Le 03 juin 1974, nous quittait le père de la lutte pour l'indépendance algérienne.
Messali Hadj (16 mai 1898 à Tlemcen – 03 juin
1974 à Gouvieux dans l’Oise )
JT du 04 juin 1974 INA
Messali Hadj, père oublié du nationalisme algérien
Dans l’histoire du nationalisme
algérien, un point d’interrogation demeure : comment et pourquoi le père
fondateur, Ahmed Mesli, dit Messali Hadj, a-t-il pu être désavoué, puis
combattu, par ses fils spirituels, alors même qu’il avait été le premier à
poser comme objectif non plus un aménagement du système colonial, mais la lutte
pour l’indépendance ?
Si les noms de Habib Bourguiba en
Tunisie et de Mohammed Ben Youssef — ou Mohammed V — au Maroc sont
liés, dans la mémoire collective, à la lutte victorieuse pour l’indépendance,
celui de Messali Hadj fait toujours l’objet, en Algérie, d’une occultation qui
s’est à peine atténuée depuis une ou deux décennies.
L’Etoile nord-africaine (ENA)
naquit au printemps 1926, à l’initiative des milieux communistes français,
très attentifs alors à l’organisation des « travailleurs coloniaux »
en métropole. Au sein de la commission coloniale du Parti communiste français
(PCF), le principal responsable était Abdelkader Hadj Ali ; il fut secondé
par des militants plus jeunes, dont Messali Hadj (1).
En février 1927, à Bruxelles, lors du congrès de la Ligue contre l’impérialisme
et l’oppression coloniale, le jeune Messali — il est né à Tlemcen en
1898 — est chargé de présenter le programme de l’Etoile. Pour la première
fois, du haut d’une tribune internationale, un orateur exige l’indépendance de
la colonie algérienne et des protectorats tunisien et marocain : « L’indépendance
de l’un de ces trois pays n’a de chances d’aboutir que dans la mesure où le
mouvement libérateur de ce pays sera soutenu par les deux autres (2). »
L’Etoile connaît un succès
grandissant, essentiellement au sein de l’immigration algérienne en métropole.
Mais les relations entre communistes et étoilistes se distendent dès la fin de
la décennie 1920. Messali Hadj et les autres dirigeants sont soucieux de
ne pas s’engager dans un face-à-face avec le PCF. Ce dernier ne comprend les
relations avec les mouvements nationalistes qu’en fonction de sa seule
stratégie, laquelle devient — à partir du Front populaire — plus
hexagonale qu’internationaliste. Jusqu’alors, chacun avait utilisé l’autre à
ses propres fins.Sept 1959 INA
L’avènement du Front populaire
révèle le malentendu. Des divergences apparaissent sur les objectifs visés. En
matière coloniale, la gauche française s’en tient à un prudent
réformisme : même le timide plan Blum-Viollette — élaboré en 1936 par
Léon Blum avec l’ancien gouverneur d’Algérie Maurice Viollette —, qui
visait à permettre à vingt-cinq ou trente mille Algériens d’acquérir la
citoyenneté sans renoncer à leur statut personnel musulman, ne sera jamais
présenté au Parlement. Le PCF conçoit en 1939 le schéma, qui devait se révéler
si inadéquat, de la « nation en formation », fondée sur un mélange
des populations européennes et arabo-berbères. Le langage des étoilistes, lui,
ne change pas : le peuple algérien doit compter avant tout sur ses propres
forces. « Mes frères, il ne faut pas dormir sur vos deux oreilles
maintenant et croire que toute l’action est terminée, car elle ne fait que
commencer », avertit Messali Hadj.
21 sept 1959 INA
S’enclenche alors une campagne
sourde, puis ouverte, contre les étoilistes. Le 26 janvier 1937, en
vertu des lois contre les ligues factieuses, le gouvernement Blum dissout
l’Etoile. Robert Deloche, chargé de la question algérienne au PCF, soutient
cette mesure dans L’Humanité du 12 février ; le divorce est
consommé.
Messali Hadj et les siens fondent
le Parti du peuple algérien (PPA), qui, à la différence de l’ENA, s’implante
également en Algérie. Cela vaudra à Messali Hadj une accusation de « reconstitution
de ligue dissoute » et une arrestation, le 27 août 1937. Commence alors,
après un procès dans la pure tradition coloniale, une nouvelle vie pour le
fondateur du PPA. Sur trente-sept années — entre 1937 et sa mort —, il en
passera vingt-deux soit en prison, soit en résidence surveillée, selon le bon
vouloir de quatre régimes : la IIIe République finissante, l’Etat
vichyste, puis enfin les IVe et Ve Républiques.
Durant la seconde guerre
mondiale, il refuse toutes les avances faites par l’Allemagne nazie aux
nationalistes des pays colonisés, ce qui accroît son autorité morale. Puis
survient, avec la chute du nazisme, cette terrible coïncidence des dates :
le drame du 8 mai 1945 dans le Constantinois, lorsqu’une manifestation
pour l’indépendance, à l’occasion de la victoire des Alliés, est violemment
réprimée (3).
Le massacre — plusieurs milliers de morts — a des répercussions au sein du
mouvement nationaliste algérien. Pour les militants de la jeune génération, la
guerre d’Algérie commence de fait à ce moment, et la préparation à la lutte
armée s’impose. Messali Hadj — qui ne vit plus en Algérie — en reste
au schéma classique de la conscientisation progressive du peuple. Pour lui, les
appels à l’insurrection sont des « fanfaronnades », du « gauchisme
stupide » (4).
Ces dissensions mèneront à la
rupture de 1954. Le mouvement nationaliste algérien se déchire. L’autorité de
Messali Hadj, fondateur et président du PPA — qui devient le Mouvement
pour le triomphe des libertés démocratiques, MTLD, après la dissolution par les
autorités françaises du PPA en 1946 —, est remise en cause. Une fracture
apparaît entre messalistes et centralistes (ainsi nommés parce que majoritaires
au comité central).
Un petit noyau autonome, issu de
l’Organisation spéciale (OS, structure clandestine destinée à préparer une
future lutte armée), va griller la politesse aux uns et aux autres et imposer
la préparation concrète d’une insurrection armée. L’idée est énoncée le
23 mars 1954, jour de naissance du Comité révolutionnaire pour
l’unité et l’action (CRUA). Auparavant, en février, Messali Hadj avait été
approché par Moustapha Ben Boulaïd, l’un des neuf fondateurs du CRUA, et avait
repoussé avec mépris les plans de ces « amateurs ». On sait
aujourd’hui que lui-même envisageait pourtant — mais avec quelle conviction ?
— une insurrection autour du 15 novembre 1954.
Une course de vitesse s’engage
donc entre deux factions pourtant mues par le même idéal et dotées de
stratégies très proches, mais en désaccord sur le calendrier. Sans doute n’y
avait-il là rien d’insurmontable ; mais deux facteurs vont troubler le
jeu. En France, le ministre de l’intérieur François Mitterrand, apparemment
bien informé, décide en septembre de transférer Messali Hadj dans une nouvelle
résidence surveillée, aux Sables-d’Olonne, ce qui renforce son isolement. En
Egypte, où le CRUA a installé sa base arrière, Gamal Abdel Nasser, qui s’est
emparé du pouvoir le 23 juillet 1952, pousse à l’éviction de Messali
Hadj, considéré comme moins malléable que les jeunes nationalistes, dont Ahmed
Ben Bella — qui deviendra en 1962 le premier président de l’Algérie
indépendante.
L’insurrection éclate le 1er
novembre 1954. Un nouveau nom marque la rupture avec le passé : Front de
libération nationale (FLN). Messali Hadj, lui, fonde un parti qui apparaîtra
vite comme le concurrent du FLN : le Mouvement national algérien (MNA).
Commence alors l’un des épisodes les plus douloureux de cette guerre. En
quelques mois, à partir de 1956, la confrontation entre nationalistes prend un
tour d’une violence inouïe. Selon toutes les études historiques, c’est le FLN
qui cause les premiers affrontements, afin de conquérir une suprématie détenue
depuis des décennies par le messalisme. En Algérie, il détruit les bases
supposées du MNA, comme ce village de Melouza où trois cent quinze personnes
sont tuées en mai 1957 ; un massacre évidemment utilisé par la
propagande française.
En métropole, malgré l’usure et
l’isolement du vieux dirigeant, le travail de quatre décennies a acquis au
messalisme l’immense majorité de la communauté immigrée. Pour imposer sa
conception de la révolution, le FLN entreprend à partir de 1957 d’assassiner
les dirigeants du MNA. Après un temps d’hésitation, marqué par un appel
solennel de Messali Hadj (« Ces assassinats et ces crimes se
multiplient tous les jours, alors que tous nos compatriotes luttent pour le
même objectif », 1er septembre 1957 (5)),
ce dernier réplique. Dans cette guerre civile à l’intérieur même de la guerre
d’Algérie — parfois attisée par la France coloniale —, l’historien Gilbert
Meynier estime le nombre de victimes en métropole à quatre mille (6),
réparties en trois groupes à peu près égaux : un tiers de victimes MNA du
FLN, un tiers de victimes FLN du MNA, et un tiers d’Algériens qui refusaient de
se plier aux injonctions des uns et des autres (7).
Les messalistes furent défaits
dès 1957 en Algérie, et à partir de 1959-1960 en métropole. Le combat cessa
faute de combattants dans le camp du MNA : le FLN avait établi son
hégémonie. En 1959, lorsque le régime gaulliste décide de mettre fin à l’exil
de Messali Hadj, c’est un homme abattu qui se réfugie dans une petite maison de
la région parisienne, à Chantilly. Il devra probablement sa survie — suprême
honte — à la protection discrète dont il bénéficie de la part de l’Etat
français, qui mène alors une guerre destructrice contre son peuple.
Quels avaient été, sa vie durant,
les deux axes de sa pensée politique ? La conquête de l’indépendance et le
maintien de la solidarité entre les trois peuples du Maghreb, dans la lutte,
puis dans la liberté recouvrée. En 1962, il peut à bon droit être amer.
L’indépendance est certes acquise, mais au prix de sa mise à l’écart. L’Algérie
dont il rêvait, adossée à un puissant mouvement ouvrier, forte de l’expérience
politique accumulée au sein de l’immigration, des luttes, n’a pas vu le jour.
Ce qu’il avait sans doute pressenti, l’accaparement rapide du pouvoir par une
caste militaro-bureaucratique, prend corps sous ses yeux, se renforçant même
avec le coup d’Etat de Houari Boumediene, le 19 juin 1965. Et
l’histoire officielle en cours d’écriture n’exalte que les nouveaux maîtres,
niant l’apport fondamental du messalisme au mouvement national.
Messali Hadj avait rêvé l’unité
des trois pays du Maghreb ; elle ne se réalisa pas non plus. Devenus
indépendants, la Tunisie de Bourguiba, le Maroc de Mohammed Ben Youssef et
l’Algérie de Ben Bella allèrent chacun son chemin, et parfois même
s’affrontèrent. Messali Hadj s’éteignit le 3 juin 1974, sans avoir
revu l’Algérie.
par Alain Ruscio, juin 2012
www.monde-diplomatique.fr; Juin 2012Historien. Auteur de Histoire de la colonisation. Réhabilitations, falsifications et instrumentalisations (ouvrage collectif codirigé avec Sébastien Jahan), Les Indes savantes, Paris, 2008 ; de Dien Bien Phu, mythes et réalités. Les échos d’une bataille, 1954-2004 (en collaboration avec Serge Tignères), Les Indes savantes, Paris, 2005 ; du Credo de l’homme blanc, préface d’Albert Memmi, Complexe, Bruxelles, 2002.
(1)
Messali Hadj, Mémoires, 1898-1938, texte établi par Renaud de
Rochebrune, Jean-Claude Lattès, Paris, 1982 ; Benjamin Stora, Messali
Hadj, Le Sycomore, Paris, 1982.
(2)
L’Ikdam, octobre 1927, cité par Mahfoud Kaddache, Histoire du
nationalisme algérien, vol. I, Paris-Méditerranée - EDIF,
Paris-Alger, 2003.
(3)
Lire Mohammed Harbi, « La guerre a commencé à Sétif »,
dans Manière de voir, n° 121, « Algérie, 1954-2011. Histoire
et espérances », février-mars 2012.
(4)
Benjamin Stora, op. cit.
(5)
Ibid.
(6)
Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, Paris, 2002.
(7)
Paul-Marie Atger, « Le Mouvement national algérien à Lyon. Vie, mort
et renaissance pendant la guerre d’Algérie », Vingtième Siècle,
n° 104, Paris, octobre-décembre 2009.
www.monde-diplomatique.fr; Juin 2012
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Messali Hadj, au même titre que d’autres figures du mouvement indépendantiste, ne fait plus l’objet d’une occultation systématique en Algérie. Depuis l’expérience du « pluralisme partisan » et l’arrivée du président Abdelaziz Bouteflika, plusieurs éléments sont allés dans le sens d’une réapparition du pionnier du nationalisme sur la scène publique. L’aéroport de Tlemcen ainsi qu’un boulevard à Sidi Bel Abbes portent son nom, d’anciens messalistes se recueillent sur sa tombe chaque année, des colloques lui sont consacrés, plusieurs publications traitent de son parcours, et il est désormais intégré dans les manuels scolaires. Evidemment, comparé à l’importance du personnage, cela demeure bien insuffisant. Certains acteurs politiques, certes marginaux, ne traitent de Messali Hadj et de ses partisans que sur le mode de l’insulte. Les anciens militants et combattants du Mouvement national algérien (MNA) ne sont d’ailleurs toujours pas reconnus dans leurs droits, contrairement à ceux du Front de libération nationale (FLN).
L’avènement du régime gaulliste fut suivi d’une série de mesures politiques, comme le transfert d’Ahmed Ben Bella et de ses compagnons à l’île d’Aix en 1959, mais aussi la fin de la déportation de Messali Hadj à Belle-Ile-en-Mer, où séjourna Auguste Blanqui, un autre « enfermé ». Précisons qu’il ne sera complètement libre, vis-à-vis des autorités françaises, qu’en mai 1962. Sa protection ne fut en aucun cas assurée par l’Etat français, mais par des militants algériens, dont l’un (Ali Djouadi, 26 ans) perdit la vie, en septembre 1959, quand un commando du FLN tenta d’assassiner le zaïm [« vaillant, courageux »]. Si l’on peut parler de détente temporaire, celle-ci va immédiatement cesser quand Messali Hadj refuse d’être un moyen de pression contre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) durant les négociations, au grand dam de certains dirigeants qui se retrouvent dans le Front algérien d’action démocratique (FAAD), énième création des officines colonialistes.
Messali Hadj, entouré de ses derniers compagnons, n’arrête pas son combat politique en 1962 et va relancer un second Parti du peuple algérien (PPA), jamais agréé par les autorités algériennes. L’indépendance était sans doute acquise (malgré ses réserves concernant les accords d’Evian), mais il restait le combat pour la démocratie, contre la dictature du parti unique. En un demi-siècle d’engagement marqué par la détention et l’exil, il a pu constater l’éviction des pionniers du mouvement indépendantiste, la décomposition du mouvement ouvrier, le gâchis énorme causé par les luttes fratricides (entretenues par les « services » et amplifiées par certains zélateurs), mais aussi la persistance de la question palestinienne, à laquelle il était sensible.
Voir aussi le courrier des lecteurs (Le
Monde diplomatique juillet
2012 ) :
M. Nedjib Sidi Moussa, qui prépare à la Sorbonne une thèse de doctorat
en science politique sur les trajectoires des dirigeants messalistes, précise
certains points abordés dans l’article d’Alain Ruscio «Messali Hadj, père oublié du nationalisme algérien »
(Le Monde diplomatique, juin 2012).Messali Hadj, au même titre que d’autres figures du mouvement indépendantiste, ne fait plus l’objet d’une occultation systématique en Algérie. Depuis l’expérience du « pluralisme partisan » et l’arrivée du président Abdelaziz Bouteflika, plusieurs éléments sont allés dans le sens d’une réapparition du pionnier du nationalisme sur la scène publique. L’aéroport de Tlemcen ainsi qu’un boulevard à Sidi Bel Abbes portent son nom, d’anciens messalistes se recueillent sur sa tombe chaque année, des colloques lui sont consacrés, plusieurs publications traitent de son parcours, et il est désormais intégré dans les manuels scolaires. Evidemment, comparé à l’importance du personnage, cela demeure bien insuffisant. Certains acteurs politiques, certes marginaux, ne traitent de Messali Hadj et de ses partisans que sur le mode de l’insulte. Les anciens militants et combattants du Mouvement national algérien (MNA) ne sont d’ailleurs toujours pas reconnus dans leurs droits, contrairement à ceux du Front de libération nationale (FLN).
L’avènement du régime gaulliste fut suivi d’une série de mesures politiques, comme le transfert d’Ahmed Ben Bella et de ses compagnons à l’île d’Aix en 1959, mais aussi la fin de la déportation de Messali Hadj à Belle-Ile-en-Mer, où séjourna Auguste Blanqui, un autre « enfermé ». Précisons qu’il ne sera complètement libre, vis-à-vis des autorités françaises, qu’en mai 1962. Sa protection ne fut en aucun cas assurée par l’Etat français, mais par des militants algériens, dont l’un (Ali Djouadi, 26 ans) perdit la vie, en septembre 1959, quand un commando du FLN tenta d’assassiner le zaïm [« vaillant, courageux »]. Si l’on peut parler de détente temporaire, celle-ci va immédiatement cesser quand Messali Hadj refuse d’être un moyen de pression contre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) durant les négociations, au grand dam de certains dirigeants qui se retrouvent dans le Front algérien d’action démocratique (FAAD), énième création des officines colonialistes.
Messali Hadj, entouré de ses derniers compagnons, n’arrête pas son combat politique en 1962 et va relancer un second Parti du peuple algérien (PPA), jamais agréé par les autorités algériennes. L’indépendance était sans doute acquise (malgré ses réserves concernant les accords d’Evian), mais il restait le combat pour la démocratie, contre la dictature du parti unique. En un demi-siècle d’engagement marqué par la détention et l’exil, il a pu constater l’éviction des pionniers du mouvement indépendantiste, la décomposition du mouvement ouvrier, le gâchis énorme causé par les luttes fratricides (entretenues par les « services » et amplifiées par certains zélateurs), mais aussi la persistance de la question palestinienne, à laquelle il était sensible.
on : www.monde-diplomatique.fr
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Messali Hadj raconté par sa fille
21 mai 2013 Par Benjamin
Stora
Messali Hadj, le fondateur de la première organisation nationaliste algérienne
dans les années 1920, a longtemps été un personnage maudit de l’histoire
intérieure algérienne. Ses partisans, regroupés dans le Mouvement national
algérien (MNA), se sont durement affrontés à ceux du Front de Libération
Nationale (FLN) pendant la guerre d’Algérie. Ils ont été vaincus, et le nom de
Messali a disparu de la scène publique après l’indépendance de 1962. Mais le
personnage Messali n’avait jamais été oublié par les Algériens, et son nom a
refait surface, tout naturellement, à la fin du XXe siècle, notamment au moment
du centième anniversaire de sa naissance, en 1998.
Sa fille, Djanina
Messali-Benkelfat, vient de publier aux éditions Riveneuve un livre de
mémoires. C’est un témoignage saisissant et précieux sur sa vie aux côtés de ce
père si présent pendant près d’un demi-siècle de l’histoire franco-algérienne.
En 394 pages, elle nous fait revivre tous les combats livrés par le
nationalisme algérien depuis les années 1930, jusqu’à la guerre d’indépendance
algérienne. Elle évoque la figure de sa mère, Emilie Busquant, militante
anarcho-syndicaliste, féministe, anticolonialiste qui lia son sort à Messali,
inventa avec lui le drapeau algérien et mourut juste avant le déclenchement de
la guerre en 1953.
Djanina Messali Benkelfat
traite des différentes luttes livrées par celui que l’on a longtemps comparé à
Blanqui, « l’enfermé », ou « le prisonnier de la mer »
comme disait André Breton lorsqu’il parlait de Messali en lui rendant visite à
Belle-Isle. Tous les régimes de la IIIe ou de la IVe République craignait sa
parole mordante, à Paris ou à Alger. À soixante ans encore, au moment de
l’avènement de la Ve République, il est encore emprisonné (il sera
définitivement libéré en 1959). Quiconque veut comprendre la persévérance du
dissident doit faire connaissance avec Messali… Il réussit à rester homme du
peuple tout en devenant une célébrité, ce qui fait de lui un symbole de
la méfiance des hommes de son appareil politique. Au temps où la réussite
passait par le fait de siéger dans un conseil municipal (suprême récompense
accordée par le régime colonial aux indigènes), Messali sait résister à la
tentation et prend le chemin de l’exil et des bagnes. C’est par ce moyen
classique que le leader politique gagne en autorité. Il allait en prison sans
amertume. Un procès était l’occasion d’acquérir une grande audience.
Mais le récit n’est une simple
narration de l’histoire du nationalisme algérien, que l’on peut trouver chez
des historiens chevronnés comme Mahfoud Kaddache, Mohammed Harbi ou Charles
Robert Ageron. Il est aussi un portrait émouvant à hauteur d’homme qui nous
montre les conditions terribles de détention de Messali Hadj, par exemple
à Lambèse dans le sud algérien pendant la seconde guerre mondiale, crâne et sourcils
rasés, boulets aux pieds, exhibé au centre la cour de la prison dans une cage,
pour effrayer les autres détenus algériens. L’homme pourtant ne plia jamais,
refusant à la fois les propositions de collaboration du régime de Vichy, et les
promesses du nouveau gouvernement de la France libre après 1943.
Djanina Benkelfat-Messali revient
sur les circonstances de la crise qui a entravé la marche de la principale
organisation indépendantiste, le PPA-MTLD, au début des années 1950. Crise qui
conduisit à la scission de ce parti à la veille du déclenchement de la lutte
armée contre la présence coloniale française. Elle décrit les ambitions
personnelles de certains dirigeants, les manoeuvres d’appareil et les influence
étrangères, notamment égyptiennes, qui ont facilité la mise à l’écart de son
père. Son livre est d’une grande puissance évocatrice lorsque les
« règlements de compte » sont traités, entre le FLN et le MNA dans
les années 1956 et 1962. Le massacre des villageois de Mélouza en mai 1957,
puis l’assassinat d’une grande partie de la direction messaliste en octobre
1957 entraînent la perte d’influence de l’organisation. La fin de guerre est
terrible, Djanina Messali raconte la tentative d’assassinat de son père, son
refus de se laisser instrumentaliser par la France au moment des accords
d’Evian, et la solitude du vieux lutteur dans l’exil en France. Son enterrement
à Tlemcen, sa ville natale, en 1974 est l’occasion d’une grande manifestation
populaire, d’attachement à l’homme qui fût le premier à organiser le combat
indépendantiste algérien.
Cette autobiographie, rapports
d’une jeune fille et de son père, effarouchera sans doute quelques érudits de
l’histoire algérienne, (notamment à propos des figures bien connues d’Abane
Ramdane ou de Mohamed Boudiaf qui affrontèrent Messali), bien que ses
ingrédients aient été choisis avec un grand soin d’authenticité. Il reste que
cet ouvrage fait plus que susciter la curiosité : il invite à la réflexion
sur des problèmes plus vastes que la vie de Messali, sur lequel on a déjà publié
quelques biographies ; la réflexion sur la fin de la démocratie à
l’intérieur des organisations algériennes pendant la guerre, et la confiscation
des combats livrés après l’indépendance de 1962.
Benjamin
Stora. On http://blogs.mediapart.fr/blog
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Djanina
Benkelfat-Messali,
Une vie
partagée avec mon père, Messali Hadj,
Paris,
Ed Riveneuve, 2013. 394 pages. 18 euros.
________ CE QUI SUIT A TOUTES FINS UTILES___________
LIRE EGALEMENT:
http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2015/01/474-emilie-busquant-compagne-de-messali.html