Nous
avons laissé Kastoria à son lac et avons avancé vers la frontière albanaise que
nous avons traversée rapidement. En Albanie nous avons retardé nos montres
d’une heure. Première image, plutôt insolite, un homme absorbé par sa
communication téléphonique et guidant avec sa main libre son cheval. Plusieurs
villages ne disposent pas de mosquée. Sur le bord du lac Ligeni I Chrit des
jeunes agitent à la vente des poissons pêchés peu avant. Sur le bas côté de la
route, à l’entrée de Prenjas, des dizaines de personnes actionnant des tuyaux
d’arrosage, proposent de laver les véhicules. Au km 12600, il était 14h, la
batterie signalait un problème d’énergie. Nous étions à l’entrée de Elbasan, à
hauteur d’un vendeur de pneumatiques. Explications…
Dans la demi-heure, arrive
un mécano alerté par téléphone. Prise en charge immédiate dans son local à
quelques centaines de mètres de là. Un diplôme est mis en évidence
« Certifikaté Registrimi- K82604207M ». Abords très sympathiques.
L’alternateur a été scruté et « remis à neuf ». Pendant tout le temps
de travail, nous avons échangé avec la femme et le fils, Klesian, amateur
chevronné de football et pratiquant. Nous avons eu droit à des plateaux de
fruits de jardins. Nous ne pensons pas avoir été grugés. Un vrai chef le
Dardan. Nous avons fini la soirée au cœur de la ville en fête, les remparts de
la ville, le héros Akif Pashe ElBasani (1869-1926), militant du réveil
albanais.
La
nuit fut épouvantable, à cause de la circulation, quasi-ininterrompue près du
stadium.
Tirana
est une belle petite capitale, très vivante. Alors qu’autour de son centre de
belles avenues ombragées offrent tout ce qu’une ville européenne de l’ouest
propose, à la périphérie, qui est immédiate, les quartiers sont construits
anarchiquement et les rues se transforment en ruelles non goudronnées, parfois
si étroites, s’achevant en cul-de-sac. D’immenses bâtiments construits durant
l’ancien régime rappellent la triste période stalinienne de Hodja. Aujourd’hui
c’est un beau pays à l’IDH bien élevé (0,75).
Nous avons fait le choix d’un
camping, à la périphérie de la ville en surplomb d’un lac. Très agréable,
calme, campagnard avec ses animaux…
Autan
nous avons vu de nombreuses mosquées, autant nous n’avons pas entendu d’appel à
la prière le matin, contrairement à la journée. Nous l’avons remarqué dans
d’autres pays. Il n’y a pas d’appel à la prière avec haut-parleur, la nuit
(sobh/fadjr).
Après
Tirana, direction le Monténégro avec une halte à Shkoder. Une belle mariée en
longue robe blanche, accompagnée de son futur époux, rentrent dans la mosquée
pour y recevoir la bénédiction de qui de droit.
À la
frontière, à Hani Hottit, le douanier demande « d’où venez-vous ». Il
insiste « Akhméda ? »
Ne
sachant si cela relevait de l’Art ou du Cochon je réponds « Yes Ahmed,
muslim ». En blaguant il demanda « no drog, muslim, no terrorist ? ». Je confirme
« no terrorist, no, but muslim. »
Il me dévisage en souriant et balançant la tête il dit « ok, you go
contrôle ». Et nous avons eu droit à un contrôle par un douanier. Il monte
dans le véhicule, dit « muslim, no terrorist ? » en ouvrant
quelques placards. Puis il ajoute « I like muslims, thank you »…
Grand bien lui fasse.
mosquée in Monténégro |
La
capitale, Podgorica, n’offre que peu d’intérêt en ce dimanche. Nous l’avons
traversée et fait un arrêt dans le joli village de Virpazar sur le lac
Skadarskajezero. Très touristique et cela nous énerve. Lorsque j’écris
« très touristique » j’entends que les rabatteurs étaient si nombreux
pour vous inviter à une visite du lac, à faire de la voile, acheter un tableau,
manger dans tel restaurant… que nous avons décidé de n’y rester que le temps
d’une respectable marche.
Le
soir, nous nous installons à Petrovac. La nuit fut infernale, du fait d’un vent
très violent accompagné d’éclairs qui nous ont tenus éveillés une partie de la
nuit.
Lundi,
nous avons pris la direction de la Bosnie via Dubrovnik. Depuis les premières
heures, les files de voitures, dans les deux sens, sont ininterrompues.
L’aérodrome de Tivas est encombré de Jets privés plus ou moins grands, à
proximité de panneaux interdisant « no drone zone ». La frontière
Monténégro-Croatie, côté Monténégro est vite passée. Par contre l’entrée en
Croatie fut une véritable souffrance, sous un soleil de plomb (environ 30°) et
une attente (la queue) de plus d’une heure. La route était saturée durant une
bonne heure depuis Kotor au Monténégro jusqu’à Soline en Croatie à la suite
d’un accident.
Dubrovnik
et sa région offrent une image carte postale type Côte-Azur puissance 10. Les
milliardaires se pavanent dans leurs yachts et voitures luxueuses. Aussi, nous
avons préféré continuer notre chemin loin de ce monde gluant, pour ne pas dire
nauséeux. La route côtière est une deux voies, parfois trois (sur certains
tronçons) qui serpente sur des dizaines de kms encombrées de voitures. À
hauteur de Num, entre les nombreuses îles montagneuses et la rive continentale,
un grand espace marin est réservé à la pisciculture.
Nous
avons passé la frontière croato-bosniaque, sommes entrés dans Num en Bosnie. La
configuration administrative et routière, font que pour continuer en Bosnie, il
faut de nouveau transiter par la Croatie. Tout cela en moins de 30 km de route
et environ 30 minutes. Nous avons passé la nuit dans un petit village croate
frontalier, Opuzen. Le lendemain, nous direction Mostar, importante ville
bosniaque (65000 habts). Première mosquée vue à Celjevo et première église
quelques villages plus loin. Sur la route, très belle, devant un imposant
pavillon, sont proposés des chaudrons, des plateaux, d’immenses grills… À
Mostar, au moment même où nous stationnions dans un « autocamp », la
clé de contact fait des siennes. Elle n’est pas reconnue et le moteur ne
redémarre pas. Conciliabules avec Almas, le gentil barbu-roux. Rendez-vous est
pris avec Citroën pour l’après-midi.
Le
pont de Mostar (inscrit au Patrimoine mondial) est envahi de touristes (comme
nous). Celui-là même qui a été dynamité par les Croates (le 9 nov 1993) et
reconstruit en 2009. On se croirait à Venise sur le Rialto et c’est bien
dommage. Mostar mérite mieux. Le guide francophone panique à hauteur de la tour
Helebija « ici pas de photos, pas
de photos s’il vous plaît, respectez… »
Des
gamins continuent de sauter du haut (non plus du pont, il a été barreaudé) d’un
plongeoir à côté, devant les touristes ébahis.
Les
rues sont pavées et très glissantes, comme sur le pont. Partout des échoppes,
des gadjets, des souvenirs… Dans la ville, il me semble avoir reconnu une
journaliste-actionnaire d’un quotidien « fétiche » algérien (vivant
en France) en discussion sur l’Algérie autour d’un café, avec une autre
personne…
Certaines
maisons ont gardé intacts leurs murs, tels qu’ils ont été perforés durant la
guerre subie en 1992 et plus.
Impacts de balles sur le mur |
Grâce
à notre ami Almas qui nous a accompagné chez Citröen, nous avons solutionné
notre problème de contact.
La
route entre Mostar et Konjic est très belle. Les Gorges de la Neretva n’ont
rien à envier à celle du Verdon.
Nous
sommes arrivés à Celemice à l’heure de la prière du Asr (16h50) et le soleil
demande un répit pour se coucher.
Sarajevo est à 50 km.
Nous
avons passé la soirée et la nuit dans le sympathique village nommé Konjic.
Avons visité sa mosquée et le cimetière qui lui est adjacent où reposent 102
martyrs sur les 590 tombés en défendant leur ville, ainsi que l’Ottoman Dervis
Pasa Cengic.
Sur
la route de Sarajevo, les vendeurs de fruits « Pecenous »
(prunes, pêches, pastèques…), vendeurs de miel, d’artisanat (peaux de mouton,
tapis…), produits de dinanderie… sont nombreux.
Sarajevo,
créée par les Ottomans au milieu du 15° s, est traversée par la Miljacka,
compte environ 400.000 habitants. Elle est connue pour avoir été le théâtre
d’un drame qui allait déclencher la première guerre mondiale. Il s’agit de
l’assassinat de l’archiduc
Le pont de l'assassinat de l'archiduc |
François Ferdinand de l’Empire austro-hongrois et de
son épouse. Un autre drame allait secouer le pays entier. Il s’agit de
l’agression des forces serbes entre 1992 et 1995 (un siège de 1000 jours), qui
fera plus de onze mille morts. Comme à Mostar, de nombreux impacts sont encore
visibles sur les murs.
La
ville se visite aisément par le tram, les bus… et à pied. Il ne faut absolument
pas rater le « Musée des crimes contre l’humanité et le génocide »
sur la Ulica Muvekita non loin de la rue piétonne, le pont « Ferdinand
François », la mairie, entièrement rénovée. Et toute la vieille ville avec
ses restaurants, ses musées, ses magasins de souvenirs, ses artisans, ses
églises et mosquées… vous traverserez la ville en quarante-cinq minutes en
prenant des trams (les n° 3, 2, 5, 6…) hors d’âge, mais bien vivants, bien
tenaces. Certains filent sur des paires de lignes droites de quelques
kilomètres en double voies, côte à côte, parfois s’éloignant les unes des
autres.
SARAJEVO_ Bâtiment officiel- Impacts de balles |
La
Bosnie n’est plus un mot, une idée. Elle transpire le supplice sous nos pas.
Elle avait été empêchée de vivre. Ses projets abandonnés, ses usines fermées.
Comme celles de Philip Roth, celles de la côte est américaine :
« C’étaient des usines où les gens avaient perdu des doigts, des bras, où
ils s’étaient fait écraser les pieds, brûler le visage, où les enfants avaient
trimé jadis dans la chaleur et dans le froid, des usines du dix-neuvième siècle
qui broyaient les hommes pour produire des marchandises, et qui n’étaient plus
que des tombes impénétrables, étanches… » (Philip Roth, « Pastorale
américaine », Gallimard, folio, 1999). Plus que cela, beaucoup plus. La
vie avait été empêchée. La souffrance suinte à travers les murs. C’est Mostar
avec son pont, c’est Konjic et ses martyrs, c’est Sarajevo assiégée… La Bosnie
c’est la preuve indélébile de la défaite renouvelée de l’humanité.
En
Algérie, les manifs continuent, vaille que vaille… Sur sa page Facebook, Ghania
Mouffok a posté (lundi soir) une « allocution à un patriarche en
général » qui parle et menace sans arrêt. « Vous parlez depuis un
pays ruiné… depuis un fauteuil en cuir rouge, harnaché comme un général en
bataille… dans la nuit du crépuscule vous nous faites la guerre »… et je
ne peux m’empêcher de penser au vieux général de Garcia Marquèz sur le point de
tuer son coq…
Les
coqs sont comme les poètes, ils vivront et chanteront à chaque lever du jour.