(Suite)
La seule relation que j'entrevois entre boussole et montre est une relation de soumission. Les aiguilles d'une montre ne peuvent se passer des points cardinaux alors que ceux-ci oui. Et cette course à la précision des physiciens du Maryland comme la course à la rigueur des Suisses sont vouées à l'échec car elles ne riment à rien. A si peu. La cible qu'ils visent n'est pas celle qu'ils pensent. Les uns et les autres sont convaincus de vaincre un jour le temps. Hélas pour eux ils ne posséderaient qu'une trotteuse d'espace ; l'espace d'un cadran parcouru en un temps enchaîné à la vitesse. Ne nous ressasse-t-on pas péremptoirement que d = v par t? Pauvre Zénon d'Elée Comment peut-on honnêtement associer dans une même perspective boussole et montre? Absurdité. Je ne comprends pas.
Tu as compris le film? je parle du film pas du cliquettement des pendules dit Housia doucement comme pour s'excuser du dérangement qu’elle pense m'infliger. Elle se mordille la lèvre comme le ferait un gamin pour se justifier d'un geste ou d'une parole aussitôt regrettés. Or ce n’est pas le cas. Elle ajoute : Il me semblait que tu comprenais peu le suédois?
Nos voisins de table ne nous prêtent guère attention. Pourquoi le feraient-ils? Ils sont déjà démesurément blasés de vivre à les voir ainsi se regardant comme ne sauraient mieux faire des chiens de faïence espagnole et kitsch. On comprend que leur discussion est au mieux légère. Ces périodes noires et froides sont terribles ici. Pour tous les âges. Housia répète ce que j’ai bien entendu. Je tremblote et lui réponds que je n'ai pas compris tous les dialogues : non sinon quelques mots, quelques expressions. Mais tu sais, je l’ai vu trois froids, pardon trois fois ! Oh, il y a belle lurette. C’était à Oran. Je l'avais trouvé infiniment triste et désespérément long. Nous étions à l'époque rancuniers et nous buvions alors les mots venus d'ailleurs, particulièrement ceux qui nous étaient interdits de reproduire même pour le plaisir. Aujourd’hui mon attention a été saisie essentiellement par les images, je veux dire par les couleurs, par les formes. Par leur progression, par leur cheminement. Alors même que les images défilaient, je tentais d'anticiper sur les suivantes, de les deviner. Elles me contrariaient voilà tout. J'avais devant moi deux films qui se superposaient. Celui qui se déroulait devant nous et celui que convoquait ma mémoire.
Cette fois Housia s'arme d'une raquette de ping-pong et d'un lot de certitudes. Pourquoi pas? Je relève le défi.
Elle : la mémoire est prétentieuse, ça joue toujours des tours ça !
Moi : on dit que…
Elle : on dit que même Bergman ne pouvait exprimer avec infaillibilité ses propres intentions au moment du tournage, le sais-tu?
Moi : pour ce qui me concerne…
Elle : tu ne réponds pas.
Moi : je ne suis jamais sûr de ce que j'avance car je ne maîtrise pas toujours les mots que j'utilise. Ttt tu le sais…
Elle : Tu réponds à côté.
Moi : excuse moi, je veux dire…
Elle : moi, l'extrait qui m'a le plus remuée, j'en tremble encore, c'est celui où l'on voit les deux sœurs, délivrées de la troisième, Agnès... enfin pas tout à fait délivrées à vrai dire… ce sont ces moments qui m'ont le plus émue ; lorsque les deux sœurs, forgées dans une haine-amour réciproque se rencontrent. Maria se rapproche de Karin qui la rejette à plusieurs reprises pour ensuite venir la retrouver, lui demander pardon. Elles finissent par s'enlacer et se parler, se caresser, fraterniser comme elles ne l'ont jamais fait auparavant, sous les gémissements incessants et harmonieux d'un violoncelle-arc-en-ciel et sous le regard verré distant de la caméra qui s'incruste tour à tour dans l'un puis dans l'autre des deux visages, dans ces êtres noirs, encerclés de rouge et pénétrés par la culpabilité, noyés dans la souffrance. Une renaissance ! Ca m'a remuée. J'ai été saisie à la fois de nausée et d'admiration. Ca m'a glacée… J'ai pleuré. Je ne sais pourquoi j'ai pensé à toi. J'ai pensé à Katarina aussi. J'ai voulu fuir.
(Elle se collait contre moi).
Je la retiens par la main et dis :
- Nous devrions nous parler jour et nuit !
- Ja ! Viborde talas vide dag och natt ! Car il est vrai que notre besoin de consolation est stig…
- Pardon?
- Nous devrions nous parler jour et nuit !
- N'est-ce pas. Je disais que certains des mots que je prononce signifient parfois plus que la situation elle-même, plus que l'expérience que je souhaite partager ou seulement expliquer. J'ai l'intention de dire une chose et voilà que j'en dis une autre. Les mots sont sibyllins ou prétentieux comme tu dis, eux aussi. A la moindre inattention ils échappent au sens premier qu'ils portent et qu'ils trahissent par des contorsions ou bien souvent ouvertement directement, sans ambages. Il n'est pas aisé de les indexer à telle situation ou à telle expérience ! Beaucoup de gens savent y faire. Moi non. Et crois-moi il s'agit moins de choix que de guerre. Une guerre presque naturelle qui m'a été imposée.
- Une guerre imposée? comment?
Ah, ça…cela vient de loin. Une guerre. Oui, une guerre ! Larvée. Chez moi les mots et les émotions se mènent une guerre sans merci. Insidieuse mais permanente. J'ai un faible prononcé pour les émotions car elles ne me trahissent jamais. Les mots oui. Ils sont comme des joueurs sur le qui-vive, calculateurs et froids. Les mots ne me trahissent jamais.
- J'ai vu, j'ai vu.
- Non, non, non ! Les émotions nnn ne me trahissent pas. Les mots oui. C'est ce que je t'explique. Mais une fois couchés sur du papier ils sont cuits. Ils ont beau papillonner, ils sont faits comme des mouches prises dans le serpentin, dans le tue-mouches. Je les observe les triture les range les réduis les étale les trucide les remplace par d'autres moins désinvoltes.
Housia s'énerve et crie. "C'est pourquoi je dis j'ai vu, j'ai vu !" Je lui suggère de ne pas crier. "Je ne crie pas !"
-Tiens, une belle citation me vient à l'esprit. J’ai appris que les mots ne servent à rien, que les mots ne correspondent jamais à ce qu’ils s’efforcent d’exprimer. C'est beau n'est ce pas? A propos, toi par contre tu parles pour ainsi dire, parfaitement le français. Quels progrès ! Il y a longtemps que je voulais te le dire. Voilà qui est fait. Penses-tu que nous sommes en avance? Housia jette un regard vers le bâti dormant de la porte d'entrée au moment où l'on nous sert les cafés.
- Tack ! Nous avons le temps.
- A ton avis que penserait Katarina du film?
- Oh, alors là… C'est pas si simple tu sais.
- J’ai hâte de connaître ses réactions lorsque nous lui raconterons
- Je les connais ! Je l’entends et la vois nous répondre: "Vous auriez pu choisir un film plus léger. Ce film est difficile et toi tu n'aurais pas dû aller le voir dans l'état où tu es".
(Il est vrai que son physique métamorphosé en impose. Elle voulait un enfant mais pas le père. Qui fuit de toute manière. Elle a gain de cause. La première manche est acquise. Reste l'enfant.
"Il aura deux prénoms" m'avait-t-elle averti dès les premiers jours. "Tu peux me proposer quelques prénoms arabes?" J'ai protesté en douceur pour la forme avec force gesticulations : "Pourquoi pas algérien?" Finalement de tous ceux que je lui ai proposés elle choisit après une mûre méditation un prénom à la fois arabe et algérien probablement pour ne pas me vexer, mais sans doute pour le suintement de sa sonorité. Ya-Sin. Celui-ci
parmi tous.
- Que veut-il dire?
- Rien. Enfin, si. Ya et Sin sont deux lettres de l'alphabet. Arabe. Mais c'est surtout le titre d'une soura du Coran. La plus appréciée des musulmans. Elle est dit-on, le cœur du Livre. Je ne saurais te dire de quoi elle traître elle traite" Elle a beaucoup rit de ce lapsus. Que dira-t-elle à Ya-Sin?.)
Brutalement profitant de mon égarement elle saute du coq à l'âne et dit :
- Pourquoi tu souris? tu ne verras pas Ya-Sin. Partir, quelle idée. Ca ne va pas?
- Mais toi, qu'as-tu à me poser cette question là, maintenant, tu crois que c'est mon choix?
- Explique-toi !
Je lui réponds stoïque que si je suis arrivé, c'est bien pour partir non? Je ne vais pas m'éterniser ! Et même si je le voulais je ne pourrais pas rester. Cela ne dépend pas de moi, c'est comme la richesse ou la célébrité, cela ne dépend pas de moi. Tout a une fin. Les choses ont une fin. Le bonheur les plantes - et même le gui ! - les hommes les voyages ont une fin ! Et je ne suis qu'un homme après tout, ma liberté de choix comme celle de tout homme ne s'épanouit que dans l'illusion.
(A suivre…)
La seule relation que j'entrevois entre boussole et montre est une relation de soumission. Les aiguilles d'une montre ne peuvent se passer des points cardinaux alors que ceux-ci oui. Et cette course à la précision des physiciens du Maryland comme la course à la rigueur des Suisses sont vouées à l'échec car elles ne riment à rien. A si peu. La cible qu'ils visent n'est pas celle qu'ils pensent. Les uns et les autres sont convaincus de vaincre un jour le temps. Hélas pour eux ils ne posséderaient qu'une trotteuse d'espace ; l'espace d'un cadran parcouru en un temps enchaîné à la vitesse. Ne nous ressasse-t-on pas péremptoirement que d = v par t? Pauvre Zénon d'Elée Comment peut-on honnêtement associer dans une même perspective boussole et montre? Absurdité. Je ne comprends pas.
Tu as compris le film? je parle du film pas du cliquettement des pendules dit Housia doucement comme pour s'excuser du dérangement qu’elle pense m'infliger. Elle se mordille la lèvre comme le ferait un gamin pour se justifier d'un geste ou d'une parole aussitôt regrettés. Or ce n’est pas le cas. Elle ajoute : Il me semblait que tu comprenais peu le suédois?
Nos voisins de table ne nous prêtent guère attention. Pourquoi le feraient-ils? Ils sont déjà démesurément blasés de vivre à les voir ainsi se regardant comme ne sauraient mieux faire des chiens de faïence espagnole et kitsch. On comprend que leur discussion est au mieux légère. Ces périodes noires et froides sont terribles ici. Pour tous les âges. Housia répète ce que j’ai bien entendu. Je tremblote et lui réponds que je n'ai pas compris tous les dialogues : non sinon quelques mots, quelques expressions. Mais tu sais, je l’ai vu trois froids, pardon trois fois ! Oh, il y a belle lurette. C’était à Oran. Je l'avais trouvé infiniment triste et désespérément long. Nous étions à l'époque rancuniers et nous buvions alors les mots venus d'ailleurs, particulièrement ceux qui nous étaient interdits de reproduire même pour le plaisir. Aujourd’hui mon attention a été saisie essentiellement par les images, je veux dire par les couleurs, par les formes. Par leur progression, par leur cheminement. Alors même que les images défilaient, je tentais d'anticiper sur les suivantes, de les deviner. Elles me contrariaient voilà tout. J'avais devant moi deux films qui se superposaient. Celui qui se déroulait devant nous et celui que convoquait ma mémoire.
Cette fois Housia s'arme d'une raquette de ping-pong et d'un lot de certitudes. Pourquoi pas? Je relève le défi.
Elle : la mémoire est prétentieuse, ça joue toujours des tours ça !
Moi : on dit que…
Elle : on dit que même Bergman ne pouvait exprimer avec infaillibilité ses propres intentions au moment du tournage, le sais-tu?
Moi : pour ce qui me concerne…
Elle : tu ne réponds pas.
Moi : je ne suis jamais sûr de ce que j'avance car je ne maîtrise pas toujours les mots que j'utilise. Ttt tu le sais…
Elle : Tu réponds à côté.
Moi : excuse moi, je veux dire…
Elle : moi, l'extrait qui m'a le plus remuée, j'en tremble encore, c'est celui où l'on voit les deux sœurs, délivrées de la troisième, Agnès... enfin pas tout à fait délivrées à vrai dire… ce sont ces moments qui m'ont le plus émue ; lorsque les deux sœurs, forgées dans une haine-amour réciproque se rencontrent. Maria se rapproche de Karin qui la rejette à plusieurs reprises pour ensuite venir la retrouver, lui demander pardon. Elles finissent par s'enlacer et se parler, se caresser, fraterniser comme elles ne l'ont jamais fait auparavant, sous les gémissements incessants et harmonieux d'un violoncelle-arc-en-ciel et sous le regard verré distant de la caméra qui s'incruste tour à tour dans l'un puis dans l'autre des deux visages, dans ces êtres noirs, encerclés de rouge et pénétrés par la culpabilité, noyés dans la souffrance. Une renaissance ! Ca m'a remuée. J'ai été saisie à la fois de nausée et d'admiration. Ca m'a glacée… J'ai pleuré. Je ne sais pourquoi j'ai pensé à toi. J'ai pensé à Katarina aussi. J'ai voulu fuir.
(Elle se collait contre moi).
Je la retiens par la main et dis :
- Nous devrions nous parler jour et nuit !
- Ja ! Viborde talas vide dag och natt ! Car il est vrai que notre besoin de consolation est stig…
- Pardon?
- Nous devrions nous parler jour et nuit !
- N'est-ce pas. Je disais que certains des mots que je prononce signifient parfois plus que la situation elle-même, plus que l'expérience que je souhaite partager ou seulement expliquer. J'ai l'intention de dire une chose et voilà que j'en dis une autre. Les mots sont sibyllins ou prétentieux comme tu dis, eux aussi. A la moindre inattention ils échappent au sens premier qu'ils portent et qu'ils trahissent par des contorsions ou bien souvent ouvertement directement, sans ambages. Il n'est pas aisé de les indexer à telle situation ou à telle expérience ! Beaucoup de gens savent y faire. Moi non. Et crois-moi il s'agit moins de choix que de guerre. Une guerre presque naturelle qui m'a été imposée.
- Une guerre imposée? comment?
Ah, ça…cela vient de loin. Une guerre. Oui, une guerre ! Larvée. Chez moi les mots et les émotions se mènent une guerre sans merci. Insidieuse mais permanente. J'ai un faible prononcé pour les émotions car elles ne me trahissent jamais. Les mots oui. Ils sont comme des joueurs sur le qui-vive, calculateurs et froids. Les mots ne me trahissent jamais.
- J'ai vu, j'ai vu.
- Non, non, non ! Les émotions nnn ne me trahissent pas. Les mots oui. C'est ce que je t'explique. Mais une fois couchés sur du papier ils sont cuits. Ils ont beau papillonner, ils sont faits comme des mouches prises dans le serpentin, dans le tue-mouches. Je les observe les triture les range les réduis les étale les trucide les remplace par d'autres moins désinvoltes.
Housia s'énerve et crie. "C'est pourquoi je dis j'ai vu, j'ai vu !" Je lui suggère de ne pas crier. "Je ne crie pas !"
-Tiens, une belle citation me vient à l'esprit. J’ai appris que les mots ne servent à rien, que les mots ne correspondent jamais à ce qu’ils s’efforcent d’exprimer. C'est beau n'est ce pas? A propos, toi par contre tu parles pour ainsi dire, parfaitement le français. Quels progrès ! Il y a longtemps que je voulais te le dire. Voilà qui est fait. Penses-tu que nous sommes en avance? Housia jette un regard vers le bâti dormant de la porte d'entrée au moment où l'on nous sert les cafés.
- Tack ! Nous avons le temps.
- A ton avis que penserait Katarina du film?
- Oh, alors là… C'est pas si simple tu sais.
- J’ai hâte de connaître ses réactions lorsque nous lui raconterons
- Je les connais ! Je l’entends et la vois nous répondre: "Vous auriez pu choisir un film plus léger. Ce film est difficile et toi tu n'aurais pas dû aller le voir dans l'état où tu es".
(Il est vrai que son physique métamorphosé en impose. Elle voulait un enfant mais pas le père. Qui fuit de toute manière. Elle a gain de cause. La première manche est acquise. Reste l'enfant.
"Il aura deux prénoms" m'avait-t-elle averti dès les premiers jours. "Tu peux me proposer quelques prénoms arabes?" J'ai protesté en douceur pour la forme avec force gesticulations : "Pourquoi pas algérien?" Finalement de tous ceux que je lui ai proposés elle choisit après une mûre méditation un prénom à la fois arabe et algérien probablement pour ne pas me vexer, mais sans doute pour le suintement de sa sonorité. Ya-Sin. Celui-ci
parmi tous.
- Que veut-il dire?
- Rien. Enfin, si. Ya et Sin sont deux lettres de l'alphabet. Arabe. Mais c'est surtout le titre d'une soura du Coran. La plus appréciée des musulmans. Elle est dit-on, le cœur du Livre. Je ne saurais te dire de quoi elle traître elle traite" Elle a beaucoup rit de ce lapsus. Que dira-t-elle à Ya-Sin?.)
Brutalement profitant de mon égarement elle saute du coq à l'âne et dit :
- Pourquoi tu souris? tu ne verras pas Ya-Sin. Partir, quelle idée. Ca ne va pas?
- Mais toi, qu'as-tu à me poser cette question là, maintenant, tu crois que c'est mon choix?
- Explique-toi !
Je lui réponds stoïque que si je suis arrivé, c'est bien pour partir non? Je ne vais pas m'éterniser ! Et même si je le voulais je ne pourrais pas rester. Cela ne dépend pas de moi, c'est comme la richesse ou la célébrité, cela ne dépend pas de moi. Tout a une fin. Les choses ont une fin. Le bonheur les plantes - et même le gui ! - les hommes les voyages ont une fin ! Et je ne suis qu'un homme après tout, ma liberté de choix comme celle de tout homme ne s'épanouit que dans l'illusion.
(A suivre…)
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A propos de Zénon d’Elée François Meyer écrit : " Des positions accolées à des positions ne font pas du mouvement, et c'est une gageure de vouloir créer de la mobilité avec des immobilités juxtaposées. En d'autres termes, l'essence du mouvement est la continuité, et jamais, avec des discontinuités, on ne reproduira une continuité quelconque. L'intelligence analytique est donc condamnée à prendre des "instantanés" sur le mouvement, c'est à dire à laisser échapper ce qui fait le mouvement lui-même (…) Cette incapacité naturelle à saisir la mobilité peut entraîner l'intelligence jusqu'à l'absurde, comme en témoignent les sophismes célèbres de Zénon d'Elée. Le plus connu est l'histoire d'Achille et de la tortue : on démontre que jamais Achille au pied léger ne rattrapera la tortue. Lorsqu'il sera parvenu au point A où se trouvait la tortue à l'instant où lui-même prenait le départ, la tortue l'aura déjà quitté, et sera en B. Il devra poursuivre son chemin jusqu'en B, mais alors la tortue sera en C. Le raisonnement peut se poursuivre à l'infini, puisque l'intelligence se donne le droit de morceler indéfiniment le trajet là où il faudrait être sensible à l'indivisibilité du mouvement qui porte d'un coup Achille vers la tortue. Là où il faudrait penser : mouvement, l'intelligence pense : espace parcouru, et, parce que l'espace est indéfiniment divisible, elle en juge de même du mouvement. Elle est victime de sa structure analytique.
« Ce sont ces moments qui m'ont le plus émue » Tarkovski écrit : « Dans « Cris et chuchotements » il y a une scène très forte qui est peut-être la plus importante du film. Deux sœurs arrivent dans la maison familiale où leur aînée est mourante. L’attente de cette mort [Précision car il y a erreur de Tarkovski ; elles ne sont pas dans « l’attente de la mort », en fait au moment où les 2 sœurs se rencontrent, se parlent, se parlent…leur sœur est déjà morte]
Je reprends Tarkovski : « L’attente de cette mort fonde le point de départ du film. Se retrouvant seules toutes les 2, elles éprouvent tout à coup, l’une pour l’autre comme une très forte affinité humaine : elles parlent, et parlent, et parlent…n’arrivent plus à s’arrêter…se caressent… »
« Les gémissements incessants et harmonieux d'un violoncelle-arc-en-ciel » :
- Chez Bergman in "Cris et chuchotements"
- Dans la pièce de Stig Dagerman « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » . Dans un document intitulé "Toute la presse en parle" on lit : "…Ecrit quelques mois avant le suicide de son auteur, ce monologue (cette pièce) est le cri d'un désespéré qui tente de réinventer des raisons d'exister. Dans une grande pièce blanche dont les fenêtres semblent s'ouvrir sur le néant, résonne à contrepoint le chant du violoncelle…"
« Je les connais ! Je l’entends et la vois nous répondre » :Orientation du récit vers le futur (lire autres passages). Michel Raimond écrit "…Montrer au passé des personnages qui ont un avenir…" [Il donne des exemples dont]…" Swann recherche fiévreusement Odette dans les restaurants des boulevards où il a la chance de la trouver. Tout concourt à l'efficacité des allées et venues de Swann, l'incertitude croissante sur le succès de ses démarches, les encombrements du boulevard ressentis par lui comme autant d'obstacles à son désir, une focalisation qui approfondit l'espace en une série de perspectives, qui creuse le temps en une série d'attentes. Quel plus bel exemple d'un présent donnant sur l'avenir que l'évocation des deux éventualités qui s'offrent au héros : "Swann se représentait le moment qui approchait, à la fois comme celui où Rémi lui dirait : "Cette dame est là", et comme celui où Rémi lui dirait : " Cette dame n'était dans aucun des cafés." Et ainsi il voyait la fin de la soirée devant lui, une et pourtant alternative". L'avenir s'est ouvert ici parce qu'il est incertain, qu'il offre cette alternative…"
« Tu crois que c'est mon choix?… » : Epictète : « Dépendent de nous nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions (…). Ne dépendent pas de nous notre corps, la richesse, la célébrité, le pouvoir. » Epictète réduit le stoïcisme à une morale fondée sur la différence entre ce qui dépend de l’individu et ce qui n’en dépend pas.
(A suivre...)
A propos de Zénon d’Elée François Meyer écrit : " Des positions accolées à des positions ne font pas du mouvement, et c'est une gageure de vouloir créer de la mobilité avec des immobilités juxtaposées. En d'autres termes, l'essence du mouvement est la continuité, et jamais, avec des discontinuités, on ne reproduira une continuité quelconque. L'intelligence analytique est donc condamnée à prendre des "instantanés" sur le mouvement, c'est à dire à laisser échapper ce qui fait le mouvement lui-même (…) Cette incapacité naturelle à saisir la mobilité peut entraîner l'intelligence jusqu'à l'absurde, comme en témoignent les sophismes célèbres de Zénon d'Elée. Le plus connu est l'histoire d'Achille et de la tortue : on démontre que jamais Achille au pied léger ne rattrapera la tortue. Lorsqu'il sera parvenu au point A où se trouvait la tortue à l'instant où lui-même prenait le départ, la tortue l'aura déjà quitté, et sera en B. Il devra poursuivre son chemin jusqu'en B, mais alors la tortue sera en C. Le raisonnement peut se poursuivre à l'infini, puisque l'intelligence se donne le droit de morceler indéfiniment le trajet là où il faudrait être sensible à l'indivisibilité du mouvement qui porte d'un coup Achille vers la tortue. Là où il faudrait penser : mouvement, l'intelligence pense : espace parcouru, et, parce que l'espace est indéfiniment divisible, elle en juge de même du mouvement. Elle est victime de sa structure analytique.
« Ce sont ces moments qui m'ont le plus émue » Tarkovski écrit : « Dans « Cris et chuchotements » il y a une scène très forte qui est peut-être la plus importante du film. Deux sœurs arrivent dans la maison familiale où leur aînée est mourante. L’attente de cette mort [Précision car il y a erreur de Tarkovski ; elles ne sont pas dans « l’attente de la mort », en fait au moment où les 2 sœurs se rencontrent, se parlent, se parlent…leur sœur est déjà morte]
Je reprends Tarkovski : « L’attente de cette mort fonde le point de départ du film. Se retrouvant seules toutes les 2, elles éprouvent tout à coup, l’une pour l’autre comme une très forte affinité humaine : elles parlent, et parlent, et parlent…n’arrivent plus à s’arrêter…se caressent… »
« Les gémissements incessants et harmonieux d'un violoncelle-arc-en-ciel » :
- Chez Bergman in "Cris et chuchotements"
- Dans la pièce de Stig Dagerman « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » . Dans un document intitulé "Toute la presse en parle" on lit : "…Ecrit quelques mois avant le suicide de son auteur, ce monologue (cette pièce) est le cri d'un désespéré qui tente de réinventer des raisons d'exister. Dans une grande pièce blanche dont les fenêtres semblent s'ouvrir sur le néant, résonne à contrepoint le chant du violoncelle…"
« Je les connais ! Je l’entends et la vois nous répondre » :Orientation du récit vers le futur (lire autres passages). Michel Raimond écrit "…Montrer au passé des personnages qui ont un avenir…" [Il donne des exemples dont]…" Swann recherche fiévreusement Odette dans les restaurants des boulevards où il a la chance de la trouver. Tout concourt à l'efficacité des allées et venues de Swann, l'incertitude croissante sur le succès de ses démarches, les encombrements du boulevard ressentis par lui comme autant d'obstacles à son désir, une focalisation qui approfondit l'espace en une série de perspectives, qui creuse le temps en une série d'attentes. Quel plus bel exemple d'un présent donnant sur l'avenir que l'évocation des deux éventualités qui s'offrent au héros : "Swann se représentait le moment qui approchait, à la fois comme celui où Rémi lui dirait : "Cette dame est là", et comme celui où Rémi lui dirait : " Cette dame n'était dans aucun des cafés." Et ainsi il voyait la fin de la soirée devant lui, une et pourtant alternative". L'avenir s'est ouvert ici parce qu'il est incertain, qu'il offre cette alternative…"
« Tu crois que c'est mon choix?… » : Epictète : « Dépendent de nous nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions (…). Ne dépendent pas de nous notre corps, la richesse, la célébrité, le pouvoir. » Epictète réduit le stoïcisme à une morale fondée sur la différence entre ce qui dépend de l’individu et ce qui n’en dépend pas.
(A suivre...)
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