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jeudi, novembre 17, 2011

292 - Le journaliste Ali Boudoukha est mort



Ali Boudoukha, ou l’impasse du journalisme
Ali Boudoukha a reçu un hommage posthume aussi unanime que paradoxal. Décédé à l’âge de soixante ans, cet homme, plutôt discret, au look jeune, qui a eu un parcours aussi heurté que celui de la presse algérienne, a suscité des commentaires étonnants de la part d’une corporation dont, disons le crûment, il méprisait une bonne partie.


Peut-être que l’hommage à Ali Boudoukha est-il une sorte reconnaissance en lui de vertus perdues par la presse algérienne, une presse qui a trouvé en cet homme modeste les qualités qu’elle voulait exhiber mais qu’elle a abandonnées, sous la double pression de l’argent et du pouvoir, deux facteurs face auxquels Boudoukha n’a précisément toujours refusé de céder.
Formé à l’école du service public, à la radio, Boudoukha s’est naturellement retrouvé assez tôt dans la contestation. Un peu par tempérament, beaucoup par conviction. A la fin des années soixante dix et au début des années 1980, la contestation ne pouvait, pour un journaliste de la radio, s’exercer que dans le syndicalisme. Boudoukha s’est donc engagé dans le syndicalisme, pour se rendre compte rapidement de l’impasse : le parti unique était un mur contre lequel tout se brisait, qu’il s’agisse de l’exercice du journalisme et des luttes syndicales.

Mais les choses se sont ensuite rapidement accélérées. L’épuisement du système du parti unique a enfanté de multiples formes de contestation, dont l’une des plus abouties s’est cristallisée autour du Mouvement des Journalistes Algériens (MJA) bien avant octobre 1988. Ali Boudoukha en était évidemment, participant en franc-tireur aux luttes que tentaient d’aiguiller partis et courants clandestins.

Avec l’euphorie démocratique qui a suivi octobre 1988, Ali Boudoukha s’est trouvé coincé entre un service public qu’il assumait à la radio, et un engagement politique en faveur de la démocratie, qu’il voulait exprimer au sein de différents journaux privés. La rupture s’est faite avec son engament plein et définitif avec l’hebdomadaire La Nation, où il a atteint la plénitude de son métier. Animant une rubrique célèbre, Souk El-Kalam (le marché des mots), honteusement plagiée par plusieurs journaux, Ali Boudoukha racontait chaque semaine, dans un style unique, les péripéties et les dérapages de la presse algérienne.

Mais le journaliste cherchait toujours un terrain où exercer son métier de manière correcte, selon les règles auxquelles il croyait. Avec, en premier, la fidélité aux faits, s’appuyant sur une rigueur intellectuelle et morale sans faille. A la fin des années 1990, et après l’arrêt de La Nation, il n’y avait, pour lui, guère d’espace où travailler selon ces normes. Il a donc tenté l’expérience avec Libre Algérie, journal du FFS, dont il se sentait proche.

Son itinéraire, ensuite, résume bien ce qu’est l’impasse de la presse algérienne. Pouvoir et argent ne laissaient guère d’espace au journalisme. Il ne restait plus que la presse internationale et la presse électronique, un champ que le pouvoir algérien n’avait pas encore su apprivoiser. C’est naturellement que Ali Boudoukha devint correspondant de RFI et fondateur du site Maghreb Emergent.

Sur le plan politique, Ali Boudoukha appartenait à ce courant issu du FLN, progressiste et moderne, qui croyait à la solution algérienne à la crise. En ce sens, avant de se rapprocher du FFS, Boudoukha était d’abord un ami de Mouloud Hamrouche et de Abdelhamid Mehri. Il croyait très fort que ces hommes, symbolisant à la fois l’enracinement historique et la modernité, constituaient une chance unique pour le pays, un atout inégalé face à la perte de repères et à la déliquescence de la pensée.

Mais il faut bien admettre que l’Algérie a décidé de se passer de cet atout. Ce qui symbolise l’impasse dans laquelle se trouvait Ali Boudoukha alors qu’approchait pour lui l’heure de la retraite. Mais il a réussi un autre pari : assurer à ses enfants une formation de haut niveau. Une fois ce pari réussi, il a décidé de partir. Comme pour dire qu’il n’avait plus envie de tourner en rond dans un monde FLN-RND-Hamas, avec le terrorisme et l’OTAN là-bas, en bout de piste.

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par Abed Charef
Mardi 15 Novembre 2011
in: http://www.lanation.info/Ali-Boudoukha-ou-l-impasse-du-journalisme_a463.html

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Ali Bey Boudoukha est vivantAli Bey Boudoukha est mort. Dans sa sécheresse, la phrase parait obscène. Il m’est pénible de conjuguer au passé l’évocation de l’ami, du frère et de l’homme. En dépit de l’évidence pour moi Ali est vivant, il est présent, chaleureux et souriant.
Ali a été l’ami des temps du déchirement et de la solitude. Quand beaucoup se détournaient, avec souvent une lueur de crainte, de méfiance – et parfois de haine - dans le regard, Ali était là, souriant, affectueux, débordant de sollicitude et de générosité. Cette solidarité dans la solitude glacée d’une ville hostile est sans conteste l’un des cadeaux les plus précieux que j’ai reçu. Ali a été un cadeau de la vie pour ceux qui ont eu le privilège de son amitié.

Tous ont mis en avant sa droiture et sa dignité, Ali l’incorruptible, indifférent aux attraits de ce qu’il appelait « la mangeoire » avec l’ironie cinglante qui le caractérisait. Ali était un homme libre et insoumis dans un contexte où la liberté et l’insoumission sont des qualités rarissimes. Il n’était soumis à aucune autorité sinon à celle de la morale et de l’honneur dans un monde où ces deux mots n’évoquent rien pour les cohortes de courtisans et de cuistres qui nous tiennent lieu d’élites visibles. Ali n‘avait d’autre obédience que celle qu’il avait souverainement consentie au peuple algérien, à la liberté et à la justice. « Le pessimisme avec l’intelligence et l’optimisme par la volonté » la formule de Gramsci résume parfaitement la synthèse de principe de réalité et d’éthique de l’engagement à la base de tout ce qu’était Ali. Désintéressé et bon vivant, réaliste mais sans cynisme, il n’a jamais accepté la déchéance de l’Algérie sous la botte des dictateurs et des ruffians. Je n’ai pas été surpris du chagrin et de la tristesse de beaucoup. Ali, homme discret et modeste, mérite plus que nul autre cet hommage sincère et unanime.

Ses amis, ils sont nombreux, savent qu’Ali, aux silences éloquents, était un homme de perspectives, un inépuisable optimiste, un résistant inaltérable. Avec une immense modestie, il n’a jamais cessé de faire preuve de courage face à l’adversité. Non, Ali ne se trouvait dans aucune impasse, il savait mieux que personne et depuis de très longues années ce que signifie être journaliste en Algérie et il connaissait précisément la qualité – le terme semble inapproprié – de l’essentiel de la composante humaine de cette profession, en particulier de ceux qui affichent des postures publiques contredites par des pratiques personnelles… discutables.

Comme beaucoup qui vivent un infernal exil intérieur, Ali se souciait énormément du bien-être de sa famille qu’il chérissait et de l’avenir de ses enfants dont il était si fier. Ainsi, c’était un crève-cœur, il s’était résolu à quitter l’Algérie. Mais, pour le faire dans des conditions acceptables, il fallait réunir des préalables pratiques. Le destin aveugle ne lui en n’a pas laissé le temps.

Ali Bey Boudoukha respectait profondément le peuple algérien et était parfaitement lucide sur les enjeux et les acteurs du drame imposé au pays, un drame aussi sanglant que ses ressorts restent sordides. Je n’évoquerai à cet égard qu’une seule anecdote personnelle : sur son lit d’hôpital dans une période où il n’avait presque plus la force de parler je lui ai appris l’interpellation d’un innommable soudard par la justice helvétique. Ali a ouvert de grands yeux et, dans un souffle, m’a demandé si je ne me payais pas sa tête. Quand je lui ai confirmé que c’était la vérité, son sourire était éclatant.

Je ne dirai rien de plus de nos échanges au cours de cette atroce phase de l’adieu sinon que l’un de ses plus grands regrets, avec celui de se séparer de sa famille, était de partir avant de voir une Algérie libérée de l’emprise de la caste qui l’écrase. Pour moi Ali restera, jusqu’à mon dernier regard sur le monde, l’incarnation de la loyauté, de l’honneur et de la bravoure, l’essence des valeurs les plus profondes du peuple algérien.

Ali est parti vers un ailleurs lumineux et tendre. Mais pour moi et pour bien d’autres, et tant que nous serons debout, Ali est vivant.

Écrit par Omar Benderra    Jeudi, 17 Novembre 2011
Cet article est publié initialement sur le site de Algeria wtach
In : http://www.maghrebemergent.com
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Il a été inhumé hier à Zéralda
L’adieu au journaliste Ali Boudoukha
Ils étaient nombreux à lui rendre un ultime hommage. Des confrères et consœurs, ses amis et de nombreuses personnalités politiques et militants des droits de l’homme étaient tous là, hier, pour accompagner le journaliste Ali Boudoukha à sa dernière demeure.
Décédé mercredi d’un cancer dans un hôpital parisien, notre confrère Ali Boudoukha a été inhumé au cimetière de Zéralda (ouest d’Alger). Un moment extrêmement dur pour sa famille, pour la presse, sa deuxième famille, mais également pour cette Algérie qu’il voulait libre et digne et pour laquelle il s’est battu ardemment pendant quarante années de vie de journaliste.
Son fils Walid, son frère El Hadi, ses amis intimes Jeff, El Kadi, Chérif Ben, Redouane et tous ceux qui ont côtoyé le défunt étaient très affectés par la disparition prématurée de Ali Boudoukha. Eh oui, il est parti très tôt ! A 60 ans, Ali pouvait encore donner pour la profession et pour le pays dont les tourments le révoltaient. D’un professionnalisme rare et d’une indépendance d’esprit qui forçait le respect, Ali Boudoukha qui, durant toutes ces années, défendait une haute conception du journalisme, était de ces professionnels indomptables.
Sa rectitude morale et son honnêteté intellectuelle étaient appréciés au-delà de la corporation, comme en témoigne la foule nombreuse qui a tenu à le saluer une dernière fois. Le chef de file des réformateurs, Mouloud Hamrouche, la quasi-totalité des figures du FFS, dont l’actuel premier secrétaire national, Karim Tabbou, le ministre de la Communication, Nacer Mehal, le président de la Laddh, Mustapha Bouchachi, mais également de nombreux anonymes sont venus lui dire combien il va nous manquer.

Hacen Ouali
In : El watan 13 novembre 2011
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