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lundi, avril 16, 2018

604_ Jerada, la ville minière marocaine

Autour de  JERADA, la ville minière du nord-est marocain.


 






Nous avons assisté mercredi 11 avril, à La Casa Consolat (1 rue Consolat, Marseille 1°), à la projection d’un documentaire poignant  réalisé par Ouahib Mortada et Lo Thivolle  sur la condition ouvrière dans la ville minière de Jerada, et à la présentation du livre de Abdelkader Benhar (traduction de Ouahib Mortada) « Jerada, ce lieu » (Ed Incipit en W, 2017), avec des lectures.














Lire ci-dessous l’article de La Casa Consolat sur cette événement.









Préface du livre, signée Ouahib Mortada :


« Jerada est une ville minière située dans le Maroc oriental, à 60 km au sud de la wilaya d’Oujda, près de la frontière algérienne. La région a hérité des charbonnages d’un patrimoine d’une valeur inestimable. La ville elle-même est témoin d’une histoire industrielle et sociale particulière qui remonte au protectorat français.

 

Au début des années 1950, Jerada était divisée en quatre parties distinctes : la cité européenne, le quartier des ingénieurs, la cité des agents ou « cité des évolués » (chefs porions, contremaîtres, ingénieurs assimilés...) et le village ou « cité marocaine », celle des ouvriers et des mineurs. Jerada est composée de petites maisons cubiques et uniformes, alignées le long des rues tracées au cordeau.



Selon qu’ils étaient mariés ou célibataires, zoufria (1), les ouvriers logeaient dans la zone qui correspondait à leur statut familial.

Les mineurs et les ouvriers marocains venaient de différentes régions du pays.



À la jonction des quatre zones est fondée la “cité indigène” à côté des bâtiments des Affaires indigènes ou zai(2) et des Kissaria, des galeries dans lesquelles s’organisait l’espace commercial.





Les Européens – encadrement et maîtrise – habitaient une résidence à part, avec ses pavillons et ses immeubles aux toits à doubles pentes en tuiles rouges rappelant l’architecture et l’urbanisme des villages européens.

Cette juxtaposition des quartiers renforçait leurs caractères différenciés, ce qui en faisait des villes dans la ville.



En 2000 la mine fut fermée et la cité ouvrière entièrement démolie. Frappée par la crise Jerada s’est peu à peu vidée de sa population (environ 60.000 habitants). Parmi ceux qui n’ont pu quitter la ville, beaucoup sont astreints à des pratiques dangereuses de survie comme l’exploitation clandestine du charbon.



1_ Zoufria : pluriel de Zoufri, ouvrier célibataire.

2_ Zai : zone des Affaires indigènes. L’expression désigne d’anciens bâtiments administratifs sous le protectorat français destinés à abriter les affaires courantes : état civil, autorisations diverses…







Extraits du livre:



"Jerada recèle une mémoire de grande valeur. Sa mémoire ne peut être niée sous peine d’un conflit identitaire.



Ce passé a été très douloureux. Mais, quelle que soit sa couleur, on ne doit pas être tenté de le refuser, de le nier ou de le transgresser.

Chaque lieu regorge d’images et de faits qui sont des documents historiques de grande importance scientifique, touristique...

Ce qui est certain c’est qu’une société sans mémoire est une société sans Histoire.

Est-ce par préméditation que l’on tente de l’oublier, ou est-ce simplement une omission, « un trou de mémoire », comme on le prétend parfois ?



Une communauté sans mémoire est une société handicapée dont l’avenir est à craindre... même si elle se transforme, son développement peut l’entraîner dans une chute irrévocable.



La question de la fermeture de la mine a soulevé de grandes inquiétudes durant les années quatre-vingt-dix. Le gouvernement voulait faire en sorte que cette ville puisse tracer sa voie, évoluer sans le charbon...

Par contrainte ou par dépit, la société civile était convaincue que la décision de fermeture allait faire germer dans un futur proche de grands changements tous azimuts. Après la fermeture de la mine, on espérait continuer à vivre dans Jerada sans la silicose.

 

Les ouvrages industriels et tous les bâtiments de la société qui devaient être sauvegardés et entretenus sont abandonnés. Ces ouvrages représentent l’histoire industrielle de Jerada, son âme.

Le recel et la dilapidation des biens de l’entreprise sont une sombre affaire. C’est ce qui s’est avéré clairement durant les premières années de la fermeture. Cette dépravation s’est installée à l’encontre des lois, de la réflexion et du bon sens.

En amont de la fermeture de la mine il eut fallu négocier un accord général de développement intégrant l’intérêt de la société civile et les biens de l’entreprise, à l’évidence témoins de toute une histoire.

Ces ouvrages sont par ailleurs source d’inspiration culturelle, que ce soit pour le roman, la poésie, le théâtre...

On ne peut faire de lien entre le présent et l’avenir en niant le passé, la vérité du passé, celle des hommes, leur culture et la société dans laquelle ils vivent avec leur histoire et toute une économie...

À cause de ces actes malveillants qui portent atteinte à la mémoire et à son rayonnement, la ville ne peut envisager de se frayer un chemin dans un avenir prospère.



Celui qui a su bâtir un village artisanal, ériger un palais somptueux pour l'administration de cette province et édifier un nouvel hôtel de ville, deux mosquées monumentales et un hôpital départemental... ne pourrait-il envisager dans une moindre mesure la construction d’un musée minier, désigner un conservateur, des chercheurs, des gardiens pour assurer la surveillance et la protection des biens de l’entreprise, du patrimoine de notre ville et de son histoire ?



Un musée minier devait voir le jour en 2013. Nous attendons toujours la réalisation de cette promesse et tant d’autres. Jerada attend toujours un projet d’avenir… avant que ce qui reste ne soit saccagé, vandalisé sous le regard insouciant de ses dirigeants... Doit-on attendre encore que ces lieux soient vendus et transformés en lotissements à scandale ?



Il n’est pas d’existence pour l’homme sans lieu. Jerada en est un, unique.

Celui qui détruit un lieu aussi riche enterre son peuple."  
Abdelkader Benhar


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Le pouvoir marocain change de ton à Jerada. Agitée par une contestation populaire depuis la mort accidentelle de deux frères dans une mine clandestine de charbon, fin décembre 2017, la ville a vu la tension remonter ces derniers jours après l’arrestation de quatre jeunes militants, samedi 10 et dimanche 11 février. Les autorités, qui avaient jusqu’ici opté pour un « dialogue ouvert » afin d’apaiser la situation, ont lancé mardi 13 mars un avertissement aux manifestants, se disant prêtes à apporter « des réponses fermes face aux agissements et comportements irresponsables ».
« Le ministère de l’intérieur […] souligne son droit d’appliquer la loi dans la ville de Jerada, par l’interdiction des manifestations illégales sur la voie publique et par des réponses fermes face aux agissements et comportements irresponsables », détaille un communiqué officiel.

Grève générale

Alors qu’un calme relatif était revenu ces dernières semaines, la série d’arrestations, les premières depuis le début du mouvement, a ravivé l’indignation des habitants de cette ville située aux confins du Maroc et de l’ Algérie, sinistrée depuis la fermeture de ses mines à la fin des années 1990. Depuis samedi, les meneurs du mouvement de contestation ont lancé une grève générale, une marche et de grands rassemblements pour la libération des jeunes emprisonnés.

« Dimanche, nous étions des milliers à manifester », soutient un participant qui requiert l’anonymat, tandis que les autorités locales parlent de 600 à 700 personnes. « Plusieurs militants, accompagnés de femmes et d’enfants, ont marché des dizaines de kilomètres en direction d’Oujda. D’autres ont même décidé d’organiser des rassemblements à Rabat », affirme Mohammed Kerzazi, membre de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH). Mardi matin, la police a formé un cordon pour contenir les manifestants qui se dirigeaient vers la place centrale où se sont déroulés les principaux rassemblements depuis l’éclatement de la protestation.

Les autorités marocaines assurent pour leur part que les arrestations n’ont rien à voir avec le mouvement social mais sont liées pour trois des cas à un accident « en état d’ébriété », avec délit de fuite, et pour le dernier à une « violation d’établissement public » avec des dégâts matériels. « Il s’agit d’un accident tout à fait banal. C’est une excuse, tout le monde sait que les quatre jeunes arrêtés sont des activistes du Hirak [« mouvance », nom donné au mouvement de contestation], résume Mohammed El Ouali, un syndicaliste de la ville. Je les connais personnellement. »

« Mines de la mort »

Selon des sources locales, les militants auraient été arrêtés alors qu’ils participaient à un débat sur l’avenir du Hirak et les propositions faites par le chef du gouvernement lors de sa visite à Oujda en février. « Nous nous sommes rendus lundi au tribunal. On nous a dit qu’ils allaient être entendus mardi. En fait, ils ont été auditionnés discrètement lundi au tribunal de première instance d’Oujda et seront jugés le 19 mars », indique M. Kerzazi.

Depuis fin décembre, de grandes manifestations pacifiques se sont succédé pour demander des « alternatives économiques » à la seule activité de cette petite localité du nord-est marocain : l’extraction clandestine de charbon dans les « mines de la mort », où des centaines de mineurs risquent quotidiennement leur vie. « Depuis 1998, 44 personnes sont décédées. L’Etat doit non seulement trouver une solution économique mais aussi juger les reponsables qui ont plongé Jerada dans cette situation insoutenable », analyse M. Kerzazi.

Loin de la répression qui s’était brutalement abattue sur la région voisine du Rif, agitée depuis un an et demi par un autre mouvement de protestation et où la police a arrêté plus de 450 personnes, les autorités marocaines n’avaient pas déployé de forces antiémeutes ni procédé à des arrestations à Jerada.

Un plan d’action économique proposé par le gouvernement pour répondre aux revendications de la population avait permis une accalmie. Mais, fin février, des manifestants étaient redescendus dans la rue pour demander des réponses plus concrètes. Soulignant « les efforts déployés par le gouvernement », le ministère de l’intérieur a affirmé : « certaines parties s’obstinent à décrédibiliser ces efforts », en « incitant la population de manière continue à manifester ».

Mais les récentes arrestations et les menaces du pouvoir marocain pourraient aggraver les tensions, comme ce fut le cas dans le Rif, où la gestion de la crise est très critiquée par les associations de défense des droits de l’homme.

 
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Une grève générale menace de paralyser l’ancienne ville minière jusqu’à mardi soir après une série d’arrestations de manifestants. Les autorités craignent un durcissement du mouvement.
Des rideaux baissés dans toute la ville, des mains levées faisant le signe V, une économie paralysée… Depuis trois mois, la ville minière de Jerada, au nord-est du Maroc, vit au rythme des manifestations pacifiques quasi-quotidiennes qui protestent contre les « mines de la mort » et l’« abandon » global des travailleurs par les pouvoirs publics. Ce lundi, les meneurs du mouvement ont appelé à manifester et à suivre une grève générale au moins jusqu’à mardi soir, après une série d’arrestations parmi les activistes. Les premières depuis le début de la contestation sociale, jusque-là gérée par le dialogue.
Un « plan d’urgence » jugé insuffisant
Selon les autorités locales toutefois, ces arrestations n’avaient pas de lien avec le mouvement. « Trois sont impliqués dans un accident en état d’ébriété et délit de fuite », le quatrième a été arrêté pour « violation d’un établissement public causant des dégâts matériels ». Mais selon une source associative ayant requis l’anonymat, deux jeunes activistes, leaders du mouvement, ont été arrêtés samedi, et deux autres ont été appréhendés dimanche dans le cadre de la protestation. Des milliers de personnes ont donc manifesté à Jerada et certaines ont marché une cinquantaine de kilomètres vers une localité voisine.
Dans ce berceau marocain des luttes syndicales, tout a commencé par la mort accidentelle, fin décembre, d’une « gueule noire », un mineur dans un puits clandestin. Depuis, d’autres accidents ont eu lieu sous terre et un « plan d’urgence » a été présenté. Mais sans donner satisfaction aux protestataires, qui fustigent notamment les « barrons du charbon » qui « profitent de la situation » et réclament une « alternative économique » aux « mines de la mort ». Car depuis la fermeture, à la fin des années 90, d’une importe mine qui constituait la principale activité de la ville, des centaines de mineurs continuent de risquer leur vie pour extraire clandestinement du charbon, que revendent des notables locaux grâce à des permis d’exploitation.

Une escalade qui rappelle le « hirak » du Rif

Après une accalmie liée aux mesures annoncées par le gouvernement marocain pour relancer l’emploi dans la région, les manifestations ont repris fin février. Des observateurs estiment que les récentes arrestations pourraient aggraver la crise, comme ce fut le cas dans la région voisine du Rif, agitée l’an dernier par des manifestations. Les autorités y ont arrêté plus de 450 personnes dans une « approche sécuritaire » largement critiquée par les associations des droits de l’Homme.
Dans cette région littorale du Maroc, le mouvement du « hirak » avait également commencé pacifiquement pour réclamer, pendant plusieurs mois, une aide au développement. Puis s’était durci avant l’été, avec un face à face nocturne quasi-traditionnel entre manifestants et force de l’ordre qui avait fini par tourner à l’émeute.
A Jerada aussi, « la situation s’est tendue », observe l’association locale qui s’exprime sous couvert d’anonymat. Selon cette source, un « sentiment de colère » s’étend chez les habitants autant qu’une « présence policière massive ». De nouveau rassemblements sont prévus cette semaine.
 
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Rfi 12 MARS 2018




Les arrestations se multiplient dans les rangs du « Hirak de Jerada » : cinq jeunes leaders ont été arrêtés samedi et dimanche 11 mars lors de la plus grande manifestation depuis le début de ce mouvement, en décembre dernier. Ce sont aussi les premières arrestations dans le cadre de ces protestations, dans cette ancienne ville minière de la région l'Oriental, à l'est du pays. Une grève générale a été observée, ce lundi 12 mars.

Les habitants veulent maintenant étendre leur mouvement à l'extérieur de la ville. Une grève générale a été observée, ce lundi 12 mars, et le nouveau comité du mouvement est composé désormais essentiellement de femmes.
Fatima Kaliî, membre du comité et nouvelle porte-parole, raconte la violence policière lors des arrestations, au micro de RFI.
« Nous étions réunis pour préparer une manifestation régionale que nous avons décidée de faire. Nous voulions agir ailleurs qu'à Jerada. Nous étions au centre-ville en train de préparer l'action quand la descente de policiers a eu lieu, samedi. Ils étaient en civil et ils ont tabassé puis chassé les citoyens rassemblés. Ils ont cherché à arrêter notre frère Mustapha Dainane. Il a été arrêté d'une manière Hollywoodienne. Les policiers ont fait usage de leurs armes pour nous menacer et ils ont frappé ceux qui s'opposaient pacifiquement. Mustapha Dainane est un activiste très dynamique. L'accusation d'accident de voiture est factice. Ce n'est aucunement une manière pour arrêter quelqu'un qui a heurté un arbre. Le soir même, nous étions surpris par l'arrestation d’Amine Mkallech, alors que la police nous promettait de libérer Mustapha. Notre mouvement restera pacifique. La grève observée aujourd'hui était suivie à 100 % », a-t-elle souligné.

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http://www.rfi.fr/afrique/20180312

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Plus d'infos sur la ville:



https://fr.wikipedia.org/wiki/Jerada

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