Que je vous explique : nous sommes dimanche 10 décembre 1948, non,
2017. Ce lapsus car je pensais à notre regretté Stéphane Hessel… Il est 18
heures. Le récit ci-dessous n’a pu être envoyé au jour le jour à cause d’une sérieuse
panne d’ordinateur, désormais réglée. Le texte, je l’ai retravaillé autrement
et utilisé la dernière paire de ciseaux, bleue. Quant au problème technique –
les techniciens spécialisés ont écrit sur la facture (120 €) : « le
disque dur interne a nécessité des réparations logicielles avec échange de
nappe HD… » – ce problème disais-je, je l’ai traîné depuis
Takhlidjt, un village du fin fond de la Kabylie, où il a buggué. Vous ne
connaissez pas Takhlidjt, Tiferdoud ou Tachekirt ?
Ih-yuuuh, vous n’êtes
pas des gens du monde qui sait ! Bref, voici mon récit que je viens
de porter sur l’ordi qui pète le feu aujourd’hui. Un récit entièrement amputé
de sa partie « Algérie » (trop long, fastidieux et trop fatigant).
S’il vous plaît, ne vous laissez pas intimider par le « je », ne vous
y appesantissez pas, il n’est qu’indicateur, un décors. Humez l’air autour, des
parfums du temps et de l’environnement ô combien plus importants, s’y nichent.
Dernier jour et jeudi de novembre. Confortablement installé dans un TGV,
pour quelques minutes encore, j’extrayais mes yeux de Zabor ou les psaumes. Une
annonce sonore nous avait prévu un voyage sans retard et ce fut le cas. Notre
train 7830 est arrivé à 20h24 à l’aéroport CDG, précisément à la gare TGV de
l’aéroport. J’ai refermé Zabor ou les psaumes de K.D. que je porte sur moi
depuis le Salon d’Alger et donc durant le voyage je me suis accroché,
décidément, pour le lire. Je confirme ma difficulté de m’approprier la trame
(cf. mon post du 2 novembre, « 580_ Virée en
Algérie: Oran, Alger... Salon du livre etc. 5_ ») J’ai plusieurs fois pensé « c’est
chiant ». De vous à moi, écoutez, ou, mieux, lisez : « Nous
escaladions une baleine échouée sous des astres épars. Rien que notre
respiration de horde vers la maison du haut. » Ou cet extrait que
l’auteur, je suppose, voulut poétique : « Soudain, les eucalyptus se
sont écartés et, dans la nuit, j’ai perçu de la clarté, celle de lampes
derrière des fenêtres, et les voix d’enfants inquiets ». Probablement
qu’en insistant, qu’en forçant au moins jusqu’à la centième page – il y en a
trois cent-vingt-neuf, dans un format 20.5X14.5, avec 49 caractères maximum par
ligne, espaces comprises, et 34 lignes maximum par page – la clarté de
l’histoire s’ouvrirait à moi enfin. L’autre réalité, la vraie, celle des
retrouvailles, d’abord familiales, s’offre à mes yeux, sur les quais mêmes de
la gare…
Le lendemain matin, c’est-à-dire jeudi 30 novembre, j’ai pris le bus
jusqu’au marché de Saint-Denis, (2 euros). Le temps se faufilait entre les
interstices des gris souris, lunaire, anthracite... Il faisait froid même.
Pleuviotait. A la mairie où l’on se prépare activement, j’ai signalé ma
présence. « Demain 10 heures, c’est très bien. » Le reste de cette
journée du jeudi je l’ai réservée à mon pèlerinage. Je veux dire que lorsque je
monte sur Paris après une longue absence, il m’arrive comme ce jour-là,
peut-être par superstition, peut-être pour immobiliser le temps qui nous
harcèle, pour lui tordre le cou, peut-être bien pour tout cela à la fois, je
repasse par des lieux qui me furent jadis chers, des lieux que j’ai fréquentés,
habités dans ma jeunesse. Il en va ainsi du haut de l’avenue de la porte de
Saint-Ouen. J’étais étudiant et travaillais à mi-temps chez Darty qui était
situé à l’emplacement de l’ancienne « gare de la petite
ceinture », à hauteur de la vieille voie ferrée, à cheval entre le 18° et
le 17° arrondissement ou entre les rues Leibniz et Belliard. J’étais
réceptionniste le matin, étudiant le reste de la journée, souvent soir compris.
Le magasin a changé de trottoir et son espace est désormais occupé, depuis
avril dernier, par un beau bar-restaurant destiné à la mode bobo, « Le
Hasard ludique », où je ne prends qu’un café au prix raisonnable (je l’ai
oublié, le prix). Mais le marché permanent, en fait ce sont les marchands qui
disposent leurs casiers de fruits et légumes sur une partie du trottoir, tout
le long de l’avenue, ce marché permanent est toujours aussi vivant. En cette
période, les illuminations de rues sont importantes. De l’autre côté du
quartier, en descendant vers Brochant, la rue des Moines toujours aussi
discrète, et donc attractive. J’ai résidé (nous) dans cet immeuble (photo) qui
n’a, pas même en sa façade, changé en quoi que ce soit. Après Brochant, sur
l’avenue de Clichy, à l’angle de l’avenue de Saint-Ouen se trouve toujours la
belle Brasserie du même nom ou presque « La Fourche royale ». Ici, je
me souviens avoir eu une dispute mémorable avec mon ami (d’enfance) T. (Allah
yerhmeh) passé nous voir avec son épouse E. Nous nous sommes disputés à propos
du Communisme réel, « l’expérience est globalement positive » selon
lui – il vivait en Biélorussie ! – « exécrable » lui
disais-je alors et nous nous disputions (autour de verres rouges ou mielleux)
comme des chiffonniers (à l’époque, 1977, le fond de l’air était rouge et
plusieurs de ces « hooligan », Alexandre Ginsburg, Alexandre
Soljenitsyne, Leonide Pliouchtch … ces vauriens, réfractaires à l’ordre
soviétique et autres asociaux Russes, souvent rescapés des camps de la Kolyma
ou d’autres Goulags pour quelques Samizdats ou réunions politiques, inondaient
Paris du communisme réel qui les anéantissait). Avant de nous quitter (pour l’autre monde) mon ami avait largement
changé d’avis (sous son mot de remerciement et d'adieu, l’image représente des dissidents russes lors
d’une séance de torture. Libération était alors un journal fort respectable).
Le vendredi, je me suis présenté tôt à la salle de la Légion d’Honneur de
la mairie de Saint-Denis où se déroule une partie des activités des
« 1ères rencontres populaires du livre ». Notre maison d’édition,
vous ne le savez pas, fut conviée auprès d’une petite trentaine d’autres
maisons indépendante (petites donc, comme la nôtre).
L’installation des stands
s’effectua jusqu’à midi et l’ouverture au public dès 14 heures, lequel ne se
bousculait pas. Dans l’immense salle, il faisait toujours froid, un froid de
canard du Gers en décembre, et à l’extérieur un froid d’élan de Narvik, donc
plus encore. La chaussée était glissante, la neige fondue s’invitait avant la
neige drue le soir. Entre temps monsieur le maire a livré un discours de
bienvenue, très convenu. Salamalecs à toutes et à tous, suivis d’un pot
débordant, qui raviva les esprits et la bonne humeur s’installa, jusqu’à la
fermeture, à 21 heures. Le lendemain nous avons idem, squatté les lieux
jusqu’au soir.
Le dimanche je me suis rendu au Salon du livre de Boulogne- Billancourt,
près de Marcel Sembat. Une journée aussi moche que les précédentes n’incitait
pas notre humeur à enfourcher le dada de la jovialité : ciel entièrement
couvert, froid de… (ce que vous voulez, en deçà de zéro). 250 écrivains sont
associés à cette manifestation (sur deux jours). Une gazette spéciale de 16
pages est même éditée à cette occasion. Il y a là Philippe Jaenada (La Serpe,
ou le triple meurtre du château d’Escoire), Bernard Werber ( la trilogie sur
les fourmis : la Voix de la Terre, Les Micro-Humains, Troisième Humanité),
Bernard Minier, Erik Orsenna, et surtout Sorj Chalandon. Quel plaisir !
Voilà un gars que j’apprécie beaucoup, à la fois pour son écriture, son style
et pour les sujets qu’il convoque ( Le jour d’avant, Une promesse, profession
du père et bien sûr Le quatrième mur). Le quatrième mur est mon préféré. Un
livre-« témoignage » (et je mets entre guillemets pour ne pas que l’ont
croie qu’il s’agit là d’écrits d’un journaliste, car Sorj n’est pas journaliste
à ce moment-là, il est plus que cela, il est écrivain et son texte est sublime.
Voici comment il évoque les enfants de Sabra et Chatilla (le Liban en guerre
est au cœur de l’ouvrage Le quatrième mur) : «Ils
étaient orphelins. Je le devinais aux gestes des adultes. A leur façon de
caresser une tête en passant, de faire une grimace rassurante. Je l’ai deviné à
ce médecin, qui s’est accroupi pour leur distribuer des chewing-gums. J’aurais
voulu être ce médecin ou cet enfant. Être de cette compassion ou de cette
douleur.» Lors de notre
échange je lui montre la page de mon dernier roman, Le choc des ombres, dans
laquelle je lui rends hommage (via ses personnages). Il a lu, levé le pouce,
l’extrait l’a manifestement touché, et me remercie sincèrement. La voisine
qu’il me présente, Sigolène Vinson (Les Jouisseurs, Le Caillou) est intriguée.
Il lui expliquera. Ce nom me dit quelque chose… Oui, c’est bien cela, Charlie,
c’est une Charlie. Le 7 janvier 2015, elle a échappé à la mort, lors de
l’attaque de Charlie-Hebdo où elle chronique. Ce jour-là on allait tenir la
première conférence de rédaction de l’année. Son voisin de table de rédaction,
Wolinski, comme sept autres collègues du journal dont Elsa Cayat elle aussi
chroniqueuse, n’y réchappera pas. Le terroriste dit à Sigolène Vinson
« N’aie pas peur. Calme-toi. Je ne te tuerai pas. Tu es une femme. On ne
tue pas les femmes… » La foule
dans ce salon est si importante qu’on se
croirait dans le gradin d’un stade de foot brésilien un jour de coupe, et il
fait très chaud. Insupportable. Je finis la journée en déambulant dans
les Champs Élysées « piétonnisés » comme dit le conducteur du métro
au micro ( « pas d’arrêt à la station George V pour cause de
piétonnisation… », bien couvert et ganté.
Bd St Germain près des 2 Magots |
Les jours suivants (lundi et plus), je rencontre plusieurs amis. A quoi
servent les amis si ce n’est, - lorsqu’on n’est plus, ou plus tout à fait, en
âge de barouder, lorsque el waqt fatna comme on dit à Oran - pour ressasser les
bons, et les mauvais moments aussi, passés ensemble ou à proximité durant les
années mortes, « et tu te souviens de ceci et de cela et de flen et de
felten (de tel et untel) », à tricher avec les faits (sacrée mémoire !)
à parfois enjoliver quand il faut noircir et à noircir quand il faut blanchir.
On évite le futur comme la peste. Et le présent ma foi, on y est (on y rame)
comme on peut. Ah, j’oubliai, la belle Zouhour de Radio... a accepté avec
plaisir Le choc des ombres (mais où est passée Nadia … ?)
Ah, j’oubliai (2), les jeunes du Bondy Blog ont pris les airs. Comme m’a
dit le préposé à la réception de la mairie de Bondy « depuis qu’ils ont le
succès qu’ils ont, on ne les voit plus ». Et pan, sur le bec. Je ne sais
quoi, mais quelque chose dans sa réflexion me renvoie à Coluche. Impossible en
effet de grappiner l’un d’eux. Et ce n’est pas le courrier (e-mails) qui
manque. Il me semble qu’un ouvrage dont le cœur arpente la question des enfants
des quartiers populaires (mais pas
que- http://editions-incipitenw.com/ahmed-hanifi/
) mérite à tout le moins une réponse (peu
importe qu’elle soit positive ou négative) plutôt que le dédain (n’est-ce pas
F. Z désormais aussi à Médiapart, n’est-ce pas N. El-M ?), l’excuse
éventuelle d’« une charge de travail, comprenez-vous… » n’excusant
rien. Mais les ailes et les airs sont ce qu’ils sont et moi mes chers amis je
vous fais emprunter des chemins de traverse, vous fais sortir du sujet, du
contexte et du cortex. Revenons.
Le mardi, alors que nous nous trouvions à Aubervilliers à déguster des
galettes de Msemen avec du thé au naanaa chez Saadia, mon ami H. nous tend son
portable, « la France a perdu en Jean d’Ormesson un grand homme »
« quoi un grand homme s’offusque l’autre ami, écoute ce que répondait
Ferrat à monsieur d’O suite à son article pro-américain au Vietnam,
écoute ! (il tend à son tour son téléphone, une vidéo) ‘‘Votre cause
déjà sentait la pourriture./ Et c'est ce fumet-là que vous trouvez plaisant./
Ah! Monsieur d'Ormesson./ Vous osez déclarer/ Qu'un air de liberté/ Flottait
sur Saigon/ Avant que cette ville s'appelle Ville Ho-Chi-Minh…’’. » Il
est vrai qu’à la télé on nous tartine du d’Ormesson fort agréablement souriant
et avenant, tout en douceur…. apparente pour nous faire oublier les autres
facettes du personnage, peu ragoûtantes (https://www.slate.fr/story/154793/jean-dormesson-contre-jean-ferrat-les-deux-france-des-annees-1970
) M. d’Ormesson écrivait en effet sur la défaite américaine au Vietnam « Pour
l'ensemble du monde libre, c'est un échec sanglant.» « Merde
alors ! » faisons-nous, on ne savait pas ou plus ! notre
mémoire, encore elle… Mais, heureusement, Jean d’Ormesson n’était pas que cela,
il me faut le dire, il fut l’homme de « Je dirais malgré tout que cette vie
fut belle - Les aventures
d’un écrivain qui a aimé le bonheur et le plaisir en dépit de tant de malheurs
cèdent peu à peu la place à un regard plus grave sur le drame qui ne cesse
jamais de se jouer entre le temps et l’éternité, et qui nous emportera. » (4° de couv). Ce drame entre « Le temps et l’éternité » nous emportera
tous… Mais qu’est-ce que le temps ? où est passé Saint-Augustin, au
secours !
Le jeudi c’est ma nièce S. qui nous informe sur Facebook « Johnny
Halliday est mort ». Une de ses amies : « meskine… », une
autre « ni chaud ni froid… » La plaisanterie de d’Ormesson s’est
retournée contre lui. Il disait en effet, malicieux et ironique : ‘‘L’écrivain
doit faire attention à tout ce qu’il écrit, il doit faire attention à tout ce
qu’il dit. Et il doit faire attention à la façon dont il meurt… Vous savez, c’est très mauvais pour un écrivain de
mourir, par exemple, en même temps que Piaf’’. La
télé, friande d’audimat, l’écrasa sous le poids des effets de la mort de l’idole
des jeunes, « j’ai nommé Jean-Philippe Smet ! ».
Parmi les innombrables souvenirs qui
m’assaillent concernant Johnny, j’ai la nostalgie de celui-ci… J’avais neuf
ans, la chanson venait de sortir, juste avant l’été.
J’entrais en cours moyen
chez madame Congi (école de Gambetta à Oran, derrière la rue Shakespeare , je
disais alors ‘‘Chacaisse péare’’), la plus belle et la plus gentille de tous
les maîtres et maîtresses. J’entends d’ici les éternels grognards rabat-joie et
autres renaudeurs « il sublime la colonisation… » suffit ! il
s’agit d’enfance et rien que de cela. Durant une récréation, mon meilleur ami,
José (José pour Joselito que ses parents, d’origine espagnole, aimaient),
s’était avancé vers moi, le bras gauche plié car il avait une déformation, et
me proposa un troc. Échanger la partition que j’avais en main contre le stylo à
encre à plume Sergent Major dont la forme tortueuse, ressemblant à un étrange
animal mi-serpent mi-dragon, me plaisait énormément. Une partition de
« Souvenirs, souvenirs »…
« Souvenirs...souvenirs... je vous retrouve en mon coeur
Et vous faites refleurir, tous mes rêves de bonheur.
Je me souviens des soirs de danse, joue contre joue,
Des rendez-vous de nos vacances, quand nous faisions les fous, hou hou.
Souvenirs...souvenirs... de nos beaux jours de l'été,
Lorsque nous partions cueillir mille fleurs, mille baisers.
Et pour mieux garder dans ma tête, les joies de la belle saison,
Souvenirs... souvenirs... il me reste nos chansooooons !... »
Mon ami H. m’a appelé :
- Tu te souviens du passage de Johnny à Oran ? j’y étais tu sais… au
Régent…
Hachemi B. des Student's |
- Oui, et même qu’un des frères B. des Student’s (fameux groupe rock
oranais) lui a piqué sa guitare !
- C’est vrai ce vol ?
- C’est ce qu’on disait à l’époque…
(LIRE précision ci-dessous après l'article)
(LIRE précision ci-dessous après l'article)
Depuis, enfin je veux dire depuis ce jeudi, j’ai éteint radio et télé… qui
savent souvent par leur frénésie lacrymale (notamment) outrageuse, devenir absolument
insupportables. Des journaux nous apprennent qu’on continue de mourir, du fait
des armes, comme en Palestine par exemple du fait d’une déclaration, ce
mercredi 6, unilatérale et irresponsable du dingue Trump en faveur de l'état colon : « L’heure
est venue pour les États-Unis de reconnaître Jérusalem comme capitale
d’Israël » mettant ainsi le feu aux poudres.
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PRECISION concernant le vol de guitare de Johnny à Oran
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Ajouté le lundi 11 décembre 2017:
Sur le Rwanda d'Ormesson a dit et écrit des horreurs abominables:
« Partout, dans les villes, dans les villages, dans les collines, dans la forêt et dans les vallées, le long des rives ravissantes du lac Kivu, le sang a coulé à flots – et coule sans doute encore. Ce sont des massacres grandioses dans des paysages sublimes. »
Lire détails ici:
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