée par les services communaux et par les habitants, en face du passage Gasquet, à quelques pas du croisement du boulevard Émir Abdelkader et de la rue Mohamed Boudiaf, toutes sortes de revues, journaux, magazines, dazibaos, illustrés, sont méthodiquement accrochés par Si-Moussa, le propriétaire qui somnolait d’ennui sur la banquette de sa vieille voiture beige aux deux-tiers rouillée. J’ai toqué à la portière brinquebalante, mais pas assez fort pour le réveiller. Le capot de sa Lada et les deux tables pliantes en plastique posées sur le trottoir sont réservés aux livres. Les curieux sont peu nombreux. Ils s’approchent lentement. Leur regard balaie les couvertures. Certains prennent en main une brochure, une revue, les feuillettent en silence puis les reposent. Si-Moussa n’intervient que si on le sollicite. Il parle peu, donne le prix d’un livre, en dévoile quelques passages significatifs quand on le lui demande. Lorsque le jour tombe, il remballe le tout qu’il fourre dans sa vieille soviétique. Ensuite, il prend soin de la protéger avec une immense bâche de camping recouverte de grosses taches brunes, avant de s’en aller discrètement à pied comme il le fait depuis des années. Il ne sait plus lui-même combien. Certains, je ne les crois pas, disent posséder son adresse. Je connais Si-Moussa depuis longtemps. Enfin, ‘‘connaître’’ est un bien grand mot…
Si- Moussa rencontre beaucoup de gens et il discute autant avec tout client ou curieux qui le souhaite. (… sa Lada, il l’avait) achetée à la casse d’el Hamri, derrière le stade Zabana. À la troisième tentative, Si-Moussa a levé la tête puis a ouvert la portière. ’’Ch’hal ?’’ lui ai-je demandé en exhibant un numéro de Rodéo avec Miki le ranger, Tex, Kit Carson, qui enrichira la maigre collection que mon père m’a laissée, ‘‘combien ?’’ ‘‘Vingt mille ! Tu lis ça toi ?’’ Les histoires de cow-boys et de Tuniques bleues, de Cheyennes et de Navajos ont répandu sur ma jeunesse, après celle de mon père, d’innombrables faux reflets irisés que je trouvais alors, comme mon papa probablement, réconfortants. Comment dès lors ne pas détester les Indiens, source de tous les malheurs de l’humanité ? ‘‘À la prochaine !’’… »
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Suivent de nombreuses pages sur son passé par moi inventé : Villeurbanne, 1962, journaliste, le chômage, écrivain public…

Adieu âmmi Moussa


(1): "Traversées périlleuses du miroir". Casbah éditions Octobre 2024

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jeudi, septembre 26, 2024

872_ KAMEL DAOUD AUX "CORRESPONDANCES" DE MANOSQUE

 

Lundi 25 septembre 2024

Je me rends souvent à Manosque. Pour raison familiale, mais aussi au moment où la ville abrite « Les Correspondances », un festival annuel (avec la rentrée littéraire). Celles de cette année sont la 26° édition. J’y suis arrivé vers 15 heures. L’air n’est pas froid, mais une légère veste s’impose. Il ne pleut pas. La circulation est bien fluide et les passants peu nombreux. Par endroits on peut voir le Mont d’Or, protecteur. C’est dans le cœur de la ville que se tient la manifestation. Autour de la place de l’hôtel de ville. C’est ici, sous la place couverte qu’est donné le coup d’envoi du festival littéraire avec une allocution plurielle de responsables de la cité et intervenants culturels. 40 écrivains sont attendus durant les cinq jours et le premier d’entre eux, celui qui donne en quelque sorte le coup d’envoi c’est Kamel Daoud à 18h. Nous sommes près d’une centaine à lui faire face, la plupart bouche ouverte et oreilles tendues. On entendrait les mouches voler, mais il n’y a pas de mouches. Je suis venu pour l’écouter, mais aussi pour intervenir sur les polémiques qu’il contribue à faire naître notamment par ses interventions "intempestives" (dit Christiane Chaulet Achour) et lui poser une question de surface justificative de mon intervention. Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Aucune tête ne devait dépasser. L’alibi du « nous avons peu de temps alors faites vite, posez votre question » est acculé. Nous le connaissons bien. Et on te fais rassoir car ta question est étrange. Pas dans la ligne. Travail soft, pas besoin de malabars. Il suffit de "débrancher le micro". Mais bon, ce n’est pas grave vous aurez tout sur ma page.

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KAMEL DAOUD_ CORRESPONDANCES MANOSQUE_1.2


 KAMEL DAOUD_ CORRESPONDANCES MANOSQUE_2.2



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VOICI MON INTERVENTION EMPECHÉE 

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1_ Bonjour. Au préalable, je dois vous dire Kamel Daoud et je vous l’ai déjà dit combien je partage vos positions sur la société algérienne, notamment sur la gestion de la cité, sur le régionalisme, la liberté d’expression, les frères héréditaires qui perpétuent très opportunément les combats des martyrs… Vous êtes un décolonisé dites-vous, « le 1° » selon un de vos amis, mais en Algérie il y a des millions de décolonisés.  Maintenant, excusez-moi si je vous égratigne. C’est pour l’intérêt des échanges. Accordez-moi 3 minutes SVP pour cette intervention que j’achèverai par une question simple.

 

2_ Nous sommes mercredi 25 septembre 2024. Quelle journée ! Nous sommes ici en cette place de Manosque à quelques mètres de la maison de Giono sur la rue Grande, c’est un beau jour et un jour anniversaire, celui de l’inventeur du « plus petit timbre-poste au monde, celui de Yoknapatawpha. Vous avez parlé de William Faulkner. Ce génie est en effet né le 25 septembre, 1897. Il est tombé de cheval et mort un jour étrange à quelques heures de celui de la naissance de Khadidja, la mère de Fajr (Aube), et qu’il aurait pu rencontrer. 

 

3_ Monsieur Kamel Daoud, vous êtes journaliste et écrivain. Je ne vais pas jouer les rabat-joie, mais je tiens à dire ce qui suit. Beaucoup parmi nous qui apprécions l’écrivain et l’auteur d’exquises rubriques dans le Quotidien d’Oran (à propos, pourquoi n’évoquez-vous jamais le défunt Si Moussa votre premier employeur, le directeur de Détective ? mais passons) Beaucoup parmi nous ne comprennent plus votre engagement de plus en plus marqué par l’incompréhensible. Beaucoup voient de moins en moins l’écrivain, de plus en plus le polémiste. Des Algériens parlent « d’interventions intempestives » et pardonnez-moi « d’outrances ». La confusion et le malentendu se sont installés.

4_ Nombre de journalistes français ne s’y trompent pas qui, lorsqu’ils reçoivent par exemple Le Clezio, Modiano, Caryl Ferey (Mapuch) ou même la très populaire Annie Ernaux, ils les interrogent beaucoup sur leur écriture, la littérature, la description des personnages, des lieux, le programme narratif… mais lorsqu’ils ont en face d’eux des Algériens, ils les interrogent sur la politique, l’islamisme, le pouvoir, les guerres, les femmes (les voilées, pas celles qui résistent)… C’est là que le réel s’est substitué à la fiction. On bascule du roman au réel. On bascule des Lettres de Gallimard aux potins de C. News et du Point. Alors comment reprocher aux lecteurs d’amalgamer littérature et réalité ?

Il y a les Algériens au bled. Mais il y a les Algériens et les franco-algériens qui vivent ici, qui vous lisent ici. Et ce que vous dites ici ce que vous écrivez ici, notamment dans un hebdomadaire un peu chelou comme on dit.

 

5_ Ce n’est pas le livre qui est commenté, mais vos positions politiques. De verbe en verbe on en est arrivé à des excès. Certaines vilaines langues disent par exemple qu’il vous serait difficile, vous Kamel Daoud, il vous serait difficile d’écrire, si l’on caviardait ou si l’on faisait disparaître 5 à 10 mots de la langue française que vous répétez chaque jeudi dans cet hebdomadaire. Des mots comme « wokisme », « Gauche radicale », « l’Islam », « les Islamistes », et « le décolonial » qui dites-vous a été pris en otage par les islamistes … et par ces « gauchistes qui dopent la judéophobie », c’est encore vous qui le dites. Disons « antisémitisme » puisque ce vocable a été détourné de son lit, de son sens par un glissement sémantique de longue haleine et qu’on voudrait imposer à tous. Je ne suis pas judéophobe. Encore moins antisémite. Il n’y aurait donc de sémites que les Juifs. Et par conséquent les Arabes et leurs cousins ne seraient plus des sémites. Il est vrai que la défaite des mots précède la défaite. Pierre Bourdieu expliquerait mille fois mieux comment on construit et impose une idéologie dominante, notamment par les pontes médiatiques. Votre discours répété chaque jeudi dans vos chroniques de l’hebdomadaire conservateur et sulfureux Le Point est loin donc de la littérature. J’allais dire inacceptable.

 

Généralement, les journalistes français qui vous interrogent disent que vous êtes courageux, que vous prenez des risques à écrire un livre sur la décennie noire alors qu’une loi algérienne l’interdit expressément avec menace d’emprisonnement. Ils sont en roue libre ces journalistes. L’un d’eux (Le Point) titre le 8 août dernier : « Houris brise enfin le tabou de la guerre civile algérienne. » Comment peuvent-ils oser ? Vous rectifiez un chouiya, vous dites qu’il y a eu trois ou quatre livres écrits sur cette période… 

 

6_ Mon information est la suivante et j’en est presque fini : Il y a eu plus d’une centaine de livres qui évoquent clairement la décennie de sang (1992-2002) et non deux ou trois comme vous venez encore de le répéter. Dans le cadre d’un mémoire universitaire, Nazim Mekbel en a répertorié 110. Nazim est le fils du journaliste à la forte prémonition, Saïd Mekbel, assassiné en décembre 1994 qui s’interrogeait quelques jours auparavant sur son sort : « Qui tue ? Pourquoi on tue ? J’ai parfois grande envie de rencontrer les assassins et surtout les commanditaires. »

110 livres donc, écrits en français dont une partie publiée en Algérie-même. La quasi-totalité soufflant dans le sens du vent dominant évidemment. Je veux dire que leurs contenus portent sur les ravages de l’islamisme intégriste et uniquement lui. Cette vérité est partielle et par conséquent une contre-vérité. 

Le courage monsieur Kamel Daoud, il vient d’ailleurs, le courage il est dans les livres qui ont osé aller à contre-courant, qui ont repris les questions du journaliste assassiné, qui ont rappelé le sort des milliers de disparus forcés par le fait des agissements de certains segments des forces de l’ordre. Les auteurs de ceux-là, de ces livres-là – ils se comptent sur les doigts d’une seule main – les auteurs de ceux-là sont courageux. Toutes les ONG de défense des Droits de l’homme, nationales et internationales, en ont fait état : Amnesty International, la LDH française, Algeria Watch, Human Right Watch... En Algérie, la Ligue Algérienne des Droits de l’homme de Feu Maître Ali-Yahia Abdenour a comptabilisé plusieurs milliers de disparus forcés (tous morts évidemment) passés totalement sous les radars. L’association de madame Nassera Dutour, SOS Disparus, en a listé plus de 5000. 

 

7_ Les médias français et algériens ont longtemps choisi de faire l’impasse sur le martyr des familles de disparus forcés, avant que les familles elles-mêmes ne l’imposent à partir de Genève où elles ont fait un grand ramdam.

Alors je pose cette question : Où est le courage ? où est la lâcheté ? 

N’évoquer qu’une partie de la vérité, ce n’est pas la vérité, c’est répondre à une attente circonscrite géographiquement. À un public déterminé. Mais ce n’est pas répondre à l’humanité. 

 

8_ Enfin et pour finir, cette question : vous écrivez en page 121 : « Le 31 décembre 1999 on allait changer de mois, d’année, de siècle… » « Changer de siècle » ! et les correcteurs de Gallimard n’ont rien vu. 

Êtes-vous sûr que le 21° siècle – en Algérie ou ailleurs – a commencé le 1er janvier 2000 ? 

(Cette question a fait rire quelques abrutis ignorants, dans la salle)

 

L’actualité nous accule, mais je ne vous poserai pas de question sur le génocide des Palestiniens que jamais vous n’évoquez, ni sur la colonisation israélienne depuis trois-quarts de siècle. Ni sur l’invasion aujourd’hui du Liban. 

 

Vos positions sont connues et très largement partagées par les médias dominants librement Embedded chez qui vous savez. Tels sont les frictions avec les Algériens. Certainement pas la littérature.

Merci.

 

Manosque le, 25 septembre 2024

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J'ai été interrompu, mais j'ai remis directement ces deux feuillets à l'animatrice qui les a lus et les a ensuite remis à Kamel Daoud....



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La région



 
Manosque et environs

Manosque. Le coeur de la ville
























BFM Région- marc 25 septembre 2024

mardi, septembre 24, 2024

871_ TRAVERSÉES PÉRILLEUSES DU MIROIR

 

PARUTION BIENTÔT DE MON 5° ROMAN (et 10° TITRE) :




Présentation ce jour, lundi 23 septembre, sur mon fil d'actualité FACEBOOK






























samedi, septembre 14, 2024

870_ RÉINVENTER L'UNIVERSEL _ Souleymane Bachir Diagne

 


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EXTRAITS:


Extraits : Je récuse formellement l'idée que la décolonisation se fait contre l'universel, être postcolonial ou décolonial, ce n'est pas aller contre l'universel. L’universalisme d’aujourd’hui ne peut être celui d’hier, impérial. Il est temps de réinventer l'universel. La réinvention de l'universel signifie universaliser ensemble… Les tribalismes, les identitarismes, les nationalismes mènent à un apartheid généralisé… Nous sommes à 100% chacune de nos cultures, et à 100% chacune des langues que nous parlons. Il ne s'agit pas de partager ces cultures, mais de les totaliser… Les partis (d’extrême droite) utilisent de surcroît la rhétorique démocratique - la défense de la laïcité par exemple-à des fins qui n'ont rien à voir véritablement avec les valeurs républicaines elles-mêmes. En défendant la laïcité contre une islamisation prétendue de l'Europe, ils instrumentalisent la laïcité bien plus qu'ils n’y adhèrent… Il ne peut y avoir de classement entre les racismes et que tous les racismes partagent les mêmes racines et qu'il faut donc s'opposer à tous les racismes d'une manière claire et nette. L'antisémitisme, l'islamophobie, le racisme antinoir: aucun de ces racismes ne peut être isolé des autres.

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"Nous devrions nous comporter comme une seule et même espèce humaine."







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jeudi, septembre 12, 2024

869_ LES ESCROCS DE LA PENSÉE

 




CEUX QUI ONT FAIT LE LIT DE L’EXTRÊME DROITE

Par Hugo Boursier et Pierre Jequier-Zalc. Politis 12 septembre 2024

En politisant une supposée « insécurité culturelle » puis en faisant de leur vision de la laïcité l’arme pour lutter contre cette «insécurité », le Printemps républicain et ses alliés ont contribué à légitimer les thèses racistes et islamophobes du Rassemblement national.

Ils squattent les plateaux des chaînes de télévision en continu et des principaux talk-shows, dans lesquels ils ont leur rond de serviette. Ils influencent les plus hautes sphères de l’État, où ils distillent leur vision identitaire et nationaliste de la République. Pourtant, ils ne représentent rien, ou pas grand-chose.

Eux, ce sont les membres du Printemps républicain et ses alliés médiatiques, Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Sophia Aram, Gilles Clavreul, Amine El Khatmi et consorts. C'est Marc Cohen, rédacteur en chef du magazine d'extrême droite Causeur, qui raconte le mieux la création de cette association politique créée en mars 2016. « Une bande d’internautes partis en cyberguerre après le massacre du Bataclan monte un gang informel pour défendre ‘‘l'islamophobe’’ Élisabeth Badinter en particulier et la laïcité en général. » Le Printemps républicain est né. Le ton est donné. À l'origine de ce « gang », le politiste et polémiste Laurent Bouvet, qui, dans les années 1990, gravite dans les sphères intellectuelles du Parti socialiste (PS). Décédé en 2021, il était notamment un des fondateurs de la Gauche populaire au début des années 2010. L'objectif de ce réseau est, entre autres, de répondre à la note du think thank Terra Nova qui conseille à la gauche, pour accéder au pouvoir, de se détourner de certaines catégories populaires, vouées à basculer à l'extrême droite.

Pour éviter cela, la Gauche populaire préconise de s’appuyer sur la vision de Laurent Bouvet, qui théorise « l'insécurité culturelle » dans le manifeste ‘Plaidoyer pour une gauche populaire’. Pour schématiser, l’idée principale est de refuser de laisser à l'extrême droite la question identitaire et nationaliste, question qui serait au cœur des inquiétudes de la « majorité » autrement dit, les classes populaires blanches. « Cette version ‘‘à gauche’’ de la laïcité identitaire est surdéterminée par l'enjeu de la nation. Elle renvoie à une stratégie, parmi d'autres, de reconquête des catégories populaires (perdues sur le terrain économique et social et jugées hostiles à l'islam) », explique le politiste Rémi Lefebvre d a n s un article paru en 2020, intitulé « La laïcité au Parti socialiste. De l'emblème au problème ».

Une idéologie qu'a étudiée Pierre-Nicolas Baudot, docteur en sciences politiques à l'université Paris-Panthéon-Assas. « Bouvet crée le Printemps républicain en articulant le républicanisme à la française, très critique des religions, et la philosophie communautarienne, pour qui l'individu est défini par la communauté à laquelle il appartient. Ainsi, pour ces personnes, la seule communauté qui vaille, c'est la communauté nationale. Tout ce qui est la marque d’une singularité culturelle ou religieuse est donc directement suspecté d’en être une entrave. »

À partir de cette base théorique, la menace du terrorisme islamique en France donne un prétexte à ses défenseurs pour partir à « la castagne », pour reprendre les mots de l'époque de Marc Cohen. « Le Printemps républicain ne sort pas de nulle part. Il s'intègre dans l'histoire, longue et mouvementée, de ce grand mouvement de pensée initié par Samuel Huntington qui réinstalle une concurrence culturelle entre les États dits judéo-chrétiens et ceux dits musulmans », souligne Valentine Zuber, directrice d'études à l'École pratique des hautes études, autrice de La Laïcité en débat : au-delà des idées reçues (Le Cavalier bleu, 2 017). En France, cela passe donc par « le rapport des musulmans - ou supposés comme tels - aux ‘‘valeurs de la République’’ », un concept très plastique, dont on ne sait pas très bien ce qu'il contient, mais auquel on ne peut pas s'opposer - comment se revendiquer contre la République? », poursuit la chercheuse.

Laïcité identitaire

Ainsi, le Printemps républicain et ses alliés s'érigent rapide- ment en défenseurs de valeurs supposément assiégées, à commencer par la laïcité. Une fierté française, définie par la loi de 1905, qui, dans son article premier, garantit «le libre exercice des cultes » et précise que « la République assure la liberté de conscience ». Sauf que la vision définie par ces personnages s’éloigne largement de cette loi historique. « Je pense qu'ils ne veulent pas lire les deux premiers articles », soupire Valentine Zuber. La laïcité devient une série d'interdictions, notamment sur les signes religieux - et en particulier le voile. Vincent Genin, auteur d'Histoire intellectuelle de la laïcité. De 1905 à nos jours (PUF, 2 024), renchérit : « Ils s'inscrivent dans une forme de républicanisme autoritaire où la laïcité cesse d'être conçue comme une liberté. Comme s’il n’avait toujours existé qu'une seule laïcité. C'est faux. Il existe cinq autres régimes de laïcité en outre-mer. Et que dire de l'Alsace-Moselle ? »

Malgré cette approximation, c'est dans cette laïcité « identitaire », que s'engouffre le Printemps républicain. Premier objectif, faire tomber l'Observatoire de la laïcité, dirigé par Jean-Louis Bianco, homme politique socialiste, et son numéro 2, Nicolas Cadène. « Cette petite troupe s'est fait les dents sur l'Observatoire de la laïcité et sur ses patrons, Cadène et Bianco. On voulait leur tête en haut d'une pique », écrit, tout en nuance, Marc Cohen. « Dès 2013, il y a eu des polémiques contre notre travail, déjà menées par des personnes comme Élisabeth Badinter ou Caroline Fourest », se souvient Nicolas Cadène. Contactée, Caroline Fourest indique qu'elle n'est pas « membre du Printemps républicain ». La polémiste ajoute : « Et si l'intégrisme inquiète, c'est peut-être tout simplement parce qu'il revient... Et que le nier fait justement le jeu de l'extrême droite. »

Relais médiatiques

Après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, en janvier 2015, les attaques redoublent contre l'institution, alors rattachée à Matignon. « Ils nous ont trouvés trop mous dans nos avis. Ils voulaient qu’on soit plus fermes sur le voile et sur les musulmans. Mais nous n’appliquions que le droit, rien d'autre », poursuit l'ancien numéro 2 de l'Observatoire de la laïcité, qui rappelle que les plus hautes juridictions du pays ont toujours suivi les avis de l’institution. Pour arriver à ses fins, la mouvance peut compter sur d'importants relais médiatiques : Raphaël Enthoven, Caroline Fourest, Élisabeth Badinter, entre autres. Et sur une stratégie bien ficelée : politiser le moindre fait divers, bien souvent à coups de distorsion de la réalité, investir à foison les réseaux sociaux et user de ses contacts professionnels et politiques pour influer sur la décision publique.

Et cela fonctionne, indéniablement. Au printemps 2021, Jean Castex, alors premier ministre, met fin au mandat de l'Observatoire de la laïcité. Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène sont remerciés sans ménagement. Au sein du gouvernement de l'époque, Jean-Michel Blanquer et Marlène Schiappa avaient largement contribué à attaquer l'institution. « Le pouvoir en place a préféré aller dans le sens des toutologues et des éditorialistes en soufflant sur les braises », regrette Nicolas Cadène, qui décrit un cyberharcèlement « violent et continu ».

Une stratégie du bruit et de la fureur qui permet à ces thématiques d'être omniprésentes dans le débat public. Des polémiques passionnées et enflammées, bien souvent au détriment des faits et des recherches de la grande majorité du monde académique sur le sujet. « La voix des universitaires n'est pas entendue », confie, désabusée, Valentine Zuber, « ou alors, quand elle l’est, notre statut d'expert n'est pas reconnu. On est une voix parmi d'autres. Donc personne n'a envie de perdre son temps à se faire épingler par des polémistes qui manient l'injure et le sous-entendu de manière terrible ».

La confusion des étiquettes

L’ascension de certains termes aujourd'hui rabâchés quotidiennement dans le débat public est due à ce lobbying identitaire qui ne dit pas son nom. Doctorant en sociologie au Médialab de Sciences Po, Benjamin Tainturier a travaillé sur l'évolution de ces mots : « islamo-gauchisme», « cancel culture », « wokisme ». Résultat ? Alors que le terme d’islamo gauchisme est surtout utilisé dans un contexte géopolitique au début des années 2000, c'est Élisabeth Badinter qui va participer à lui faire revêtir, dans une interview donnée au Monde en 2016, un nouveau sens: « la commune menace pour la République que représente la gauche radicale défendant les minorités et le fondamentalisme », explique Benjamin Tainturier. Une redéfinition qui va participer à légitimer ce terme, lui ouvrant les portes des médias mainstream.


Du lexique d’une intellectuelle médiatique, le mot rebondit ainsi dans celui d'un politique - à savoir Manuel Valls, lors de la primaire du Parti socialiste en 2017. Pour aboutir dans la bouche de Jean-Michel Blanquer, qui, deux semaines après l'assassinat de Samuel Paty, pointe les « ravages » de l'islamo-gauchisme. « Ces figures intellectuelles, médiatiques et politiques normalisent une attitude importante au sein de l'extrême droite : la confusion des étiquettes. Fabriquer un ennemi commun, l’islamo-gauchisme, crée des ponts idéologiques », analyse Benjamin Tainturier. Ce flou va s'accentuer après le 7 octobre, lorsque le RN, Renaissance et la droite du PS vont dénoncer ensemble l’antisémitisme structurel de La France insoumise. Si la gauche n'est pas exempte de positions problématiques, cette attaque participe aussi à nier le génocide en cours à Gaza. De la même manière qu'avec la laïcité, leur position sur le sujet israélo-palestinien - flirtant bien souvent avec un sionisme et une islamophobie qui ne disent pas leur nom - devient celle des « valeurs républicaines ». Une mécanique bien huilée qui permet d’attribuer les bons et les mauvais points, toujours dans le même sens. Une gauche « islamo-gauchiste » et donc, de facto, non-républicaine. Et un RN qui s'accommode bien de ce nouveau paradigme de pensée très droitier.

À force de matraquer cette idée d’une supposée compromission de la gauche avec la laïcité, le Printemps républicain et ses alliés ont permis de dédiaboliser le Rassemblement national et ses idées. « Dire que, pour rassurer les classes populaires dites majoritaires, il faut garantir le maintien de valeurs communes, comme la laïcité, cela sous-entend qu'il y a une menace de remplacement des valeurs et qu'il faut mener une guerre culturelle. Or ce sont des idées qui ont clairement des racines dans la pensée d'extrême droite », note Pierre-Nicolas Baudot. Il poursuit : « Le fait que les auteurs de ces paroles viennent du Parti socialiste a contribué à installer et légitimer ce discours. » Pourtant, si leur audience et leur impact sur le débat politico-médiatique sont très importants, les débouchés électoraux du Printemps républicain sont aujourd'hui quasiment inexistants. À moins que ses membres ne soient les meilleurs agents recruteurs du RN.

Hugo Boursier et Pierre Jequier-Zalc. 

Politis 12 septembre 2024

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