(Suite)
« - Mais on est où ? Quelle heure est-il ?
- Non loin de Bremen et il est exactement dix-sept heures et vingt minutes dit Rian en me tendant une canette de bière. Tu es sur le point de suer, tiens, ça va te réveiller.
- Je ne dormais pas.
- Tiens.
J’avale la bière en deux lampées. Glacée. A l'extérieur les fils électriques ne yoyottent plus. On ne les distingue plus. Le soir discrètement s'est installé. Derrière nous on s'agite. Le couple voisin nous interroge d'un double regard sangsue. On afflue de toute part vers le bar. C'est la fête. La compagnie offre à boire. Evidemment. Cette délicatesse embaume graduellement toutes les voitures. Rian à son tour, s'absente de toute cette agitation. Il fixe les eaux qui, à l'approche d'une autre agglomération, revivent comme au grand jour. Il semble en prendre plein la vue. Le fil du fleuve qui passe sous la voie ferrée lui fait perdre celui du temps. Il sort de sa léthargie pour murmurer sans sourciller :
- Regarde toute cette eau j'ai l’impression qu'elle s’écoule dans l’autre sens je n’en suis pas sûr dans quelle direction coule-t-elle réellement
Syllabe après syllabe il prononce d'un ton mielleux ces mots, qu'il n'adresse manifestement à personne. Ils coulent de sa bouche au même rythme que cette eau devant nous. Il n'attend pas de réponse. Toute cette agitation lui est égale. Il ne la voit pas. Ne l'entend pas. Il précipite de nouveau ses pensées dans le fleuve et répète : dans quelle direction." Son regard impénétrable est plongé dans la réalité présente de cette eau argentée qui se laisse glisser sur les feux de dizaines de réverbères plongés en son sein pour mieux la guider la nuit venue. La nuit est là. L'eau coule dans un sens qui peut-être, au-delà de la question l'indiffère. Il ajoute cette fois sur un ton martial qui évacue toute velléité de réponse ou de critique : -
- Ils ont réclamé sept clepsydres et le juge le leur a accordé ! A-t-il perdu ses esprits?"
Je lui demande s'il va bien mais il ne m'entend pas. Mécaniquement il tente un geste quelconque et renverse sur ses genoux le contenu de son verre. Ce geste qui le fait sursauter ou un autre similaire et insensé me parut inévitable. A-t-il pensé un instant que cela pouvait durer sans fin? A-t-il pensé un instant qu'il aurait le dessus? L'écoulement de l'eau est éternel. La patience de Rian bat en retraite.
- Eh merde, merde !
- Allez viens, on passe à côté, il y a fête je crois.
Il jette un regard sur le gobelet allongé qui se berce encore avant de le saisir et de le poser sur la tablette. Il fait deux pas, se retourne vers la planchette puis avec la paume des mains il caresse ses vêtements de haut en bas. Une fois, deux fois, trois fois.
"Mesdames et messieurs, la société Nord-Europe des réseaux de chemins de fer est heureuse de vous offrir une collation ainsi que des rafraîchissements en son espace-bar qui se trouve dans la voiture numéro quatre. Merci de nous y rejoindre."
Nos voisins nous regardent mi-amusés mi-médusés. Par quelques gestes subtils ils nous manifestent leur agacement de ne pas comprendre ou du moins de ne pas saisir le sens général. Je saisis leur regard pour tenter de leur expliquer par-delà les mots que dans le salon c'est la java. La femme pose la main sur celle de son compagnon puis la lui prend sans nous quitter des yeux. Vont-ils nous suivre? Les verrons-nous au bar-détente? Nous y passons aussitôt. Des dizaines de personnes entassées jacassent bruyamment. Quelques-unes amorcent des pas de danse. Les barmen sont manifestement émoustillés, mais ne sont pas seuls. Sur les vitres se forment de belles et passagères arborisations.
"… société Nord-Europe des réseaux de chemins de fer est heureuse…"
-Je vais me changer dit Rian. J'en ai pour deux minutes. Il en pris beaucoup plus. A la trentième je décidai de m’interroger sur son absence. Il avait rejoint son siège séché. Surpris de me voir, il esquisse un geste puis se ravise. Faussement songeur il se gratte la tempe à la recherche de quelque boniment. "Je te présente euh…"
La belle qui occupe mon siège dans une posture inconfortable se lève.
- Nataloussia, sourit la poupée rousse.
- Alec, dis-je en lui tendant la main. Elle rougit. Ben venez, vous ne dansez pas?
- Si si répond Rian pour elle et lui. Il me coupe le souffle. Je lui demanderai plus tard s'il n'était pas fou de s'afficher ainsi avec une si jeune femme. Je vois d'ores et déjà la scène :
- Je suis jeune moi aussi !
- Oui mais pas à ses côtés, ça fait lourd, Rian, lourd !
- Va voir ailleurs si j'y suis.
Je vois la scène.
"Meine Damen und Herren, Die Gesellschaft Nord-Europa Bahn freut sie zu einem Drink …"
Le couple voisin vissé aux sièges, de nouveau nous dévisage. Mon explication ne l'a manifestement pas convaincu. Nous ne sommes pas loin de Rotenburg. Le ciel semble plus léger. Des zones que l'on devine bleues, se fraient des espaces entre les cumulo-nimbus menaçants. Les eaux phosphorescentes du Wümme que l'on devine bleu dos de sardine, nous accompagnent et serpentent sur plusieurs kilomètres avant de nous abandonner pour leur propre destinée.
La jeune Russe -elle est russe- se libéra à la station suivante où nous avons droit à trente minutes d’arrêt ennuyeuses et donc interminables. Les yeux de Rian ne s'embuèrent pas mais ils suivirent la jeune femme jusqu'à ne plus la distinguer dans la cohue. Je ne lui adresse pas la parole mais en définitive je le comprends. Lorsque nous quittons Hamburg Hauptbahnhof l'allure du train est soutenue. A nouveau les superficies boisées rétrécissent à vue d'œil au profit de constructions de plus en plus nombreuses. De nouveau Rian plonge dans le vide, dans une profonde méditation. Il est absent. Les bruits dans notre remorque sont plus légers, peu de personnes circulent. Nous somnolons. Entre vigilance et sommeil franc, les yeux mi-clos ne se décident pas. Plus tard quelques-uns racontent la traversée. Personnellement, Rian et moi nous ne nous sommes aperçus de rien. De si peu.
Le train ralentit à l'approche de Nørre Alslev.
- Contrairement aux idées reçues dis-je à Rian tu vois, au Danemark non seulement le train arrive à l’heure -s'il nous faut croire l'horloge de la gare de Nørre Alslev qui s'éloigne maintenant mollement et à reculons, parce qu'avec ma montre on est loin du compte, fichue montre ! - non seulement le train arrive à l'heure mais l’accueil que nous réservent dans les couloirs les contrôleurs danois est à la hauteur de leur impeccable uniforme quoique sombre Bien qu’il faille distinguer contrôles appliqués et contrôleurs taciturnes , devoir tatillon et accoutrement suranné.
- Etre et paraître ! s'aventure Rian.
Puis :
- Être et avoir ! Mais on peut combiner, non?
- C’est cela.
- Etre tel qu'on paraît et paraître tel qu'on est ! Rian s'enfonce
- Exact.
A l'adresse de l'agent de la police des frontières qui suit le contrôleur, il récite narquois :
- Rian fils de Rian monsieur, né à Souk-Ahras pays de soleil et lui c'est Alec mais son vrai prénom c'est Razi né à Talassa pays de Phébus comme c'est écrit. A Talassa n'est ce pas, pas à Leinster Street ou à Honolulu non, à Talassa ! La montagne et la mer, Talassa, le soleil, le soleil ! Nous continuerons dans quelques jours pour Stockholm. Nous arrivons de Paris. C'est écrit. Tout est écrit".
L'agent de police répète en balançant la tête, faussement rêveur :
- Talassa."
(Talassa est une terre du bout du monde coincée entre les Bni Merzoug les Bni Tamou et les Bni Tadjena. Ces hameaux de toub, terre glaise et battue sont unis les uns aux autres par des lianes de codes et d'us, par des liens de sang et par des zerdas tournantes prétextes aux rassemblements sains et naïfs. Psalmodies, méchouis cachectiques, taâm et lait caillé étaient acheminés sur des sentiers sinueux et cahotants récusés par toutes les cartes routières, malmenés par les vas et viens des grisons et mulets, rongés par des éternités de jujubiers et de figuiers de barbarie sur la défensive parmi les collines souvent colorées et odorantes. Le lendemain de fête une torpeur générale s'abattait alors en attendant la prochaine occasion. Heureuse ou malheureuse. Le moindre buisson, le moindre cailloux, la moindre ombre acculés dans leurs abris, retenaient leur souffle au passage des jours et des nuits. Pas une agitation, pas un murmure. Au creux des vallées les racines des lauriers-roses baignaient dans les rares eaux des oueds ridicules et silencieux. Personne n'est jamais étonné. Dahra, terre de soleil de mouches et de bourdons insomniaques, terre sans eau. Ce n'est pas un pays de sorcières ni celui de la magie encore moins celui des ânes d'or, mais il est bien celui de mon père et de ses prédécesseurs. Terre antique. Ma mère y est porteuse comme toutes les femmes et oubliée. Je la revois. Je les revois : el-graba, les chemins, les foules assiégeant l'autocar, et mon père. Mon père qui un jour me lâcha au soug es-sebt. Lorsque ce jour là -un samedi forcément- nous arrivâmes à Ténès à une poignée de kilomètres de nos bourgades pour le grand marché hebdomadaire, les passagers du car se dispersèrent aussitôt, pourchassés par un nuage de poussière et par un soleil de feu baignant dans un ciel bleu de mer. Le vieil autocar bondé de chez Grandella et fils parcourait invariablement trois fois par jour dans un sens puis dans l'autre la distance entre Talassa et Ténès. Quel que soit le mois de l'année ou le jour de la semaine. Le samedi il était toujours bondé et toujours conduit par le même chauffeur à l'haleine aillée, à cent lieues repérable. Son bleu de Shanghai empestait la Bastos. C'était la plus prisée des cigarettes chez les couches populaires et indigènes fatiguées, lancées dans une intoxication mutuelle. La cigarette du chauffeur lui collait au bec asséché. Sans elle il eût été méconnaissable. Ce jour là l'autocar nous déposa donc devant la mairie. Les gens se dispersèrent aussitôt poursuivis encore et encore par un soleil de feu baignant dans un ciel bleu de mer. Pas un nuage. Il n'était pas encore dix heures ce samedi là lorsque nous traversâmes la grande place au cavalier, mémoire de la nuit coloniale déclinante et gardien des lieux. Mon père qui jusque là me tenait la main, la lâcha.
- Razi
Dans nos contrées de misère le soleil à portée de main menace toujours.
- Ca va ?
A quelques centaines de mètres de la mairie, nous empruntâmes le pont de l'oued Allala pour atteindre la tahtaha qu'on désigne du nom du saint local, tahtahat Sidi Chewel Abderrahmane en l’occurrence.
- Il rêve !
La tahtaha est un grand espace, une esplanade surdimensionnée et immensément poussiéreuse où se côtoyaient par centaines hommes femmes bêtes de somme et carrioles, sardines fraîches, seiches propres, bonbons et étoffes soudanaises bariolées, branis, haïks, chéchias, bérets et tant d'objets hétéroclites et vains, à vendre ou vendus. On venait de loin pour ce marché du samedi, soug es-sebt, si populaire. A la suite des riches boutiquiers mécontents, les pauvres mécréants répétaient, glapissaient que Dieu, insatisfait de l'œuvre humaine sanctionna ses créatures d'un jour supplémentaire de prières. Ce fut samedi. Les pauvres gens incrédules ne connurent jamais l'origine réelle et banale du lien qui rattachait l'un à l'autre, le marché au samedi. Ils ne partageaient par conséquent pas la croyance pourtant répandue à savoir que l'homme est apparu un samedi saint par la volonté de l'Unique. Les riches commerçants mécontents qui eux connaissaient bien leurs intérêts et qui inventèrent cette histoire pour écarter les gueux du -maudit disaient-ils- marché, se trompèrent. Tous les sept jours, l'affluence y était telle que la nonchalance renonçait à ses droits jusqu'au lendemain. Qui court vers des besoins spirituels, qui vers des besoins bien matériels, qui vers les deux à la fois, qui.
Je tendis la main à mon père.
Ténès est une belle ville adossée à la Méditerranée plus qu’à la colline. Pour être précis elle est plus proche de la bourgade que de la ville. Elle est chargée de petites bâtisses tassées et alignées comme des dominos prêtes à plonger dans la baie bleue de la mer miroir. Ces édifices occupent des espaces cohérents, complémentaires. Bâti à des époques différentes, chaque groupe de maisons harangue le précèdent. Chaque période nouvelle s'impose aux autres naturellement un temps puis finit par leur ressembler. Elle s'insère discrètement parmi les autres et attend les suivantes. L’eau de mer ici est d’un bleu du temps suspendu d'une carte postale. Ténès est une contrée pudique dont on a gardé si peu de son histoire agressée. On a figé son identité au devant d'un trésor romain découvert il y a tant d'ans autour de la tombe de Victoria, ordonnée Clarissima fémina : "Voyez braves gens le trésor de Ténès !" Ah courte mémoire ! Ténès, perle pudique et puritaine que notre saint poète Ibn-Amsaïb allie à six autres villes dans un espace-patrimoine commun éternel, est aussi la terre des Aguellid Juba père et d'autres, bien avant ces trésors, bien avant les romains ! Elle est cette autre terre de mes ancêtres et de ceux de Sheshonq Au détour de la rue du Douar M'aïn, probablement là bas vers le bas du bled, vécurent Isabelle et Slimène héros furtifs de la ville dont l'histoire officielle voila la liaison.
Dans cette multitude bigarrée, la main de mon père de nouveau glissa. De tous côtés apparurent mains et têtes de toutes les formes et couleurs. Mille et une mais pas celles de mon père. Disparu Affolé, je courus un moment. Inutile. Panique. Je ne bougeai plus. La foule autour, belliqueuse, s'agitait toujours. Je criais à tue-tête, "bouya, mon père, mon père !" Mais c'est un autre qui répondit. Me répondit-il? Ne s'adressait-il pas plutôt à l'humanité tout entière? Je l'entends. Ô mon fils, cesse tes malices / Ton frère va mourir, / Ô mon fils, je meurs de souffrance...)
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Notes :
Rian, s’absente…il fixe les eaux… : Rian est plongé dans une profonde méditation… Il est dans une « situation d’optique pure » Deleuze dit à ce propos : « …La situation d’optique c’est la 3° grande idée de Robbe-Grillet (…). dans le film ‘’Taxi Driver’’: le personnage est en ballade. En quoi est-il en situation d’optique pure? Bien sûr il est en situation sensori-motrice par rapport à sa voiture, il la conduit. Mais son attention comme flottante, il fantasme…(…). Le chauffeur est en situation sensori-motrice mais simultanément à cela, tout un bout de lui-même est en situation d’optique pure à savoir son attention traînante sur ce qui se passe sur le trottoir. (Il voit mais n’agit pas en fonction de ce qui s’y passe…) »
Dans ‘‘Miroir’’, Tarkovski filme deux enfants dans une maison. A un moment ils quittent le lieu pour aller voir un immeuble en feu, mais la caméra reste figée sur la table du salon. Rien ne se passe sinon le temps qui passe. » (D. Turcotte)
Ils ont réclamé sept clepsydres… : Le temps de parole était il y a deux mille ans (poète Martial) mesuré en utilisant l’écoulement de l’eau : « Tu as réclamé sept clepsydres, Cécilianus, et le juge à contrecœur te les a accordés ! pour étancher ton art oratoire et ta soif, nous te conjurons Cécilianus, de boire désormais directement l’horloge !
Vont-ils nous suivre… : Orientation du récit vers le futur Dans ce passé, le futur est déjà présent. (lire autres extraits)…
Nataloussia : Clin d’œil à Tarkovski. (Natalia sa femme et Maroussia sa compagne). Dans « Le miroir » il songe à l’une ( sa femme) et l’autre (sa mère), parfois il y a confusion entre elles = entre le passé (sa mère) le présent (sa femme) …
Uniforme sombre… : Clin d’œil à Dagerman qui, dans « printemps français… » relate l’attitude des Suédois envers les Danois."…Au Danemark, le Suédois rencontre une sorte de liberté et de naturel qu'il confond avec le désordre et il se met aussitôt à se méfier. … parce que dans ce pays, les contrôleurs ne boutonnent pas leur veste d'uniforme et utilisent des sifflets sur les quais…"
Pas à Leinster Street : James Joyce nomme un de ses personnages Ghazi Power
X : Ce que le mal veut, il l’exige ! Et qu’est-ce- que tu dirais maintenant si je voulais entendre ton nom, Ghazi Power…
Ghazi : Je n’ai pas peur de Franck Machinchose ni de la flamme du Gaz Power (note a) ni de l’ulcère et de l’Ulster non plus.
- Mon cul !
- Ta gueule !
- Voudrais-tu me répéter cela de l’extérieur, Leinster – Connaught – Munster ? (note b)… »
Note a : Franck Power, surnommé Ghazi. Le jeu de mot s’établit sur Power, la marque de whisky, le personnage de Franck Power, surnommé Ghazi, et la flamme du gaz de ville.
Note b : Les 4 provinces de l’Irlande : Ulster, rattachée à la G.B, et Leinster, Connaught et Munster, les 3 provinces forment la République Libre d’Irlande. Leinster street était aussi l’adresse de Nora, la femme de Joyce
Tahtahat Sidi Abderrahmane: village alentours de Ténès. A Ténès un mausolée est dédié au saint, géographe…. Sidi Abdelkader el Djilani qui y a résidé
Un trésor romain... : Jacques Heurgon écrit: " Trésor découvert autour « de tombes chrétiennes » dont l’une est « la tombe d’une jeune femme, Victoria, qui est dite ‘clarissima fémina’ de l’ordre sénatorial, la plus haute aristocratie romaine, qui est morte à 18 ans, 8 mois et 15 jours, le 29/12/425…le trésor comprend 19 objets dont 17 en or, 1 argent, 1 bronze; fibules en or, éléments de garnitures de ceinture, bracelets, étuis, une anse, une broche… »
- Non loin de Bremen et il est exactement dix-sept heures et vingt minutes dit Rian en me tendant une canette de bière. Tu es sur le point de suer, tiens, ça va te réveiller.
- Je ne dormais pas.
- Tiens.
J’avale la bière en deux lampées. Glacée. A l'extérieur les fils électriques ne yoyottent plus. On ne les distingue plus. Le soir discrètement s'est installé. Derrière nous on s'agite. Le couple voisin nous interroge d'un double regard sangsue. On afflue de toute part vers le bar. C'est la fête. La compagnie offre à boire. Evidemment. Cette délicatesse embaume graduellement toutes les voitures. Rian à son tour, s'absente de toute cette agitation. Il fixe les eaux qui, à l'approche d'une autre agglomération, revivent comme au grand jour. Il semble en prendre plein la vue. Le fil du fleuve qui passe sous la voie ferrée lui fait perdre celui du temps. Il sort de sa léthargie pour murmurer sans sourciller :
- Regarde toute cette eau j'ai l’impression qu'elle s’écoule dans l’autre sens je n’en suis pas sûr dans quelle direction coule-t-elle réellement
Syllabe après syllabe il prononce d'un ton mielleux ces mots, qu'il n'adresse manifestement à personne. Ils coulent de sa bouche au même rythme que cette eau devant nous. Il n'attend pas de réponse. Toute cette agitation lui est égale. Il ne la voit pas. Ne l'entend pas. Il précipite de nouveau ses pensées dans le fleuve et répète : dans quelle direction." Son regard impénétrable est plongé dans la réalité présente de cette eau argentée qui se laisse glisser sur les feux de dizaines de réverbères plongés en son sein pour mieux la guider la nuit venue. La nuit est là. L'eau coule dans un sens qui peut-être, au-delà de la question l'indiffère. Il ajoute cette fois sur un ton martial qui évacue toute velléité de réponse ou de critique : -
- Ils ont réclamé sept clepsydres et le juge le leur a accordé ! A-t-il perdu ses esprits?"
Je lui demande s'il va bien mais il ne m'entend pas. Mécaniquement il tente un geste quelconque et renverse sur ses genoux le contenu de son verre. Ce geste qui le fait sursauter ou un autre similaire et insensé me parut inévitable. A-t-il pensé un instant que cela pouvait durer sans fin? A-t-il pensé un instant qu'il aurait le dessus? L'écoulement de l'eau est éternel. La patience de Rian bat en retraite.
- Eh merde, merde !
- Allez viens, on passe à côté, il y a fête je crois.
Il jette un regard sur le gobelet allongé qui se berce encore avant de le saisir et de le poser sur la tablette. Il fait deux pas, se retourne vers la planchette puis avec la paume des mains il caresse ses vêtements de haut en bas. Une fois, deux fois, trois fois.
"Mesdames et messieurs, la société Nord-Europe des réseaux de chemins de fer est heureuse de vous offrir une collation ainsi que des rafraîchissements en son espace-bar qui se trouve dans la voiture numéro quatre. Merci de nous y rejoindre."
Nos voisins nous regardent mi-amusés mi-médusés. Par quelques gestes subtils ils nous manifestent leur agacement de ne pas comprendre ou du moins de ne pas saisir le sens général. Je saisis leur regard pour tenter de leur expliquer par-delà les mots que dans le salon c'est la java. La femme pose la main sur celle de son compagnon puis la lui prend sans nous quitter des yeux. Vont-ils nous suivre? Les verrons-nous au bar-détente? Nous y passons aussitôt. Des dizaines de personnes entassées jacassent bruyamment. Quelques-unes amorcent des pas de danse. Les barmen sont manifestement émoustillés, mais ne sont pas seuls. Sur les vitres se forment de belles et passagères arborisations.
"… société Nord-Europe des réseaux de chemins de fer est heureuse…"
-Je vais me changer dit Rian. J'en ai pour deux minutes. Il en pris beaucoup plus. A la trentième je décidai de m’interroger sur son absence. Il avait rejoint son siège séché. Surpris de me voir, il esquisse un geste puis se ravise. Faussement songeur il se gratte la tempe à la recherche de quelque boniment. "Je te présente euh…"
La belle qui occupe mon siège dans une posture inconfortable se lève.
- Nataloussia, sourit la poupée rousse.
- Alec, dis-je en lui tendant la main. Elle rougit. Ben venez, vous ne dansez pas?
- Si si répond Rian pour elle et lui. Il me coupe le souffle. Je lui demanderai plus tard s'il n'était pas fou de s'afficher ainsi avec une si jeune femme. Je vois d'ores et déjà la scène :
- Je suis jeune moi aussi !
- Oui mais pas à ses côtés, ça fait lourd, Rian, lourd !
- Va voir ailleurs si j'y suis.
Je vois la scène.
"Meine Damen und Herren, Die Gesellschaft Nord-Europa Bahn freut sie zu einem Drink …"
Le couple voisin vissé aux sièges, de nouveau nous dévisage. Mon explication ne l'a manifestement pas convaincu. Nous ne sommes pas loin de Rotenburg. Le ciel semble plus léger. Des zones que l'on devine bleues, se fraient des espaces entre les cumulo-nimbus menaçants. Les eaux phosphorescentes du Wümme que l'on devine bleu dos de sardine, nous accompagnent et serpentent sur plusieurs kilomètres avant de nous abandonner pour leur propre destinée.
La jeune Russe -elle est russe- se libéra à la station suivante où nous avons droit à trente minutes d’arrêt ennuyeuses et donc interminables. Les yeux de Rian ne s'embuèrent pas mais ils suivirent la jeune femme jusqu'à ne plus la distinguer dans la cohue. Je ne lui adresse pas la parole mais en définitive je le comprends. Lorsque nous quittons Hamburg Hauptbahnhof l'allure du train est soutenue. A nouveau les superficies boisées rétrécissent à vue d'œil au profit de constructions de plus en plus nombreuses. De nouveau Rian plonge dans le vide, dans une profonde méditation. Il est absent. Les bruits dans notre remorque sont plus légers, peu de personnes circulent. Nous somnolons. Entre vigilance et sommeil franc, les yeux mi-clos ne se décident pas. Plus tard quelques-uns racontent la traversée. Personnellement, Rian et moi nous ne nous sommes aperçus de rien. De si peu.
Le train ralentit à l'approche de Nørre Alslev.
- Contrairement aux idées reçues dis-je à Rian tu vois, au Danemark non seulement le train arrive à l’heure -s'il nous faut croire l'horloge de la gare de Nørre Alslev qui s'éloigne maintenant mollement et à reculons, parce qu'avec ma montre on est loin du compte, fichue montre ! - non seulement le train arrive à l'heure mais l’accueil que nous réservent dans les couloirs les contrôleurs danois est à la hauteur de leur impeccable uniforme quoique sombre Bien qu’il faille distinguer contrôles appliqués et contrôleurs taciturnes , devoir tatillon et accoutrement suranné.
- Etre et paraître ! s'aventure Rian.
Puis :
- Être et avoir ! Mais on peut combiner, non?
- C’est cela.
- Etre tel qu'on paraît et paraître tel qu'on est ! Rian s'enfonce
- Exact.
A l'adresse de l'agent de la police des frontières qui suit le contrôleur, il récite narquois :
- Rian fils de Rian monsieur, né à Souk-Ahras pays de soleil et lui c'est Alec mais son vrai prénom c'est Razi né à Talassa pays de Phébus comme c'est écrit. A Talassa n'est ce pas, pas à Leinster Street ou à Honolulu non, à Talassa ! La montagne et la mer, Talassa, le soleil, le soleil ! Nous continuerons dans quelques jours pour Stockholm. Nous arrivons de Paris. C'est écrit. Tout est écrit".
L'agent de police répète en balançant la tête, faussement rêveur :
- Talassa."
(Talassa est une terre du bout du monde coincée entre les Bni Merzoug les Bni Tamou et les Bni Tadjena. Ces hameaux de toub, terre glaise et battue sont unis les uns aux autres par des lianes de codes et d'us, par des liens de sang et par des zerdas tournantes prétextes aux rassemblements sains et naïfs. Psalmodies, méchouis cachectiques, taâm et lait caillé étaient acheminés sur des sentiers sinueux et cahotants récusés par toutes les cartes routières, malmenés par les vas et viens des grisons et mulets, rongés par des éternités de jujubiers et de figuiers de barbarie sur la défensive parmi les collines souvent colorées et odorantes. Le lendemain de fête une torpeur générale s'abattait alors en attendant la prochaine occasion. Heureuse ou malheureuse. Le moindre buisson, le moindre cailloux, la moindre ombre acculés dans leurs abris, retenaient leur souffle au passage des jours et des nuits. Pas une agitation, pas un murmure. Au creux des vallées les racines des lauriers-roses baignaient dans les rares eaux des oueds ridicules et silencieux. Personne n'est jamais étonné. Dahra, terre de soleil de mouches et de bourdons insomniaques, terre sans eau. Ce n'est pas un pays de sorcières ni celui de la magie encore moins celui des ânes d'or, mais il est bien celui de mon père et de ses prédécesseurs. Terre antique. Ma mère y est porteuse comme toutes les femmes et oubliée. Je la revois. Je les revois : el-graba, les chemins, les foules assiégeant l'autocar, et mon père. Mon père qui un jour me lâcha au soug es-sebt. Lorsque ce jour là -un samedi forcément- nous arrivâmes à Ténès à une poignée de kilomètres de nos bourgades pour le grand marché hebdomadaire, les passagers du car se dispersèrent aussitôt, pourchassés par un nuage de poussière et par un soleil de feu baignant dans un ciel bleu de mer. Le vieil autocar bondé de chez Grandella et fils parcourait invariablement trois fois par jour dans un sens puis dans l'autre la distance entre Talassa et Ténès. Quel que soit le mois de l'année ou le jour de la semaine. Le samedi il était toujours bondé et toujours conduit par le même chauffeur à l'haleine aillée, à cent lieues repérable. Son bleu de Shanghai empestait la Bastos. C'était la plus prisée des cigarettes chez les couches populaires et indigènes fatiguées, lancées dans une intoxication mutuelle. La cigarette du chauffeur lui collait au bec asséché. Sans elle il eût été méconnaissable. Ce jour là l'autocar nous déposa donc devant la mairie. Les gens se dispersèrent aussitôt poursuivis encore et encore par un soleil de feu baignant dans un ciel bleu de mer. Pas un nuage. Il n'était pas encore dix heures ce samedi là lorsque nous traversâmes la grande place au cavalier, mémoire de la nuit coloniale déclinante et gardien des lieux. Mon père qui jusque là me tenait la main, la lâcha.
- Razi
Dans nos contrées de misère le soleil à portée de main menace toujours.
- Ca va ?
A quelques centaines de mètres de la mairie, nous empruntâmes le pont de l'oued Allala pour atteindre la tahtaha qu'on désigne du nom du saint local, tahtahat Sidi Chewel Abderrahmane en l’occurrence.
- Il rêve !
La tahtaha est un grand espace, une esplanade surdimensionnée et immensément poussiéreuse où se côtoyaient par centaines hommes femmes bêtes de somme et carrioles, sardines fraîches, seiches propres, bonbons et étoffes soudanaises bariolées, branis, haïks, chéchias, bérets et tant d'objets hétéroclites et vains, à vendre ou vendus. On venait de loin pour ce marché du samedi, soug es-sebt, si populaire. A la suite des riches boutiquiers mécontents, les pauvres mécréants répétaient, glapissaient que Dieu, insatisfait de l'œuvre humaine sanctionna ses créatures d'un jour supplémentaire de prières. Ce fut samedi. Les pauvres gens incrédules ne connurent jamais l'origine réelle et banale du lien qui rattachait l'un à l'autre, le marché au samedi. Ils ne partageaient par conséquent pas la croyance pourtant répandue à savoir que l'homme est apparu un samedi saint par la volonté de l'Unique. Les riches commerçants mécontents qui eux connaissaient bien leurs intérêts et qui inventèrent cette histoire pour écarter les gueux du -maudit disaient-ils- marché, se trompèrent. Tous les sept jours, l'affluence y était telle que la nonchalance renonçait à ses droits jusqu'au lendemain. Qui court vers des besoins spirituels, qui vers des besoins bien matériels, qui vers les deux à la fois, qui.
Je tendis la main à mon père.
Ténès est une belle ville adossée à la Méditerranée plus qu’à la colline. Pour être précis elle est plus proche de la bourgade que de la ville. Elle est chargée de petites bâtisses tassées et alignées comme des dominos prêtes à plonger dans la baie bleue de la mer miroir. Ces édifices occupent des espaces cohérents, complémentaires. Bâti à des époques différentes, chaque groupe de maisons harangue le précèdent. Chaque période nouvelle s'impose aux autres naturellement un temps puis finit par leur ressembler. Elle s'insère discrètement parmi les autres et attend les suivantes. L’eau de mer ici est d’un bleu du temps suspendu d'une carte postale. Ténès est une contrée pudique dont on a gardé si peu de son histoire agressée. On a figé son identité au devant d'un trésor romain découvert il y a tant d'ans autour de la tombe de Victoria, ordonnée Clarissima fémina : "Voyez braves gens le trésor de Ténès !" Ah courte mémoire ! Ténès, perle pudique et puritaine que notre saint poète Ibn-Amsaïb allie à six autres villes dans un espace-patrimoine commun éternel, est aussi la terre des Aguellid Juba père et d'autres, bien avant ces trésors, bien avant les romains ! Elle est cette autre terre de mes ancêtres et de ceux de Sheshonq Au détour de la rue du Douar M'aïn, probablement là bas vers le bas du bled, vécurent Isabelle et Slimène héros furtifs de la ville dont l'histoire officielle voila la liaison.
Dans cette multitude bigarrée, la main de mon père de nouveau glissa. De tous côtés apparurent mains et têtes de toutes les formes et couleurs. Mille et une mais pas celles de mon père. Disparu Affolé, je courus un moment. Inutile. Panique. Je ne bougeai plus. La foule autour, belliqueuse, s'agitait toujours. Je criais à tue-tête, "bouya, mon père, mon père !" Mais c'est un autre qui répondit. Me répondit-il? Ne s'adressait-il pas plutôt à l'humanité tout entière? Je l'entends. Ô mon fils, cesse tes malices / Ton frère va mourir, / Ô mon fils, je meurs de souffrance...)
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Notes :
Rian, s’absente…il fixe les eaux… : Rian est plongé dans une profonde méditation… Il est dans une « situation d’optique pure » Deleuze dit à ce propos : « …La situation d’optique c’est la 3° grande idée de Robbe-Grillet (…). dans le film ‘’Taxi Driver’’: le personnage est en ballade. En quoi est-il en situation d’optique pure? Bien sûr il est en situation sensori-motrice par rapport à sa voiture, il la conduit. Mais son attention comme flottante, il fantasme…(…). Le chauffeur est en situation sensori-motrice mais simultanément à cela, tout un bout de lui-même est en situation d’optique pure à savoir son attention traînante sur ce qui se passe sur le trottoir. (Il voit mais n’agit pas en fonction de ce qui s’y passe…) »
Dans ‘‘Miroir’’, Tarkovski filme deux enfants dans une maison. A un moment ils quittent le lieu pour aller voir un immeuble en feu, mais la caméra reste figée sur la table du salon. Rien ne se passe sinon le temps qui passe. » (D. Turcotte)
Ils ont réclamé sept clepsydres… : Le temps de parole était il y a deux mille ans (poète Martial) mesuré en utilisant l’écoulement de l’eau : « Tu as réclamé sept clepsydres, Cécilianus, et le juge à contrecœur te les a accordés ! pour étancher ton art oratoire et ta soif, nous te conjurons Cécilianus, de boire désormais directement l’horloge !
Vont-ils nous suivre… : Orientation du récit vers le futur Dans ce passé, le futur est déjà présent. (lire autres extraits)…
Nataloussia : Clin d’œil à Tarkovski. (Natalia sa femme et Maroussia sa compagne). Dans « Le miroir » il songe à l’une ( sa femme) et l’autre (sa mère), parfois il y a confusion entre elles = entre le passé (sa mère) le présent (sa femme) …
Uniforme sombre… : Clin d’œil à Dagerman qui, dans « printemps français… » relate l’attitude des Suédois envers les Danois."…Au Danemark, le Suédois rencontre une sorte de liberté et de naturel qu'il confond avec le désordre et il se met aussitôt à se méfier. … parce que dans ce pays, les contrôleurs ne boutonnent pas leur veste d'uniforme et utilisent des sifflets sur les quais…"
Pas à Leinster Street : James Joyce nomme un de ses personnages Ghazi Power
X : Ce que le mal veut, il l’exige ! Et qu’est-ce- que tu dirais maintenant si je voulais entendre ton nom, Ghazi Power…
Ghazi : Je n’ai pas peur de Franck Machinchose ni de la flamme du Gaz Power (note a) ni de l’ulcère et de l’Ulster non plus.
- Mon cul !
- Ta gueule !
- Voudrais-tu me répéter cela de l’extérieur, Leinster – Connaught – Munster ? (note b)… »
Note a : Franck Power, surnommé Ghazi. Le jeu de mot s’établit sur Power, la marque de whisky, le personnage de Franck Power, surnommé Ghazi, et la flamme du gaz de ville.
Note b : Les 4 provinces de l’Irlande : Ulster, rattachée à la G.B, et Leinster, Connaught et Munster, les 3 provinces forment la République Libre d’Irlande. Leinster street était aussi l’adresse de Nora, la femme de Joyce
Tahtahat Sidi Abderrahmane: village alentours de Ténès. A Ténès un mausolée est dédié au saint, géographe…. Sidi Abdelkader el Djilani qui y a résidé
Un trésor romain... : Jacques Heurgon écrit: " Trésor découvert autour « de tombes chrétiennes » dont l’une est « la tombe d’une jeune femme, Victoria, qui est dite ‘clarissima fémina’ de l’ordre sénatorial, la plus haute aristocratie romaine, qui est morte à 18 ans, 8 mois et 15 jours, le 29/12/425…le trésor comprend 19 objets dont 17 en or, 1 argent, 1 bronze; fibules en or, éléments de garnitures de ceinture, bracelets, étuis, une anse, une broche… »
Voyez braves gens---patrimoine commun éternel : Ténès, Tunis, Tiaret, Tlemcen, Taza, Tétouan, Téroudan sont selon Amsaïb des villes éternelles…
Sheshonq : Berbère d’Afrique du Nord, 950 av JC dont un aïeul fonda la 22° dynastie pharaonique. (peut être le Chichaq de la Bible).
Ô mon fils… je meurs de souffrance... : Complainte des Chaouias ( population originaire des massifs de l’est algérien) datant de la fin des années 1920.
Sheshonq : Berbère d’Afrique du Nord, 950 av JC dont un aïeul fonda la 22° dynastie pharaonique. (peut être le Chichaq de la Bible).
Ô mon fils… je meurs de souffrance... : Complainte des Chaouias ( population originaire des massifs de l’est algérien) datant de la fin des années 1920.