Médias «neutres»
par M. Saâdoune, Le Quotidien d'Oran, 1er février 2009
Des centaines de manifestants se sont rassemblés, hier, à l'appel du Mouvement des Indigènes de la République devant le siège de France Télévisions à Paris. «Israël assassin, médias complices». Le mot d'ordre était répété par les manifestants qui protestaient contre la couverture biaisée et partiale du carnage de Ghaza par la soldatesque israélienne. Beaucoup disaient leur colère devant le refus des médias de nommer les choses par leur nom et de montrer la réalité du carnage subi par les habitants de Ghaza. «On a beaucoup vu les angoisses des gens de Sderot, on n'a pas vu les hurlements de douleur des bébés «traités» au phosphore», notait un manifestant. Beaucoup, pour être informés correctement, se sont branchés sur la chaîne Al Jazira en anglais dont l'audience a été multipliée durant le martyre de Ghaza.
A l'évidence, la gestion de l'information, quand il s'agit d'Israël, n'obéit pas aux standards jugés universels. Le problème est que cela est devenu trop visible. L'émergence de nouveaux médias comme Al Jazira et surtout l'internet dévoile cette gestion très orientée de l'information. Cela n'a pas empêché pourtant les opinions publiques en Occident, malgré le travail assidu des «faiseurs d'opinions», de constater les grandes oeuvres sanglantes de la «seule démocratie» au Moyen-Orient. Un journaliste, de retour des Etats-Unis, raconte qu'il a surpris ses interlocuteurs en leur expliquant que Ghaza n'était pas un Etat, mais une sorte de réserve indienne encerclée de tous les côtés par l'armée des Etats-Unis. La mise en exergue des «roquettes du Hamas» sert à donner du crédit à ce mensonge factuel et à occulter le fait que l'on s'attaque à des populations civiles désarmées sous blocus.
Des avocats dans plusieurs pays occidentaux s'attellent d'ailleurs à constituer les éléments factuels pour engager des poursuites contre les militaires israéliens pour crime de guerre. A l'évidence, ce n'est pas sur les chaînes de télévision occidentales qu'ils se sont informés. Pour nous journalistes des médias du «tiers-monde» qui recevons régulièrement des étiquettes faciles d'absence de professionnalisme, voire d'être des journalistes du pouvoir, la gestion des médias occidentaux du carnage de Ghaza relève très clairement d'un parti pris. A la limite, il aurait été compréhensible s'il était clairement assumé. Ce n'est pas le cas, la propagande avance masquée. On peut trouver des journalistes qui trouvent normal et compréhensible qu'une occupation provoque une résistance, y compris armée, sauf pour les Palestiniens. Israël doit rester intouchable et comme beaucoup l'ont noté, les journalistes israéliens sont plus libres de parler d'Israël que leurs homologues occidentaux.
Le comble a été atteint par la BBC qui a refusé de passer un appel lancé par des organisations caritatives pour aider Ghaza. Venir en aide à un enfant mutilé de Ghaza, c'est faire de la politique et manquer au devoir de «neutralité». C'est tellement absurde que cela a provoqué une levée de boucliers et une manifestation devant la BBC. Le caractère militant du traitement de l'information par les grands médias occidentaux commence à susciter des oppositions de plus en plus vives dans une opinion de moins en moins encline, toutes les enquêtes le démontrent, à accorder sa confiance aux grands médias. La réunion d'hier a rassemblé bien plus de monde que ce qu'espéraient ses initiateurs.
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par M. Saâdoune, Le Quotidien d'Oran, 1er février 2009
Des centaines de manifestants se sont rassemblés, hier, à l'appel du Mouvement des Indigènes de la République devant le siège de France Télévisions à Paris. «Israël assassin, médias complices». Le mot d'ordre était répété par les manifestants qui protestaient contre la couverture biaisée et partiale du carnage de Ghaza par la soldatesque israélienne. Beaucoup disaient leur colère devant le refus des médias de nommer les choses par leur nom et de montrer la réalité du carnage subi par les habitants de Ghaza. «On a beaucoup vu les angoisses des gens de Sderot, on n'a pas vu les hurlements de douleur des bébés «traités» au phosphore», notait un manifestant. Beaucoup, pour être informés correctement, se sont branchés sur la chaîne Al Jazira en anglais dont l'audience a été multipliée durant le martyre de Ghaza.
A l'évidence, la gestion de l'information, quand il s'agit d'Israël, n'obéit pas aux standards jugés universels. Le problème est que cela est devenu trop visible. L'émergence de nouveaux médias comme Al Jazira et surtout l'internet dévoile cette gestion très orientée de l'information. Cela n'a pas empêché pourtant les opinions publiques en Occident, malgré le travail assidu des «faiseurs d'opinions», de constater les grandes oeuvres sanglantes de la «seule démocratie» au Moyen-Orient. Un journaliste, de retour des Etats-Unis, raconte qu'il a surpris ses interlocuteurs en leur expliquant que Ghaza n'était pas un Etat, mais une sorte de réserve indienne encerclée de tous les côtés par l'armée des Etats-Unis. La mise en exergue des «roquettes du Hamas» sert à donner du crédit à ce mensonge factuel et à occulter le fait que l'on s'attaque à des populations civiles désarmées sous blocus.
Des avocats dans plusieurs pays occidentaux s'attellent d'ailleurs à constituer les éléments factuels pour engager des poursuites contre les militaires israéliens pour crime de guerre. A l'évidence, ce n'est pas sur les chaînes de télévision occidentales qu'ils se sont informés. Pour nous journalistes des médias du «tiers-monde» qui recevons régulièrement des étiquettes faciles d'absence de professionnalisme, voire d'être des journalistes du pouvoir, la gestion des médias occidentaux du carnage de Ghaza relève très clairement d'un parti pris. A la limite, il aurait été compréhensible s'il était clairement assumé. Ce n'est pas le cas, la propagande avance masquée. On peut trouver des journalistes qui trouvent normal et compréhensible qu'une occupation provoque une résistance, y compris armée, sauf pour les Palestiniens. Israël doit rester intouchable et comme beaucoup l'ont noté, les journalistes israéliens sont plus libres de parler d'Israël que leurs homologues occidentaux.
Le comble a été atteint par la BBC qui a refusé de passer un appel lancé par des organisations caritatives pour aider Ghaza. Venir en aide à un enfant mutilé de Ghaza, c'est faire de la politique et manquer au devoir de «neutralité». C'est tellement absurde que cela a provoqué une levée de boucliers et une manifestation devant la BBC. Le caractère militant du traitement de l'information par les grands médias occidentaux commence à susciter des oppositions de plus en plus vives dans une opinion de moins en moins encline, toutes les enquêtes le démontrent, à accorder sa confiance aux grands médias. La réunion d'hier a rassemblé bien plus de monde que ce qu'espéraient ses initiateurs.
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http://www.acrimed.org/article3051.html
Gaza - Médias en guerre (1) : Sous couvert de neutralité
Publié le 6 janvier 2009 par Yves Rebours
Qu’ils le veuillent ou non, les médias sont toujours, volontairement ou pas, des acteurs des guerres qu’ils prétendent observer. Et force est de constater que la plupart des quotidiens nationaux (si l’on excepte L’Humanité) soutiennent explicitement la guerre israélienne que les médias de consensus (comme le sont les radios et les télévisions qui tentent de fédérer les publics les plus larges) soutiennent tacitement. Ce soutien peut être délibéré (même si cela ne va pas sans quelques contorsions) dans les éditoriaux de la presse écrite ; il est parfois plus ou moins involontaire quand l’information, sous couvert de neutralité, présente comme équivalents les adversaires en présence et, du même coup, privilégie le plus puissant d’entre eux.
Premier relevé du champ de bataille de l’information que des analyses plus précises viendront peu à peu étayer, préciser et, le cas échéant, modifier.
La plupart des médias ont commencé par présenter les bombardements israéliens contre Gaza comme des « représailles » contre la reprise des tirs de roquettes ou une riposte de « légitime défense » contre ces mêmes tirs. De l’aveu même des responsables israéliens (qui ont même fini par en convaincre quelques médias français), l’armée israélienne avait mis à profit la trêve pour préparer, non pas préventivement, mais offensivement les opérations militaires (tandis que le Hamas de son côté se préparait lui aussi à la rupture officielle de la trêve).
Variante : la plupart des médias ont présenté les bombardements comme une réponse à la rupture de la trêve par le Hamas. Or, de l’aveu même de quelques-uns de ces médias, la trêve n’a jamais vraiment eu lieu : non seulement les premières ruptures militaires sont venues de l’armée israélienne, mais le gouvernement israélien n’a jamais respecté les conditions de cette trêve, à commencer par la fin du blocus imposé à la population de Gaza.
Il n’empêche : épousant les premières déclarations du gouvernement israélien, la plupart des médias ont présenté les objectifs de l’offensive militaire israélienne comme une tentative de mettre un terme aux tirs de roquettes et, pour cela, de détruire l’infrastructure militaire du Hamas. Or, de l’aveu même de responsables du gouvernement israélien, c’est l’existence même du Hamas et de l’autorité qu’il exerce à Gaza qui est visée. Mais il fallut plusieurs jours de bombardements pour que quelques médias français finissent par s’en rendre compte.
Il n’empêche : épousant encore les déclarations du gouvernement israélien, la plupart des médias ont présenté les cibles les bombardements comme des cibles militaires, mais ils ont soigneusement gardé pour eux le fait que pour l’armée israélienne tous les membres et sympathisants du Hamas sont des militaires (qu’il s’agisse de ceux qui agissent comme tels, de la police ou plus simplement de sympathisants sans armes) et, que pour ces mêmes militaires, toutes les infrastructures administratives et civiles de Gaza sont des repères d’islamistes.
Il n’empêche : la plupart des médias, dès le début, ont affecté de croire que les bombardements israéliens n’ont fait qu’accidentellement des victimes civiles… Ainsi s’établirait – c’est un distinguo qu’affectionne le gouvernement israélien – la différence entre le terrorisme du Hamas et la guerre d’Israël. Or même si les victimes civiles ne sont pas intentionnellement visées, c’est intentionnellement que sont menées des opérations militaires qui les rendent inévitables. Un massacre n’est pas une « bavure » : la plupart des médias français peinent manifestement à l’admettre, même quand ils finissent par s’inquiéter des risques d’une « catastrophe humanitaire ».
De même, le blocus imposé à Gaza par le gouvernement et l’armée israéliens relève des actes (et même des actes de guerre) qui visent délibérément la population civile que l’on tente ainsi de désolidariser du Hamas. Le blocus, pendant 18 mois, a sans doute fait plus de victimes civiles (y compris de morts prématurées) que les tirs de roquettes. Dire cela, ce n’est en rien justifier la fin poursuivie et les moyens employés par le Hamas : c’est énoncer un simple fait.
Il n’empêche : Le Monde qui ajuste régulièrement le droit international à ses convictions, a pu, dans un éditorial, réserver aux effets des tirs du Hamas l’accusation de « crimes de guerre »… et réserver quelques larmes aux victimes palestiniennes. Et la plupart des médias français d’expliquer ou de laisser entendre qu’il fallait distinguer entre les victimes fâcheuses du blocus et des opérations de l’armée israélienne et les victimes innocentes des actions du Hamas. Quant à s’alarmer de la formidable différence du nombre des victimes, ce serait sans doute nuire à la clarté des distinctions juridiques ou morales !
Ainsi, avant même que ne commencent « les opérations terrestres » (comme on dit pour éviter d’avoir à parler d’une invasion) des informations étaient taillées à la mesure des commentaires. Or ceux-ci, dans la plupart des quotidiens nationaux ont déploré, pour reprendre le langage des plaidoiries diplomatiques, un « usage disproportionné de la force », en condamnant non seulement la politique du Hamas, mais aussi, comme ils l’ont toujours fait par le passé, toute résistance des Palestiniens, et en adressant au gouvernement israélien les admonestations morales et les conseils politiques dont il ne tient aucun compte depuis soixante ans.
Pourtant, Laurent Joffrin, dès le 29 décembre, était déjà inquiet d’une éventuelle dégradation de la « supériorité morale » d’Israël (sic) [1].
C’était avant l’invasion de Gaza…
A suivre, hélas.
Yves Rebours
PS. Une fois n’est pas coutume : cet article sera peut être complété ou modifié ultérieurement. Titre complété le 11-01-2009.
Gaza – Médias en guerre (2) : De sources bien informées ?
Publié le 12 janvier 2009 par Henri Maler, Olivier Poche
Dans un précédent article – « Médias en guerre (1) : Sous couvert de neutralité » - nous avons effectué un premier relevé du champ de bataille de l’information, avant que les bombardements de l’armée israélienne sur Gaza ne soient soutenus par une invasion terrestre. Depuis, à grands renforts de reportages déséquilibrés et d’informations mal regardantes sur les sources, la plupart des médias ont confirmé qu’ils sont toujours, volontairement ou pas, des acteurs des guerres qu’ils prétendent observer...
...Et dans le cas présent, trop souvent, des auxiliaires du plus puissant d’entre eux quand, dans (l’innocente ?) intention de respecter un impartial – et toujours virtuel – équilibre, ils maltraitent, effacent, voire renversent des déséquilibres bien réels. Peut-être que, comme le déclare un gradé israélien, « pour mener une bonne guerre, il faut garder les journalistes à l’écart [1]. » Il paraît encore plus sûr de les garder dans son propre camp.
Où sont les caméras ?
Les principales chaînes de télévision françaises ne disposent d’aucun correspondant permanent à Gaza, à l’exception de Talal Abou Rahmeh, journaliste reporter d’images (JRI) palestinien qui travaille avec Charles Enderlin pour France 2, et de Radjaa Abou Dagga, correspondant de France 24 (qui intervient occasionnellement sur France 3). Jusqu’a ce jour, la quasi-totalité des envoyés spéciaux des chaînes françaises ne peut pas accéder à Gaza. Dans ces conditions, quels reportages et quelles enquêtes les télévisions peuvent-elles effectuer, si l’on excepte les reportages, balisés par l’armée israélienne, effectués dans les villages israéliens placées sous les tirs des roquettes du Hamas ?
L’effet de cette exception est garanti. La prétendue recherche d’une information équilibrée se traduit par une présentation totalement asymétrique des risques encourus par les populations civiles : une présentation qui ne tient aucun compte (même si l’on tient à jour une macabre comptabilité) de la disproportion écrasante de l’ampleur des destructions et du nombre des blessés et des morts. Mais surtout ces enquêtes, presque totalement unilatérales en l’absence quasi-complète de témoignages directs des Palestiniens de Gaza, accréditent, qu’on le veuille ou non, la légitimité de la guerre israélienne.
Un exemple, qui commence à se donner pour ce qu’il est, notamment sous l’effet de la « frustration » des journalistes coincés aux portes de Gaza : Sderot.
Le 8 janvier, un article du Monde – « La presse, tenue à distance, rumine sa frustration » – décrit les conditions de travail des journalistes retenus à la frontière avec Gaza, et notamment à Sderot : « Vidées de ses habitants qui se claquemurent dans leur maison, les rues de la ville ont été transformées en un "journalistland" géant. Les vieux routiers des conflits y traînent leur désœuvrement au milieu d’une nuée de porte-parole de l’armée et du gouvernement israélien à l’affabilité insistante. » Mais que nous importe, au fond, la « frustration » des journalistes, quand on mesure les conséquences de ce prétendu « désœuvrement » ?
Entre le 27 décembre et le 4 janvier, les téléspectateurs de TF1 ont profité de la visite guidée de Sderot, à cinq reprises, (trois fois dans le 20 heures, deux fois dans le 13 heures), avant de s’apercevoir, si toutefois ils lisent Le Monde, que cette fréquence ne relève pas tout à fait du pur hasard.
Premier reportage, le 28 décembre : notre vaillant reporter suit un charmant grand-père le guidant dans une visite qui semble assez rodée : la toute première maison touchée par les roquettes, des familles « terrorisées », puis le musée des roquettes – comme dans le « Gaza Border Tour » évoqué dans l’article du Monde [2]. Comme l’annonçait le journaliste en ouvrant le sujet, l’attaque israélienne est pour les habitants qu’il rencontre « un soulagement pour les 15000 habitants de Sderot » : « Après huit ans d’attaques, je suis soulagé. Merci Ehud Barak, notre ministre de la défense, il a enfin fait ce qu’il fallait faire. On attendait cela depuis longtemps. ». Une prise de position que ne viendra pas tempérer la prise de position des pacifistes qui, eux, ne sont malheureusement pas au programme du « Gaza Border Tour » (mais dont un article de Benjamin Barthe, paru dans Le Monde du 7 janvier décrit fort bien le désarroi, sous le titre : « Au kibboutz Saad, près de Sderot, la colère et le désespoir de l’association "Une autre voix" »).
Second reportage, le 31 décembre, le seul du jour consacré à la situation au Proche-Orient, intitulé « vivre sous les tirs à Sderot ». Un reportage en toute liberté, sans doute grâce au « jeune [et sympathique] soldat qui nous accompagne… », et avec qui on vit une alerte en direct. Dialogue :
- « Ça peut être combien de fois par jour ? »
- « Ça peut être très … 60 fois, 10 fois, 14 fois… C’est épuisant. »
Puis c’est un couple avec « Shirel, leur fille de cinq mois », qui vit dans la peur. « La petite doit subir des examens médicaux, mais les tirs de Qassam les dissuade de toute sortie : “ Je ne veux pas que ma fille grandissent dans des conditions pareilles, qu’elle subisse la peur et l’anxiété” ». En attendant de pouvoir ressortir, ils ne consomment plus que du surgelé » (preuve par l’image). On termine avec un entrepreneur qui veut aller « plus loin » dans l’offensive pour « les mettre à genoux ».
Est-ce parce qu’il n’existe aucun autre sujet de reportage disponible en provenance de Gaza ? Est-ce parce qu’on ne se lasse pas de reproduire quasiment les mêmes ? Toujours est-il qu’un troisième reportage, le 4 janvier, sera consacré à un thème original : « Vivre à Sderot, sous les tirs de roquettes ». Alertes, maison détruite… Et on termine sur un habitant qui s’interroge : « Tout le monde dit dans le monde que ce que fait Israël à Gaza ce n’est pas bien, que l’armée israélienne n’a pas le droit. Pourquoi ne viennent-ils pas là, pour connaître ce que l’on ressent ? ».
Pourtant, pendant plusieurs jours, seuls ou presque les Israéliens menacés par les roquettes du Hamas ont pu témoigner directement des souffrances qu’ils endurent (et qu’il n’est pas question de nier), alors que celles des Palestiniens restent presque totalement privés de mots recueillis par des journalistes. Il est possible que, contrairement au vœu exprimé par l’ habitant de Sderot, TF1, comme les autres, ne « vienne » pas là pour comprendre pourquoi l’armée israélienne « a le droit » de faire la guerre à Gaza. Mais comment ne pas voir que, dans la « configuration » médiatique du conflit, la répétition de ces reportages sert au mieux les objectifs et la politique d’Israël, qui d’ailleurs les encourage et les facilite par tous les moyens.
Dire cela, ce n’est en rien justifier la fin poursuivie et les moyens employés par le Hamas : c’est énoncer un simple fait. Un fait reconnu par certains journalistes comme ce journaliste de RTL qui selon l’article du Monde déjà cité, déclare : « Nous sommes des journalistes captifs. Pendant que les gamins du camp de Jabaliya [site d’un bombardement israélien qui a fait quarante morts, mardi 6 janvier] se font massacrer, les médias parlent de ceux de Sderot qui collectionnent les morceaux de Qassam. C’est tout bonus pour Israël. ».
D’où cette simple question : pourquoi accepter de tourner ces reportages tant que l’armée israélienne refuse de laisser les journalistes enquêter à Gaza ?
Selon les comptages effectués par le site d’Arrêt sur images (lien payant), les 20h de TF1, France 2 et France 3, entre le 27 décembre et le 5 janvier, ont ainsi proposé 6 reportages intégralement consacrés aux civils israéliens, contre 2 aux civils palestiniens. Cette disproportion est encore plus prononcée, si l’on prend en considération les JT de 13h. Selon notre propre relevé, sur TF1, le rapport est de 5 contre 1, et même de 6 contre 1 en tenant compte d’un reportage de deux minutes consacré à la famille de Gilad Shalit [3] diffusé au 20h du 2 janvier, par ailleurs seul reportage du jour consacré au "conflit" en cours. Sur l’ensemble de la période considérée, un seul reportage consacré aux civils palestiniens, diffusé uniquement au 20h, met en scène, sans le moindre propos politique, une famille relativement aisée de Gaza (comme nous l’apprend un reportage… de France 2 où le même couple franco-palestinien est interrogé [4]) et peu représentative par conséquent de la situation vécue par la majorité des Gazaouis. Et si l’on ajoute France 2, on atteint en tout 10 reportages contre 2 – là encore, le 13h ayant jugé bon d’évoquer Sderot, mais pas Gaza.
Peut-être faut-il faire crédit, sous réserve d’examen de leur contenu, aux auteurs des reportages « du côté israélien » de ne pas contribuer délibérément à la propagande de guerre de l’Etat-major israélien : le déséquilibre global de l’information n’est pas de leur fait ou de leur seul fait. Peut-être faut-il, également, faire crédit aux responsables de l’information de TF1 ou de France 2 de l’absence de volonté de privilégier le point de vue des officiels et des témoins israéliens : il n’en resterait pas moins qu’informer à partir des données disponibles – des reportages du côté israélien et, pour l’essentiel, des images de source fréquemment indéterminée du côté de Palestiniens de Gaza – sans s’interroger sur leur source et leur sens se traduit par une distorsion telle de l’information qu’elle constitue une forme de désinformation.
Tout se passe comme si l’inconscient journalistique des responsables de rédaction et de certains journalistes leur dictait de produire l’information en fonction de l’emplacement des équipes de reportages. Et l’on peut même supposer que cet inconscient n’est pas mis au service d’une volonté délibérée ; les procès d’intention ne sont pas indispensables quand la critique en irresponsabilité suffit : les effets sont pratiquement les mêmes.
Encore ne s’agissait-il que d’un aspect de l’information télévisée avant l’invasion terrestre de Gaza par l’armée israélienne…
D’où proviennent les informations ?
Faute de moyens pour recueillir directement à Gaza les informations sur Gaza, la plupart des médias en sont réduits à accueillir, sans pouvoir les recouper et les vérifier, des informations des sources les plus diverses, généralement mentionnées et, souvent, avec les précautions d’usage. Mais des précautions manifestement très insuffisantes quand on constate :
- Que les déclarations et informations de source israéliennes sont infiniment plus nombreuses que les informations et déclarations émanant des forces palestiniennes, comme si les secondes étaient par définition plus frelatées que les premières.
- Que les informations en provenance d’Al Jazeera, seul média présent à Gaza ne sont pratiquement jamais reprises, même avec précaution, comme si elles étaient par définition dénuées de fondement [5].
- Que les informations en provenance des agences de l’ONU et des associations humanitaires sont traitées avec autant de précautions que celles qui émanent du gouvernement et de l’armée israélienne, comme si elles étaient également sujettes à caution.
- Que, par conséquent et par contraste, même livrées avec prudence, les informations de source israélienne bénéficient de facto d’un surcroît d’exposition et de légitimité, même si le crédit relatif qui leur est accordé n’est pas intentionnel et peut partiellement s’expliquer par la plus grande proximité des journalistes occidentaux avec les sources officielles israéliennes : proximité culturelle, linguistique, géographique (pour les correspondants permanents qui résident en général en Israël pour couvrir le conflit… israélo-palestinien),…voire personnelle ? [6]
Faute d’une présence massive de journalistes à Gaza (et, ajoutons-le, de journalistes suffisamment indépendants et idéologiquement divers), les seules informations qui soient peu soupçonnables d’être conditionnées par la propagande de guerre émanent des organismes de l’ONU et des associations présentes sur place. Et pourtant, si les déclarations des autorités israéliennes sont régulièrement reprises et données à l’antenne, c’est loin d’être le cas des sources « humanitaires ».
Ainsi, le bombardement, le 6 janvier, des trois écoles de l’ONU où s’étaient réfugiés des civils palestiniens a été largement médiatisé [7]. Or, en raison du nombre de morts et de blessés qu’elle a provoqué, l’attaque contre l’école de Jabaliya a bénéficié d’une « couverture » qui a éclipsé d’autres informations non moins significatives.
- D’abord l’information sur les bombardements de deux autres écoles à Gaza et Khan Younès (sud) a été minimisée. Ce sont ces bombardement, semble-t-il, que mentionne fugitivement, une reportage de Michel Scott au 13h de TF1 : « […] une chose est sûre, deux écoles, gérées par l’ONU, l’une ici dans le sud du territoire palestinien, l’autre à Gaza ville, dans le nord, ont été touchées ce matin. Cinq palestiniens au moins y ont été tués sans que l’on sache s’il s’agit de civils ou de combattants. » Informations classées sans suite… Le 20 heures de France 2 évoque ces bombardements en une seule phrase – et quelle phrase : « L’armée israélienne n’a pas confirmé deux autres bombardements sur des établissements de l’ONU au cours des douze dernières heures ». Ou comment soumettre une information (de l’ONU) à la confirmation (de l’armée israélienne) - et comme si cette confirmation était indispensable à l’établissement de la vérité.
- La destruction, la veille, de trois cliniques mobiles de la Croix rouge [8], sauf erreur ou omission de notre part, n’a pas ou peu été diffusée par les médias… alors qu’il semble pour le moins difficile de la justifier par la présence de militants du Hamas [9].
Mais surtout la présentation du massacre de Jabaliya et de la controverse qu’il a suscitée en dit long sur le privilège relatif accordé aux sources israéliennes
La réaction du gouvernement et de l’armée israélienne n’a en effet pas tardé, affirmant que les Israéliens avait essuyé des tirs en provenance de cette école, que la destruction avait été provoquée par une explosion interne qui pourrait être celle d’un dépôt d’armes et, plus généralement, que les combattants du Hamas se servaient des civils comme boucliers et avaient l’habitude de s’abriter dans des édifices, notamment onusiens, occupés par des civils.
Le lendemain, l’agence de l’ONU pour l’aide aux réfugiés palestiniens (Unrwa) a contredit cette version, en affirmant notamment, par la bouche de son porte-parole, être sûre « à 99,9% qu’il n’y avait ni activistes ni d’activités militaires dans l’école » [10]. Or nombre de médias qui la veille avaient fait état de la version israélienne, n’ont pas tous, loin de là, fait état de ce démenti.
Ainsi, les téléspectateurs de TF1 n’en auront aucun écho. On leur resservira au contraire le réchauffé de la veille, un réchauffé qui commence à avoir un très mauvais goût. Le journaliste évoque en effet la « lueur d’espoir » que constitue l’arrêt pendant trois heures des bombardements : « Geste de bonne volonté après la journée d’hier particulièrement meurtrière : la frappe contre une école aux couleurs des Nations-Unies a soulevé une vague de protestation internationale, malgré l’explication israélienne selon laquelle le site aurait servi de zone de tir au Hamas . » Comme si « l’explication israélienne » était au dessus de tout soupçon et aurait dû suffire à contenir une « vague de protestation », que le micro à nouveau tendu à un porte-parole de l’armée israélienne achève de rendre injustifiable : « le Hamas se protège derrière des enfants dont il se sert comme bouclier humain. C’est inacceptable. Chaque fois qu’il y a des morts ils en sont responsables ». Point final. Du moins pour TF1 au sommet de son art.
Or même en diffusant l’information sur les bombardements d’écoles et les deux versions – onusienne et israélienne - en présence, nombre de médias l’ont présentée comme si sa source onusienne était, par nature, aussi peu crédible qu’une source militaire. Le 20h de France 2, à cet égard, est exemplaire : « la polémique rebondit : les établissements gérés par les Nations-Unies abritaient-ils des membres du Hamas ? "Oui", dit Israël. "Quasi impossible", répond l’ONU ». Suit deux interventions de même longueur, celle du porte-parole de l’UNRWA, celle de la porte-parole de l’armée israélienne.
Variante, avec un soupçon de malhonnêteté en plus : tenter de concilier les deux version. Ainsi, sur le site du figaro.fr, sous le titre « Gaza/école : l’ONU veut une enquête », on pouvait lire le 7 janvier une dépêche d’Associated Press qui après avoir mentionné la certitude à 99,99% de l’UNRWA, ajoutait : « Cette affirmation ne contredit pas nécessairement l’affirmation israélienne selon laquelle les militants du Hamas lançaient leurs attaques à proximité de cette école . » Or les autorités israéliennes n’affirmaient rien de tel. Ainsi le porte-parole du gouvernement israélien, Mark Regev avait d’abord déclaré : « Les premiers éléments dont nous disposons est qu’il y a eu des tirs hostiles contre une de nos unités depuis le bâtiment de l’ONU . Notre unité a répondu. ».
De surcroît, le très scrupuleux exercice d’équilibre dans le traitement des sources a conduit nombre de médias à omettre, consciencieusement d’autres informations, disponibles sur le site de l’ONU, comme celle-ci : « Près de 15.000 personnes sont en ce moment à l’abri dans des locaux des Nations Unies à Gaza, notamment dans 20 écoles qui servent de sanctuaire parce que la population ne peut fuir le territoire palestinien, a ajouté le Secrétaire général. John Ging a dit que l’armée israélienne avait reçu les coordonnées GPS de tous les bâtiments des Nations Unies, y compris les écoles, et qu’elles avaient été mises à jour récemment . Il a appelé à l’ouverture d’une enquête. A cet égard, le Secrétaire général s’est dit « profondément consterné qu’en dépit de ces efforts répétés ces tragédies aient eu lieu. ». En réponse à une question d’un journaliste, le Coordonnateur de l’Unrwa a précisé que les militants palestiniens n’avaient pas violé l’immunité des bâtiments des Nations Unies et qu’il serait inacceptable qu’ils le fassent. » On ne peut imaginer plus clair démenti aux allégations du porte-parole du gouvernement israélien, qui ont été rapportées ainsi : « “Il y a eu ensuite des explosions, sans commune mesure avec l’artillerie que nous avons utilisée”, a-t-il ajouté, soulignant que les “spéculations” étaient possibles sur la raison de ces explosions, en allusion à la présence d’explosifs dans l’école. Il a aussi souligné que dans le passé les groupes armés palestiniens avaient utilisé des bâtiments de l’agence de l’ONU pour les réfugiés (Unrwa) à Gaza pour mener des attaques ou stocker des armes. ».
Certes, en l’absence d’une enquête indépendante, les faits ne sont pas totalement établis. Mais à quelle version accorder le plus de crédit, même provisoire : à celle de l’ONU ou à celle d’un gouvernement en guerre ? Les placer sur le même plan, c’est déjà participer à la propagande – inévitable – de ce dernier, alors qu’aucun doute n’est permis sur l’essentiel.
Aucun média, à notre connaissance, n’a évoqué une éventuelle justification, par l’armée israélienne, de la destruction de cliniques mobiles de la Croix-Rouge (mentionnée plus haut et généralement omise) par la présence de combattants du Hamas. Et pour cause. Mais surtout l’affirmation selon laquelle les bâtiments de l’ONU pourraient abriter de tels combattants comporte, malgré elle, une information de première importance qui n’a pas été relevée. Supposons un instant que des militants du Hamas étaient réfugiés dans l’Ecole de l’ONU bombardée par cette armée que la plupart désigne affectueusement sous le nom de « Tsahal », il en résulterait, de l’aveu même des responsables israéliens, cet autre fait : l’armée israélienne bombarde délibérément des cibles qui abritent majoritairement des civils dès lors que, à ses yeux, ces abris servent également de refuge à des hommes en armes. N’est-ce pas une information ? Pourquoi n’a-t-elle pas, en général, été diffusée comme telle ? Pour ne pas avoir à appeler des massacres par leur nom ?
A suivre, hélas…
Henri Maler et Olivier Poche
- Grâce à la documentation réunie avec Denis, Jamel, Marie-Anne et Raul.
PS. Une fois n’est pas coutume : cet article sera peut être complété ou modifié ultérieurement
Notes
[1] Général de réserve Doron Almog, cité par Le Monde daté du 09/01/09.
[2] « Sur la porte d’entrée du centre social qui tient lieu de salle de presse, une note indique le nom des officiels de permanence et les langues étrangères qu’ils parlent. Anglais, allemand, français, espagnol, portugais et même luxembourgeois ! A l’intérieur, un paquet de brochures résume les activités proposées par The Israel Project, l’un de ces organismes privés financés par la diaspora juive américaine, qui, sous couvert de services à la presse, mouline la bonne parole du gouvernement. Au menu du jour, le "Gaza Border Tour". Une excursion qui passe par le "musée des Qassam", l’entrepôt où sont entassés les reliquats de toutes les roquettes tirées sur la ville (causant la mort d’une dizaine de personnes). » (Le Monde daté du 9 janvier). Outre cet article du Monde, on peut consulter aussi un article d’arrêt sur images (lien payant) sur les activités de l’association The Israel Project, qui, entre autres, fournit aux journalistes la liste des victimes des roquettes du Hamas, avec numéro de portable, langue(s) parlée(s), etc.
[3] Soldat israélien détenu par le Hamas. Ce reportage n’a pas d’équivalent de "l’autre côté", alors qu’il ne paraît pas impossible de trouver des familles de combattants palestiniens emprisonnés en Israël.
[4] Le reportage précise que cette famille vit dans les « quartiers chics » et la montre dans une tentative – infructueuse- de quitter Gaza
[5] Télérama du 7 janvier 2008 rapporte et commente ainsi les propos d’un journaliste à propos d’Al Jazeera, : « “ Comme elle dispose sur place d’une véritable rédaction coordonnée, elle peut répartir les sujets, couvrir des angles différents, rendre compte des différents aspects de la vie quotidienne des Gazaouis” , estime Alexis Monchovet. Problème : ses images sont exclusives, et les chaînes françaises n’ont pas forcément les moyens de les acheter. Sans compter l’accusation de partialité qui ne manquerait pas de leur tomber dessus si elles utilisaient une telle source. Pourtant, elles diffusent allègrement les images fournies par l’armée israélienne… »
[6] C’est ce que semble indiquer cette réaction échappée à Frédéric Barreyre sur France inter le 7 janvier, quand Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée israélienne, rejette la responsabilité des bombardements d’écoles : « quelque part faut aussi que la presse se demande et demande aussi au Hamas, puisqu’ils nous demandent à nous israéliens, pourquoi le Hamas utilise des installations humanitaires et de l’ONU comme base de tir. Quelque part faut aussi enlever la naïveté… » Frédéric Barreyre l’interrompt : « Olivier, Olivier, Olivier, laissez-nous entrer ! Olivier , laissez-nous entrer ! On ira leur demander. »
[7] A titre d’exemple, voici la version proposée par le site du Nouvel Observateur : « Mardi [6 janvier], trois écoles gérées par l’agence de l’ONU d’aide aux réfugiés (Unrwa), où des dizaines de civils s’étaient réfugiés, ont été bombardées. L’attaque la plus meurtrière, à Jabaliya (nord), a tué 43 Palestiniens, selon les services d’urgences palestiniens. L’ONU, dans un communiqué, a fait état de 30 morts et 55 blessés. Cinq autres personnes ont trouvé la mort dans des attaques contre deux écoles de l’ONU à Gaza et Khan Younès (sud), alors qu’au moins 12 membres d’un même clan familial, dont sept enfants, ont péri dans le bombardement de leur maison à Gaza, selon des sources médicales. »
[8] « Trois cliniques mobiles, clairement marquées du signe de la croix rouge et parquées dans les locaux d’une organisation médicale, ont été détruites par l’aviation israélienne dans la nuit du 5 janvier. « Nous avons été en mesure d’aider les blessés jusqu’à présent parce que nos véhicules étaient à l’intérieur de Gaza. Cette capacité d’assistance en urgence est maintenant détruite. Nous sommes profondément choqués que ces bombardements israéliens empêchent les efforts de l’aide humanitaire », déclare Henrik Stubkjær, secrétaire général de DanChurchAid ». Source : Communiqué DanChurchAid, 6 janvier 2009. Paru sur le site de Contreinfos.
[9] Il en va de même du bombardement dont fait état Michel Scott dans le sujet déjà mentionné du JT de 13 h du 6 janvier sur TF1 : « […] des secouristes du Croissant Rouge ont même été visés, comme le raconte cette activiste étrangère [sic], l’une des rares encore présents à Gaza : "Nous étions bien visibles, quatre ambulances qui se rendaient vers le lieu d’une frappe aérienne. Et pourtant le F16 est revenu et a tiré sur la même maison. C’est un miracle si nous sommes encore tous en vie." »
[10] A titre d’exemple, sur le site du Nouvel Observateur, sous le titre sans équivoque « Pas de combattant dans l’école de l’Onu dans l’Ecole attaquée » : « L’ONU a démenti mercredi 7 janvier la présence de combattants palestiniens dans une école qu’elle gère dans la bande de Gaza, où plus de 40 personnes ont été tuées la veille dans une attaque israélienne. Israël a affirmé avoir tiré à l’artillerie en direction de l’école où, selon lui, des combattants palestiniens s’étaient positionnés pour tirer des obus de mortier contre ses forces qui mènent une offensive sans précédent contre le mouvement islamiste Hamas. "Suite à une enquête préliminaire, nous sommes sûrs à 99,9% qu’il n’y avait ni activistes ni d’activités militaires dans l’école", a affirmé à l’AFP Chris Gunness, le porte-parole de l’agence de l’ONU pour l’aide aux réfugiés palestiniens (Unrwa)."Nous appelons à une enquête indépendante. Si les lois de la guerre ont été violées, les coupables devront être présentés à la justice", a-t-il ajouté. »
Gaza – Médias en guerre (3) : « Bavures » audiovisuelles
Publié le 19 janvier 2009 par Henri Maler, Olivier Poche
Au moment où cet article paraît, la plupart des médias ont, depuis plusieurs jours, amorcé de légères inflexions dans le traitement de l’invasion israélienne de Gaza : critiques acerbes du blocus imposé aux journalistes interdits de séjour à Gaza par l’armée israélienne, constats moins édulcorés des crimes perpétrés par cette même armée, etc. Et l’annonce, le 18 janvier, d’une trêve d’une semaine par le Hamas et d’un cessez-le-feu israélien contribuera à effacer les traces du traitement médiatique pendant les semaines qui ont précédé.
Raison supplémentaire de lutter contre l’amnésie par le rappel de quelques prouesses : la désinvolture des présentateurs et des interviewers, l’adoption, notamment par le vocabulaire employé, du point de vue israélien sur les raisons et les objectifs des bombardements et de l’invasion (ainsi que sur les résultats escomptés et les risques encourus). Echantillon…
Ce relevé, présenté chronologiquement, de quelques « bavures » significatives, commises entre le 27 décembre et le 10 janvier, ne porte pas sur les commentaires qui se présentent comme tels (et presque tous favorables à la version israélienne) n’est ni exhaustif, ni exclusif de reportages et d’analyses plus ou moins irréprochables que l’on a pu voir ou entendre par ailleurs.
27 décembre : « Plomb durci » contre « le Hamas »
Nous l’avons relevé d’emblée (« Médias en guerre (1) : Sous couvert de neutralité ») les motifs qu’invoque le gouvernement israélien (des « représailles »), les objectifs qu’il affiche (en finir avec les tirs de roquettes) et la cible qu’il prétend fixer à l’armée (le Hamas) sont enregistrés comme des informations indiscutables.
27 décembre 2008 à 20 h. Les titres du JT de TF1 nous apprennent qu’Israël « bombarde le Hamas à Gaza en représailles contre les tirs de roquettes ». Et comme il va de soi que les bombardements ne visent que le Hamas et n’atteignent que cette cible, TF1 peut affirmer, sans citer la moindre source : « L’opération israélienne de ce matin a touché avant tout des infrastructures de sécurité et des dépôts d’armement des islamistes du Hamas ».
Il faudra attendre quelques jours, quand l’aviation israélienne aura bombardé délibérément trois écoles de l’ONU, pour que les affirmations deviennent moins péremptoires : « Deux écoles touchées » [charmant euphémisme…] titrera France 2, « une école de l’ONU bombardée », précisera TF1 [1] : des titres subitement mis à la voix passive qui évitent de nommer le responsable ?
Le même jour, à la même heure, sur France 2, Marie Drucker reprend la même information : « Israël affirme ce soir qu’il n’y avait d’autre solution que la voie militaire. Israël qui a lancé ce matin des raids aériens massifs contre le Hamas à Gaza. ». Mais elle ajoute aussitôt : « Objectif affiché : en finir avec les tirs palestiniens de roquettes de ces dernières semaines », laissant entendre mais sans le dire qu’il pourrait y avoir d’autres objectifs. Encore un effort et l’information sera fournie avec le recul nécessaire !
Des « raids aériens massifs » qui, selon l’armée israélienne, ne viseraient que le Hamas, cela ne va pas sans « risques ». Mais lesquels ?
29 décembre : David Pujadas interroge
Le 29 décembre, David Pujadas reçoit Avi Pazner.. Auparavant, un sujet revient sur l’histoire du Hamas et conclut : « Les tirs de roquette sur les villages israéliens poussent le ministre de la défense Ehoud Barak à bombarder Gaza , ce qui n’est pas sans risque politique ». Le « risque », ou plutôt la certitude, de tuer un nombre conséquent de civils, n’a en effet pas dû peser bien lourd face au « risque politique » (de récupérer quelques points dans les sondages ?) : autant ne pas le mentionner.
David Pujadas pose alors trois questions à Avi Pazner. Trois questions qui permettront à ce dernier de détailler pendant près de deux minutes sa vision, parfaitement neutre, des opérations militaires que le gouvernement dont il est le porte-parole mène depuis trois jours. La première porte sur l’avenir de l’opération « Plomb durci », ce qui permet de ne pas évoquer son passif, notamment en termes de victimes civiles : « Est-ce que l’armée israélienne va entrer dans Gaza, se prépare à entrer dans Gaza ? ». La deuxième s’appuie sur un rappel dont on se demande le rôle exact : « Alors Monsieur Pazner, pensez-vous vraiment que la solution contre le Hamas dont la plupart des pays du monde s’accordent à penser qu’il s’agit bien d’un mouvement terroriste , pensez-vous que cette solution est militaire et uniquement militaire ? ». Quant à la troisième, qui épouse le point de vue israélien (« Mais Monsieur Pazner, est-ce qu’en augmentant la pression militaire sur le Hamas vous n’en faites pas encore plus un martyr, vous ne faites pas finalement son jeu ? », elle évite soigneusement la question de la « pression militaire » qui pourrait « martyriser » la population civile de Gaza.
29 décembre 2008 : Harry Roselmack comptabilise
Le 29 décembre, 16 minutes et 20 secondes après le début du journal, Harry Roselmack, se résout à « lancer » un premier « sujet » sur la situation à Gaza : « Les raids israéliens se sont poursuivis sur des édifices du Hamas et contre les forces de sécurité du mouvement palestinien . Le dernier bilan fait état de 345 morts parmi lesquels une cinquantaine de civils » Or le commentaire, dans le « sujet » qui suit, annonce : « les bombardements auraient fait plus de 340 morts dont une soixantaine de civils ». S’il est vain d’exiger un bilan « exact » – qui serait le même sur toutes les chaînes – dans un contexte où les informations contradictoires se succèdent, un bilan qui de toute façon ne veut pas dire grand-chose, on peut en revanche s’attendre à ce que les titres correspondent au moins aux propos tenus dans les reportages qu’ils annoncent. On objectera peut-être qu’il n’y a « qu’ »une dizaine d’écart. Une dizaine de morts civils. C’est-à-dire autant que les victimes civiles israéliennes en huit ans de « harcèlement » par le Hamas à Sderot, comme le rappelait par exemple un reportage de la veille (et bien d’autres) : « En huit ans, 700 roquettes se sont abattues sur la ville, faisant dix morts et 150 blessés ». En trois jours, combien d’obus sur Gaza ?
31 décembre : De même que… de même
Sur TF1, le 31 décembre 2008, à 20 heures, 22 minutes et 15 secondes après le début du journal, il est temps d’évoquer la situation à Gaza. Après quelques brèves informations et l’inévitable reportage à Sderot (voir notre article précédent), la transition « équilibrée » est toute trouvée : « Les frappes israéliennes se poursuivent, pour le cinquième jour, de même que les tirs de roquettes palestiniens sur le sol de l’Etat Hébreu. Ce matin une vingtaine d’engin ont explosé dans différentes localités israéliennes proches de la bande de Gaza. »
1er janvier 2009 : Roselmack interroge
Le 1er janvier 2009, le « 20 h » de TF1 diffuse une interview (enregistrée à l’ambassade d’Israël) de Tzipi Livni, ministre des Affaires Etrangères d’Israël, par Harry Roselmack, qui laisse libre court, pendant 2 minutes 40, à la propagande attendue. Comment pourrait-il en être autrement, quand la question la plus informée et la plus effrontée posée à une ministre directement responsable de la guerre que mène son gouvernement est la suivante : « Est-ce que la position, l’argument, de certains évoquant la disproportion des moyens et des bilans dans cette crise… est-ce que ces arguments-là vous les entendez et est-ce que vous en tenez compte ? » Sauf erreur ou omission de notre part, aucune « voix » palestinienne ne bénéficiera d’une interview similaire sur TF1.
2 janvier : Objectif affiché
Sur France 2, le 2 janvier, il est impossible d’évoquer les manifestations des Palestiniens à Jérusalem et dans les territoires occupés par Israël, sans le faire du point de vue du gouvernement israélien et des objectifs qu’il affiche : « Des milliers de Palestiniens sont descendus aujourd’hui pour soutenir les habitants de Gaza pris sous les bombes israéliennes. [...] Dans tout le territoire palestinien, les frères ennemis du Fatah et du Hamas ont même défilé côte à côte. C’est une conséquence de cette offensive d’Israël , en voulant assurer sa propre sécurité, le pays semble avoir ressoudé contre lui le peuple palestinien dans son ensemble.
6 janvier : Un premier chef d’œuvre de Jean-Pierre Pernaut
Ce jour-là, le journal est construit autour d’un fil conducteur : le froid et la neige, bien sûr . Mais ce qui est censé nous tenir en haleine, et ce qui fait périodiquement apparaître un sourire prometteur chez Jean-Pierre Pernaut, c’est le reportage sur Tahiti promis pour la fin du journal. Plus de 9 minutes après le début du journal, JPP rassure les téléspectateurs : il n’a pas fini de parler du froid. Et il leur promet de se réchauffer. Mais entre temps, entre le grand froid et le grand soleil, il faut bien parler d’autre chose :
- Jean-Pierre Pernaut : « Voilà. On reparlera du froid et de la neige tout à l’heure et on ira aussi se réchauffer [un sourire s’esquisse en promettant les alléchantes images] un petit peu comme tous les jours cette semaine à Tahiti. Venons-en maintenant à la situation toujours aussi préoccupante, très préoccupante, au Proche-Orient ».
L’examen de cette situation « préoccupante » et même « très préoccupante » ne préoccupe pas longtemps Jean-Pierre Pernaut qui lui consacre moins de temps qu’au seul reportage sur Bora Bora (qui s’inscrit dans une série de carnets de voyages), et deux fois de temps qu’aux reportages sur le froid et la neige en France qui occupent 14 minutes 24, soit 34 % du journal. Les effets de la météo et le tourisme à Bora Bora ne prennent que 50% de la durée du JT, et si l’on ajoute un reportage d’une longueur inhabituelle sur… le patois bourdonnais, on atteint le chiffre de 24’20, soit 60% du JT. C’est, en effet, « préoccupant, très préoccupant »…
6 janvier : « Bavure » ?
Le 6 janvier sur TF1 à 20 h, Laurence Ferrari interroge Denis Brunetti : « Est-ce qu’on peut dire que cette attaque qu’une école qui a fait 43 morts au moins parmi les civils palestiniens est la première grosse bavure de l’armée israélienne ? » Le délicat vocabulaire de la « bavure » est de retour… Il se répandra partout, notamment dans la presse écrite [2]
Le même jour France 2 est elle aussi saisie par le doute : « Faut-il parler de bavure militaire ? Il est encore trop tôt pour le dire ». Mais il est déjà trop tard pour s’apercevoir que le terme de « bavure » est parfaitement déplacé, que la version israélienne soit confirmée ou non. Plus généralement, ce sont tous les mots de la guerre qui se sont répandus : nous les avions, à propos de lainsi nomé « conflit israélo-palestinien », déjà relevés dès 2002 (« Les mots et les images (1) : Des mots innocents ? »), puis en 2007 (« 24 heures d’information ordinaire sur France Culture »), comme nous l’avons fait pour de nombreuses guerres depuis 1999 [3].
6 janvier : Laurence Ferrari s’inquiète
Ce même 6 janvier, sur TF1, il faut attendre 20h09 avant que Laurence Ferrari « s’inquiète » dans les termes suivants : « Situation très inquiétante qui ne cesse de s’aggraver à Gaza. La violence des combats frappe de plein fouet la population civile palestinienne prise au piège entre l’armée israélienne et les combattants du Hamas. L’illustration la plus terrible en a été le bombardement d’une école aujourd’hui. 43 personnes qui s’y étaient refugiées ont trouvé la mort. L’armée israélienne affirme avoir répliqué à des tirs de mortier. »
« Très inquiétant » : qu’en termes délicats, ces choses-là sont dites ! Si les mots ont un sens, il faut comprendre que la population civile palestinienne subit au même titre les combattants du Hamas et l’armée israélienne… qui l’enferme dans Gaza et bombarde ! Et les 43 victimes civiles seraient une « illustration ». Une « illustration » ! Et de quoi ? D’ un « piège » tendu avec le concours des « combattants » du Hamas, et non d’un bombardement de l’armée israélienne, dont la version est livrée sans recul.
7 janvier : Laurence Ferrari perçoit une lueur
Le 7 janvier, à 20 h, 21 minutes après le début du journal, Laurence Ferrari est moins inquiète que la veille : « A Gaza première lueur d’espoir aujourd’hui avec la trêve de trois heures qui a permis aux habitants de souffler un peu et de faire entrer de l’aide humanitaire. Autre signe encourageant, Israël se dit d’accord pour négocier un cessez-le-feu, proposé par Nicolas Sarkozy et le président égyptien Hosni Moubarak. »
Une « lueur d’espoir » ? Mais pour qui ? Pour une population civile martyrisée qui a « bénéficié » à Gaza-ville (et non sur toute l’étendue du territoire) non d’une « trêve », mais d’une suspension des bombardements, dont les associations humanitaires diront le jour même que sa durée est trop courte pour que l’aide parvienne effectivement à la population ? Un « signe encourageant » ? Comment dire cela alors que le gouvernement israélien s’est déclaré prêt à un cessez-le-feu, mais à des conditions qui le rendent impossible tant que l’opération « Plomb durci » ne sera pas achevée. Même pas une « lueur » puisque on apprend le jour même que l’invasion doit se poursuivre et même s’intensifier.
Le commentaire, dans le reportage qui suit, est du même acabit : « Les bombardements ont cessé pendant trois heures cet après-midi. Un répit durant lequel la population de Gaza a pu souffler, sortir dans les rues, et surtout s’approvisionner après quatre jours d’intenses opérations terrestres… L ’armée israélienne a décidé de cesser ses opérations de 13h à 16 h chaque jour dorénavant, pour permettre aux convois humanitaires de circuler. Geste de bonne volonté après la journée d’hier particulièrement meurtrière : la frappe contre une école aux couleurs des Nations-Unies a soulevé une vague de protestation internationale, malgré l’explication israélienne selon laquelle le site aurait servi de zone de tir au Hamas. »
Une vague de protestation sans objet donc, puisque l’armée israélienne a « expliqué »… et « explique » encore, par la voix d’un porte-parole que l’on entend à nouveau : « le Hamas se protège derrière des enfants dont il se sert comme bouclier humain. C’est inacceptable. Chaque fois qu’il y a des morts ils en sont responsables ». Les déclarations de l’ONU contredisant la version israélienne du bombardement de l’école ne sont manifestement pas des « explications », puisque TF1 ne juge pas utile d’en faire état.
Quant à la présentation des positions en présence sur l’éventualité d’un cessez-le feu, elle vaut son pesant d’ « équilibre » : « Pendant l’enterrement des victimes de l’école de Jabaliya, un représentant du mouvement islamique a refusé de soutenir pour l’instant l’initiative franco-égyptienne , un plan de cessez-le-feu qui doit selon lui clairement exiger le retrait des troupes israéliennes au préalable. De son côté le gouvernement Olmert, lui, l’a accueilli avec intérêt, suscitant une lueur d’espoir [image d’un soldat souriant sortant d’un char], à condition que le Hamas cesse ses tirs et que Gaza soit démilitarisée ». Les conditions mises par le Hamas équivalent à un « refus » ; les conditions mises par le gouvernement israélien n’altèrent pas « l’espoir » : information ou commentaire de parti-pris ?
7 janvier : Renaud Revel interroge…
Au cours de l’émission « J’ai mes sources » sur France Inter, le 7 janvier 2009, Renaud Revel interroge Olivier Rafowicz sur les conséquences de l’interdiction opposée par le gouvernement israélien à l’entrée de journalistes à Gaza. Des conséquences pour l’information ? Nenni. Pour les palestiniens ? Encore moins. Seulement sur l’avantage qui serait ainsi donné à la propagande du Hamas, au détriment de celle de l’Etat israélien :
- Renaud Revel : - « En interdisant les journalistes à pénétrer à Gaza, est-ce que vous ne prêtez pas le flanc à la propagande du Hamas , dans la mesure où si on va sur Internet aujourd’hui, internet regorge d’images effectivement des combats qui ont lieu en ce moment ? Et qui sont données notamment par le Hamas ?
- Olivier Rafowicz : - « Vous avez raison au niveau des images, des images qui sont propagées… Vous savez on a ici affaire à une politique médiatique d’un groupe islamiste intégriste. »
Dans une émission qui, selon sa présentation sur le site de France 2 prétend s’interroger sur le « monde complexe » des médias – « Les médias, tous les médias, rien que les médias » –, c’est ainsi qu’on interroge un porte-parole de l’armée israélienne, qui peut s’exprimer sans contradicteur et sans débat sur la « politique médiatique » du gouvernement qu’il représente.
8 janvier : Un second chef d’œuvre de Jean-Pierre Pernaut
Le 8 janvier, au 13h de TF1, après 17 minutes et huit sujets consacrés à la baisse des températures, Jean-Pierre Pernaut conclut, souriant devant les images d’une plage enneigée : « Un bien bel hiver comme on en rêvait depuis longtemps. ». Et enchaîne aussitôt, en se départissant à grand peine de son sourire : « Autre chose, plus sérieux , le conflit israélo-palestinien […] »
Reprenons avec lui : « Autre chose, plus sérieux, le conflit israélo-palestinien et un regain de tension après les espoirs de paix d’hier. » Les espoirs de paix ! Les bombardements se poursuivent, mais JPP découvre un simple « regain de tension ». Lequel ? La précision est donnée dès la phrase suivante : « Pour la première fois dans cette crise [sic], le Hezbollah a lancé des roquettes sur Israël depuis le Sud-Liban. Il y’a eu 5 blessés légers. », informe l’hivernal Jean-Pierre Pernaut qui introduit ainsi un « sujet » qui propose des informations totalement différentes : « Une personne a été légèrement blessée à la jambe , mais beaucoup ont été seulement choqués. Selon les premiers éléments, ces roquettes anciennes ne proviendraient pas du Hezbollah , mais d’un petit groupe palestinien installé au Liban. » [4]
Au cours du même JT, les téléspectateurs auront encore quelques informations sur les « objectifs » de l’armée israélienne : « Pour l’instant Israël maintient sa décision de suspendre ses opérations pendant 3 heures chaque après-midi, mais l’offensive générale elle continue avec pour objectif d’aller chercher les forces du Hamas partout où elles se trouvent. ». En revanche, aucune précision sur les effets de la suspension des opérations. Aucun mot sur le bilan des victimes.
8 janvier : Ferrari hiérarchise
Au 20h de TF1, 18 minutes après le début d’un journal dont les titres ne disent pas un mot du conflit, Laurence Ferrari lance un « sujet » dans lequel on apprend que l’agence de l’ONU chargé des réfugiés palestiniens (UNRWA) a « suspendu ses activités après que des obus eurent touché un de ses convois ». Le communiqué de l’ONU était nettement moins allusif, évoquant des « tirs israéliens contre un convoi », et expliquant que « des travailleurs humanitaires ont été la cible de l’armée israélienne ». Ban Ki Moon a d’ailleurs « condamn[é] l’attaque israélienne contre un convoi de l’ONU qui a fait au moins un mort », comme le précisera Ferrari après le reportage. Cette « attaque », la condamnation de celle-ci, et surtout la décision aux conséquences dramatiques qu’elle a entraînée n’en ont pas moins été traitées en deux phrases en tout et pour tout. Pourtant ce jour-là, les titres du journal annonçaient que François Fillon avait jugé « la situation inacceptable ». Mais il s’agissait des embouteillages marseillais. Il avait, ce même jour, jugé « la situation humanitaire à Gaza intolérable ». Mais on ne le saura que 17 minutes après le début du journal, dont une dizaine consacrée, inévitablement, au froid et à la neige…
8 janvier : Les « frappes » d’Elkkabach
Jean-Pierre Elkkabach, sur Europe 1, le 8 janvier 2009, interroge d’abord Jessica Pourraz, responsable de Médecins Sans Frontières à Gaza :
- Jean-Pierre Elkkabach : - « Mais, est-ce que les habitants de Gaza peuvent demander, ou pourraient demander, au Hamas d’arrêter les tirs de missiles qui ont provoqué les représailles d’Israël ? » Question d’autant plus suggestive de la prise de position hors de propos (mais tellement suggestive…) d’Elkkabach qu’elle s’adresse à une organisation non gouvernementale !
Jessica Pourraz pourra cependant, pendant quelques minutes, évoquer la situation humanitaire catastrophique à Gaza. Pour maintenir l’équilibre, après l’interview d’une responsable humanitaire qui refuse de répondre à toute question ayant une dimension politique (comme la précédente), Elkkabach s’entretient alors avec… Avi Pazner. Inutile de préciser que, comme sur TF1, aucune voix palestinienne n’aura, avant ou après, le privilège d’être interviewée dans cette émission. De cet entretien, on retiendra en particulier cet échange :
- Jean-Pierre Elkkabach : - « Est-ce que vous vous excusez ? Ou le gouvernement d’Israël présente des excuses pour ce qui s’est passé à l’école des Nations-Unies, Monsieur Pazner ? »
- Avi Pazner : - « Eh bien, je vais vous dire, Monsieur Elkabbach, ce qui s’est passé à cette école : le Hamas a placé une batterie de mortier dans cette école même , qui tirait sur nos troupes. Nos troupes ont répondu sans savoir qu’il y avait là-bas des civils . Nous regrettons… »
- Jean-Pierre Elkkabach : - « D’habitude… »
- Avi Pazner : - « Nous regrettons profondément la mort de civils innocents. Mais il faut bien comprendre que c’est le Hamas qui utilise ces civils comme boucliers humains. »
- Jean-Pierre Elkkabach : - « D’habitude, Tsahal vise mieux . […]. »
Un compliment, même sarcastique et indécent, vaut manifestement mieux que le démenti que Jean-Pierre Elkkabach, journaliste bien informé, aurait pu opposer aux mensonges éhontés d’Avi Pazner (voir notre article précédent).
10 janvier : Frédéric Barreyre informe
Le 10 janvier 2009, sur France Inter, Frédéric Barreyre évoque la situation à Gaza : « Cet après-midi, la trêve a été violée des deux côtés ». Comme s’il s’agissait d’une véritable « trêve » – qui supposerait un accord entre les deux parties en conflit… Comme si la décision unilatérale d’Israël de suspendre ses bombardements pendant trois heures n’avait pas concerné, du moins pendant plusieurs jours, la seule ville de Gaza (et non pas les quartiers périphériques), sans changement notable pour les populations civiles, comme le relevait déjà Médecins sans frontières… trois jours plus tôt [5], et comme aucun des JT ne l’a précisé. En « cet après-midi », seul Israël a « violé » ses engagements, comme du reste il l’avait fait la veille, selon la même source : des engagements dont on serait au moins en droit d’attendre que nos zélés informateurs se demandent s’ils ne sont pas une composante de la propagande de guerre.
Il est vrai que depuis deux cessez-le-feu distincts ont été annoncés – l’un d’Israël, l’autre du Hamas. La guerre n’est pas finie pour autant…
A suivre, hélas.
Henri Maler et Olivier Poche
- Grâce à la documentation recueillie et aux transcriptions réalisées avec Denis, Jamel et Raul.
Notes
[1] Sur le site de la chaîne. A l’antenne, on est encore plus allusif : « Tragédie humanitaire ». Notons qu’il faut additionner les deux JT pour disposer d’une information exacte : trois écoles bombardées On aimerait pouvoir en rire.
[2] Quelques exemples. Le 7 janvier, Ouest France relève « de nombreuses bavures ». Le 9 janvier 20 minutes.fr titre « Ces bavures qui commencent à saper l’offensive israélienne ». Et Le Monde, pourtant prompt à dénoncer les « crimes de guerre » du Hamas, de gémir dans un éditorial daté du 8 janvier et titré « Sinistre scénario » : « C’est toujours le même sinistre enchaînement : il faut attendre l’inévitable “grosse bavure”, et l’émotion qu’elle provoque, pour que les solutions diplomatico-humanitaires commencent à être envisagées. » On est prié de mettre entre guillemets les « grosses bavures » de l’éditorialiste anonyme du Monde…
[3] Guerre du Kosovo : « Bavures à Libération » ; Guerre d’Afghanistan : « Guerre des mots, mots de la guerre » ; Invasion de l’Irak : « Les mots de la guerre contre l’Irak ».
[4] Et sur le site de TF1, ce « sujet » est résumé ainsi : « Des tirs de roquettes du Liban sur le nord d’Israël fait planer jeudi le risque d’une escalade militaire à la frontière entre les deux pays. Le Hezbollah nie être à l’origine de ces tirs. » Un « regain » de précision !
[5] Lire, sur le site de MSF : « Gaza : “la trêve des bombardements, ça n’a aucun sens” ». Extrait des déclarations de Jessica Pourraz, responsable MSF dans le territoire palestinien : « La trêve ne change rien . La trêve n’apporte rien de différent. Elle n’a eu lieu que sur la ville de Gaza, pas dans les périphéries urbaines . Les chars ont commencé à rentrer dans les zones urbaines périphériques de Gaza-ville qui sont des quartiers comme Beit Lahya, Beit Hanoun, Sijaya, Zeïtoun. Il y a de plus en plus de civils blessés, c’est là qu’il faut aller chercher les blessés. Il ne faut pas se leurrer, la trêve n’aide en aucun cas le travail des humanitaires et l’accès des gens aux hôpitaux. »
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Gaza - Médias en guerre (1) : Sous couvert de neutralité
Publié le 6 janvier 2009 par Yves Rebours
Qu’ils le veuillent ou non, les médias sont toujours, volontairement ou pas, des acteurs des guerres qu’ils prétendent observer. Et force est de constater que la plupart des quotidiens nationaux (si l’on excepte L’Humanité) soutiennent explicitement la guerre israélienne que les médias de consensus (comme le sont les radios et les télévisions qui tentent de fédérer les publics les plus larges) soutiennent tacitement. Ce soutien peut être délibéré (même si cela ne va pas sans quelques contorsions) dans les éditoriaux de la presse écrite ; il est parfois plus ou moins involontaire quand l’information, sous couvert de neutralité, présente comme équivalents les adversaires en présence et, du même coup, privilégie le plus puissant d’entre eux.
Premier relevé du champ de bataille de l’information que des analyses plus précises viendront peu à peu étayer, préciser et, le cas échéant, modifier.
La plupart des médias ont commencé par présenter les bombardements israéliens contre Gaza comme des « représailles » contre la reprise des tirs de roquettes ou une riposte de « légitime défense » contre ces mêmes tirs. De l’aveu même des responsables israéliens (qui ont même fini par en convaincre quelques médias français), l’armée israélienne avait mis à profit la trêve pour préparer, non pas préventivement, mais offensivement les opérations militaires (tandis que le Hamas de son côté se préparait lui aussi à la rupture officielle de la trêve).
Variante : la plupart des médias ont présenté les bombardements comme une réponse à la rupture de la trêve par le Hamas. Or, de l’aveu même de quelques-uns de ces médias, la trêve n’a jamais vraiment eu lieu : non seulement les premières ruptures militaires sont venues de l’armée israélienne, mais le gouvernement israélien n’a jamais respecté les conditions de cette trêve, à commencer par la fin du blocus imposé à la population de Gaza.
Il n’empêche : épousant les premières déclarations du gouvernement israélien, la plupart des médias ont présenté les objectifs de l’offensive militaire israélienne comme une tentative de mettre un terme aux tirs de roquettes et, pour cela, de détruire l’infrastructure militaire du Hamas. Or, de l’aveu même de responsables du gouvernement israélien, c’est l’existence même du Hamas et de l’autorité qu’il exerce à Gaza qui est visée. Mais il fallut plusieurs jours de bombardements pour que quelques médias français finissent par s’en rendre compte.
Il n’empêche : épousant encore les déclarations du gouvernement israélien, la plupart des médias ont présenté les cibles les bombardements comme des cibles militaires, mais ils ont soigneusement gardé pour eux le fait que pour l’armée israélienne tous les membres et sympathisants du Hamas sont des militaires (qu’il s’agisse de ceux qui agissent comme tels, de la police ou plus simplement de sympathisants sans armes) et, que pour ces mêmes militaires, toutes les infrastructures administratives et civiles de Gaza sont des repères d’islamistes.
Il n’empêche : la plupart des médias, dès le début, ont affecté de croire que les bombardements israéliens n’ont fait qu’accidentellement des victimes civiles… Ainsi s’établirait – c’est un distinguo qu’affectionne le gouvernement israélien – la différence entre le terrorisme du Hamas et la guerre d’Israël. Or même si les victimes civiles ne sont pas intentionnellement visées, c’est intentionnellement que sont menées des opérations militaires qui les rendent inévitables. Un massacre n’est pas une « bavure » : la plupart des médias français peinent manifestement à l’admettre, même quand ils finissent par s’inquiéter des risques d’une « catastrophe humanitaire ».
De même, le blocus imposé à Gaza par le gouvernement et l’armée israéliens relève des actes (et même des actes de guerre) qui visent délibérément la population civile que l’on tente ainsi de désolidariser du Hamas. Le blocus, pendant 18 mois, a sans doute fait plus de victimes civiles (y compris de morts prématurées) que les tirs de roquettes. Dire cela, ce n’est en rien justifier la fin poursuivie et les moyens employés par le Hamas : c’est énoncer un simple fait.
Il n’empêche : Le Monde qui ajuste régulièrement le droit international à ses convictions, a pu, dans un éditorial, réserver aux effets des tirs du Hamas l’accusation de « crimes de guerre »… et réserver quelques larmes aux victimes palestiniennes. Et la plupart des médias français d’expliquer ou de laisser entendre qu’il fallait distinguer entre les victimes fâcheuses du blocus et des opérations de l’armée israélienne et les victimes innocentes des actions du Hamas. Quant à s’alarmer de la formidable différence du nombre des victimes, ce serait sans doute nuire à la clarté des distinctions juridiques ou morales !
Ainsi, avant même que ne commencent « les opérations terrestres » (comme on dit pour éviter d’avoir à parler d’une invasion) des informations étaient taillées à la mesure des commentaires. Or ceux-ci, dans la plupart des quotidiens nationaux ont déploré, pour reprendre le langage des plaidoiries diplomatiques, un « usage disproportionné de la force », en condamnant non seulement la politique du Hamas, mais aussi, comme ils l’ont toujours fait par le passé, toute résistance des Palestiniens, et en adressant au gouvernement israélien les admonestations morales et les conseils politiques dont il ne tient aucun compte depuis soixante ans.
Pourtant, Laurent Joffrin, dès le 29 décembre, était déjà inquiet d’une éventuelle dégradation de la « supériorité morale » d’Israël (sic) [1].
C’était avant l’invasion de Gaza…
A suivre, hélas.
Yves Rebours
PS. Une fois n’est pas coutume : cet article sera peut être complété ou modifié ultérieurement. Titre complété le 11-01-2009.
Gaza – Médias en guerre (2) : De sources bien informées ?
Publié le 12 janvier 2009 par Henri Maler, Olivier Poche
Dans un précédent article – « Médias en guerre (1) : Sous couvert de neutralité » - nous avons effectué un premier relevé du champ de bataille de l’information, avant que les bombardements de l’armée israélienne sur Gaza ne soient soutenus par une invasion terrestre. Depuis, à grands renforts de reportages déséquilibrés et d’informations mal regardantes sur les sources, la plupart des médias ont confirmé qu’ils sont toujours, volontairement ou pas, des acteurs des guerres qu’ils prétendent observer...
...Et dans le cas présent, trop souvent, des auxiliaires du plus puissant d’entre eux quand, dans (l’innocente ?) intention de respecter un impartial – et toujours virtuel – équilibre, ils maltraitent, effacent, voire renversent des déséquilibres bien réels. Peut-être que, comme le déclare un gradé israélien, « pour mener une bonne guerre, il faut garder les journalistes à l’écart [1]. » Il paraît encore plus sûr de les garder dans son propre camp.
Où sont les caméras ?
Les principales chaînes de télévision françaises ne disposent d’aucun correspondant permanent à Gaza, à l’exception de Talal Abou Rahmeh, journaliste reporter d’images (JRI) palestinien qui travaille avec Charles Enderlin pour France 2, et de Radjaa Abou Dagga, correspondant de France 24 (qui intervient occasionnellement sur France 3). Jusqu’a ce jour, la quasi-totalité des envoyés spéciaux des chaînes françaises ne peut pas accéder à Gaza. Dans ces conditions, quels reportages et quelles enquêtes les télévisions peuvent-elles effectuer, si l’on excepte les reportages, balisés par l’armée israélienne, effectués dans les villages israéliens placées sous les tirs des roquettes du Hamas ?
L’effet de cette exception est garanti. La prétendue recherche d’une information équilibrée se traduit par une présentation totalement asymétrique des risques encourus par les populations civiles : une présentation qui ne tient aucun compte (même si l’on tient à jour une macabre comptabilité) de la disproportion écrasante de l’ampleur des destructions et du nombre des blessés et des morts. Mais surtout ces enquêtes, presque totalement unilatérales en l’absence quasi-complète de témoignages directs des Palestiniens de Gaza, accréditent, qu’on le veuille ou non, la légitimité de la guerre israélienne.
Un exemple, qui commence à se donner pour ce qu’il est, notamment sous l’effet de la « frustration » des journalistes coincés aux portes de Gaza : Sderot.
Le 8 janvier, un article du Monde – « La presse, tenue à distance, rumine sa frustration » – décrit les conditions de travail des journalistes retenus à la frontière avec Gaza, et notamment à Sderot : « Vidées de ses habitants qui se claquemurent dans leur maison, les rues de la ville ont été transformées en un "journalistland" géant. Les vieux routiers des conflits y traînent leur désœuvrement au milieu d’une nuée de porte-parole de l’armée et du gouvernement israélien à l’affabilité insistante. » Mais que nous importe, au fond, la « frustration » des journalistes, quand on mesure les conséquences de ce prétendu « désœuvrement » ?
Entre le 27 décembre et le 4 janvier, les téléspectateurs de TF1 ont profité de la visite guidée de Sderot, à cinq reprises, (trois fois dans le 20 heures, deux fois dans le 13 heures), avant de s’apercevoir, si toutefois ils lisent Le Monde, que cette fréquence ne relève pas tout à fait du pur hasard.
Premier reportage, le 28 décembre : notre vaillant reporter suit un charmant grand-père le guidant dans une visite qui semble assez rodée : la toute première maison touchée par les roquettes, des familles « terrorisées », puis le musée des roquettes – comme dans le « Gaza Border Tour » évoqué dans l’article du Monde [2]. Comme l’annonçait le journaliste en ouvrant le sujet, l’attaque israélienne est pour les habitants qu’il rencontre « un soulagement pour les 15000 habitants de Sderot » : « Après huit ans d’attaques, je suis soulagé. Merci Ehud Barak, notre ministre de la défense, il a enfin fait ce qu’il fallait faire. On attendait cela depuis longtemps. ». Une prise de position que ne viendra pas tempérer la prise de position des pacifistes qui, eux, ne sont malheureusement pas au programme du « Gaza Border Tour » (mais dont un article de Benjamin Barthe, paru dans Le Monde du 7 janvier décrit fort bien le désarroi, sous le titre : « Au kibboutz Saad, près de Sderot, la colère et le désespoir de l’association "Une autre voix" »).
Second reportage, le 31 décembre, le seul du jour consacré à la situation au Proche-Orient, intitulé « vivre sous les tirs à Sderot ». Un reportage en toute liberté, sans doute grâce au « jeune [et sympathique] soldat qui nous accompagne… », et avec qui on vit une alerte en direct. Dialogue :
- « Ça peut être combien de fois par jour ? »
- « Ça peut être très … 60 fois, 10 fois, 14 fois… C’est épuisant. »
Puis c’est un couple avec « Shirel, leur fille de cinq mois », qui vit dans la peur. « La petite doit subir des examens médicaux, mais les tirs de Qassam les dissuade de toute sortie : “ Je ne veux pas que ma fille grandissent dans des conditions pareilles, qu’elle subisse la peur et l’anxiété” ». En attendant de pouvoir ressortir, ils ne consomment plus que du surgelé » (preuve par l’image). On termine avec un entrepreneur qui veut aller « plus loin » dans l’offensive pour « les mettre à genoux ».
Est-ce parce qu’il n’existe aucun autre sujet de reportage disponible en provenance de Gaza ? Est-ce parce qu’on ne se lasse pas de reproduire quasiment les mêmes ? Toujours est-il qu’un troisième reportage, le 4 janvier, sera consacré à un thème original : « Vivre à Sderot, sous les tirs de roquettes ». Alertes, maison détruite… Et on termine sur un habitant qui s’interroge : « Tout le monde dit dans le monde que ce que fait Israël à Gaza ce n’est pas bien, que l’armée israélienne n’a pas le droit. Pourquoi ne viennent-ils pas là, pour connaître ce que l’on ressent ? ».
Pourtant, pendant plusieurs jours, seuls ou presque les Israéliens menacés par les roquettes du Hamas ont pu témoigner directement des souffrances qu’ils endurent (et qu’il n’est pas question de nier), alors que celles des Palestiniens restent presque totalement privés de mots recueillis par des journalistes. Il est possible que, contrairement au vœu exprimé par l’ habitant de Sderot, TF1, comme les autres, ne « vienne » pas là pour comprendre pourquoi l’armée israélienne « a le droit » de faire la guerre à Gaza. Mais comment ne pas voir que, dans la « configuration » médiatique du conflit, la répétition de ces reportages sert au mieux les objectifs et la politique d’Israël, qui d’ailleurs les encourage et les facilite par tous les moyens.
Dire cela, ce n’est en rien justifier la fin poursuivie et les moyens employés par le Hamas : c’est énoncer un simple fait. Un fait reconnu par certains journalistes comme ce journaliste de RTL qui selon l’article du Monde déjà cité, déclare : « Nous sommes des journalistes captifs. Pendant que les gamins du camp de Jabaliya [site d’un bombardement israélien qui a fait quarante morts, mardi 6 janvier] se font massacrer, les médias parlent de ceux de Sderot qui collectionnent les morceaux de Qassam. C’est tout bonus pour Israël. ».
D’où cette simple question : pourquoi accepter de tourner ces reportages tant que l’armée israélienne refuse de laisser les journalistes enquêter à Gaza ?
Selon les comptages effectués par le site d’Arrêt sur images (lien payant), les 20h de TF1, France 2 et France 3, entre le 27 décembre et le 5 janvier, ont ainsi proposé 6 reportages intégralement consacrés aux civils israéliens, contre 2 aux civils palestiniens. Cette disproportion est encore plus prononcée, si l’on prend en considération les JT de 13h. Selon notre propre relevé, sur TF1, le rapport est de 5 contre 1, et même de 6 contre 1 en tenant compte d’un reportage de deux minutes consacré à la famille de Gilad Shalit [3] diffusé au 20h du 2 janvier, par ailleurs seul reportage du jour consacré au "conflit" en cours. Sur l’ensemble de la période considérée, un seul reportage consacré aux civils palestiniens, diffusé uniquement au 20h, met en scène, sans le moindre propos politique, une famille relativement aisée de Gaza (comme nous l’apprend un reportage… de France 2 où le même couple franco-palestinien est interrogé [4]) et peu représentative par conséquent de la situation vécue par la majorité des Gazaouis. Et si l’on ajoute France 2, on atteint en tout 10 reportages contre 2 – là encore, le 13h ayant jugé bon d’évoquer Sderot, mais pas Gaza.
Peut-être faut-il faire crédit, sous réserve d’examen de leur contenu, aux auteurs des reportages « du côté israélien » de ne pas contribuer délibérément à la propagande de guerre de l’Etat-major israélien : le déséquilibre global de l’information n’est pas de leur fait ou de leur seul fait. Peut-être faut-il, également, faire crédit aux responsables de l’information de TF1 ou de France 2 de l’absence de volonté de privilégier le point de vue des officiels et des témoins israéliens : il n’en resterait pas moins qu’informer à partir des données disponibles – des reportages du côté israélien et, pour l’essentiel, des images de source fréquemment indéterminée du côté de Palestiniens de Gaza – sans s’interroger sur leur source et leur sens se traduit par une distorsion telle de l’information qu’elle constitue une forme de désinformation.
Tout se passe comme si l’inconscient journalistique des responsables de rédaction et de certains journalistes leur dictait de produire l’information en fonction de l’emplacement des équipes de reportages. Et l’on peut même supposer que cet inconscient n’est pas mis au service d’une volonté délibérée ; les procès d’intention ne sont pas indispensables quand la critique en irresponsabilité suffit : les effets sont pratiquement les mêmes.
Encore ne s’agissait-il que d’un aspect de l’information télévisée avant l’invasion terrestre de Gaza par l’armée israélienne…
D’où proviennent les informations ?
Faute de moyens pour recueillir directement à Gaza les informations sur Gaza, la plupart des médias en sont réduits à accueillir, sans pouvoir les recouper et les vérifier, des informations des sources les plus diverses, généralement mentionnées et, souvent, avec les précautions d’usage. Mais des précautions manifestement très insuffisantes quand on constate :
- Que les déclarations et informations de source israéliennes sont infiniment plus nombreuses que les informations et déclarations émanant des forces palestiniennes, comme si les secondes étaient par définition plus frelatées que les premières.
- Que les informations en provenance d’Al Jazeera, seul média présent à Gaza ne sont pratiquement jamais reprises, même avec précaution, comme si elles étaient par définition dénuées de fondement [5].
- Que les informations en provenance des agences de l’ONU et des associations humanitaires sont traitées avec autant de précautions que celles qui émanent du gouvernement et de l’armée israélienne, comme si elles étaient également sujettes à caution.
- Que, par conséquent et par contraste, même livrées avec prudence, les informations de source israélienne bénéficient de facto d’un surcroît d’exposition et de légitimité, même si le crédit relatif qui leur est accordé n’est pas intentionnel et peut partiellement s’expliquer par la plus grande proximité des journalistes occidentaux avec les sources officielles israéliennes : proximité culturelle, linguistique, géographique (pour les correspondants permanents qui résident en général en Israël pour couvrir le conflit… israélo-palestinien),…voire personnelle ? [6]
Faute d’une présence massive de journalistes à Gaza (et, ajoutons-le, de journalistes suffisamment indépendants et idéologiquement divers), les seules informations qui soient peu soupçonnables d’être conditionnées par la propagande de guerre émanent des organismes de l’ONU et des associations présentes sur place. Et pourtant, si les déclarations des autorités israéliennes sont régulièrement reprises et données à l’antenne, c’est loin d’être le cas des sources « humanitaires ».
Ainsi, le bombardement, le 6 janvier, des trois écoles de l’ONU où s’étaient réfugiés des civils palestiniens a été largement médiatisé [7]. Or, en raison du nombre de morts et de blessés qu’elle a provoqué, l’attaque contre l’école de Jabaliya a bénéficié d’une « couverture » qui a éclipsé d’autres informations non moins significatives.
- D’abord l’information sur les bombardements de deux autres écoles à Gaza et Khan Younès (sud) a été minimisée. Ce sont ces bombardement, semble-t-il, que mentionne fugitivement, une reportage de Michel Scott au 13h de TF1 : « […] une chose est sûre, deux écoles, gérées par l’ONU, l’une ici dans le sud du territoire palestinien, l’autre à Gaza ville, dans le nord, ont été touchées ce matin. Cinq palestiniens au moins y ont été tués sans que l’on sache s’il s’agit de civils ou de combattants. » Informations classées sans suite… Le 20 heures de France 2 évoque ces bombardements en une seule phrase – et quelle phrase : « L’armée israélienne n’a pas confirmé deux autres bombardements sur des établissements de l’ONU au cours des douze dernières heures ». Ou comment soumettre une information (de l’ONU) à la confirmation (de l’armée israélienne) - et comme si cette confirmation était indispensable à l’établissement de la vérité.
- La destruction, la veille, de trois cliniques mobiles de la Croix rouge [8], sauf erreur ou omission de notre part, n’a pas ou peu été diffusée par les médias… alors qu’il semble pour le moins difficile de la justifier par la présence de militants du Hamas [9].
Mais surtout la présentation du massacre de Jabaliya et de la controverse qu’il a suscitée en dit long sur le privilège relatif accordé aux sources israéliennes
La réaction du gouvernement et de l’armée israélienne n’a en effet pas tardé, affirmant que les Israéliens avait essuyé des tirs en provenance de cette école, que la destruction avait été provoquée par une explosion interne qui pourrait être celle d’un dépôt d’armes et, plus généralement, que les combattants du Hamas se servaient des civils comme boucliers et avaient l’habitude de s’abriter dans des édifices, notamment onusiens, occupés par des civils.
Le lendemain, l’agence de l’ONU pour l’aide aux réfugiés palestiniens (Unrwa) a contredit cette version, en affirmant notamment, par la bouche de son porte-parole, être sûre « à 99,9% qu’il n’y avait ni activistes ni d’activités militaires dans l’école » [10]. Or nombre de médias qui la veille avaient fait état de la version israélienne, n’ont pas tous, loin de là, fait état de ce démenti.
Ainsi, les téléspectateurs de TF1 n’en auront aucun écho. On leur resservira au contraire le réchauffé de la veille, un réchauffé qui commence à avoir un très mauvais goût. Le journaliste évoque en effet la « lueur d’espoir » que constitue l’arrêt pendant trois heures des bombardements : « Geste de bonne volonté après la journée d’hier particulièrement meurtrière : la frappe contre une école aux couleurs des Nations-Unies a soulevé une vague de protestation internationale, malgré l’explication israélienne selon laquelle le site aurait servi de zone de tir au Hamas . » Comme si « l’explication israélienne » était au dessus de tout soupçon et aurait dû suffire à contenir une « vague de protestation », que le micro à nouveau tendu à un porte-parole de l’armée israélienne achève de rendre injustifiable : « le Hamas se protège derrière des enfants dont il se sert comme bouclier humain. C’est inacceptable. Chaque fois qu’il y a des morts ils en sont responsables ». Point final. Du moins pour TF1 au sommet de son art.
Or même en diffusant l’information sur les bombardements d’écoles et les deux versions – onusienne et israélienne - en présence, nombre de médias l’ont présentée comme si sa source onusienne était, par nature, aussi peu crédible qu’une source militaire. Le 20h de France 2, à cet égard, est exemplaire : « la polémique rebondit : les établissements gérés par les Nations-Unies abritaient-ils des membres du Hamas ? "Oui", dit Israël. "Quasi impossible", répond l’ONU ». Suit deux interventions de même longueur, celle du porte-parole de l’UNRWA, celle de la porte-parole de l’armée israélienne.
Variante, avec un soupçon de malhonnêteté en plus : tenter de concilier les deux version. Ainsi, sur le site du figaro.fr, sous le titre « Gaza/école : l’ONU veut une enquête », on pouvait lire le 7 janvier une dépêche d’Associated Press qui après avoir mentionné la certitude à 99,99% de l’UNRWA, ajoutait : « Cette affirmation ne contredit pas nécessairement l’affirmation israélienne selon laquelle les militants du Hamas lançaient leurs attaques à proximité de cette école . » Or les autorités israéliennes n’affirmaient rien de tel. Ainsi le porte-parole du gouvernement israélien, Mark Regev avait d’abord déclaré : « Les premiers éléments dont nous disposons est qu’il y a eu des tirs hostiles contre une de nos unités depuis le bâtiment de l’ONU . Notre unité a répondu. ».
De surcroît, le très scrupuleux exercice d’équilibre dans le traitement des sources a conduit nombre de médias à omettre, consciencieusement d’autres informations, disponibles sur le site de l’ONU, comme celle-ci : « Près de 15.000 personnes sont en ce moment à l’abri dans des locaux des Nations Unies à Gaza, notamment dans 20 écoles qui servent de sanctuaire parce que la population ne peut fuir le territoire palestinien, a ajouté le Secrétaire général. John Ging a dit que l’armée israélienne avait reçu les coordonnées GPS de tous les bâtiments des Nations Unies, y compris les écoles, et qu’elles avaient été mises à jour récemment . Il a appelé à l’ouverture d’une enquête. A cet égard, le Secrétaire général s’est dit « profondément consterné qu’en dépit de ces efforts répétés ces tragédies aient eu lieu. ». En réponse à une question d’un journaliste, le Coordonnateur de l’Unrwa a précisé que les militants palestiniens n’avaient pas violé l’immunité des bâtiments des Nations Unies et qu’il serait inacceptable qu’ils le fassent. » On ne peut imaginer plus clair démenti aux allégations du porte-parole du gouvernement israélien, qui ont été rapportées ainsi : « “Il y a eu ensuite des explosions, sans commune mesure avec l’artillerie que nous avons utilisée”, a-t-il ajouté, soulignant que les “spéculations” étaient possibles sur la raison de ces explosions, en allusion à la présence d’explosifs dans l’école. Il a aussi souligné que dans le passé les groupes armés palestiniens avaient utilisé des bâtiments de l’agence de l’ONU pour les réfugiés (Unrwa) à Gaza pour mener des attaques ou stocker des armes. ».
Certes, en l’absence d’une enquête indépendante, les faits ne sont pas totalement établis. Mais à quelle version accorder le plus de crédit, même provisoire : à celle de l’ONU ou à celle d’un gouvernement en guerre ? Les placer sur le même plan, c’est déjà participer à la propagande – inévitable – de ce dernier, alors qu’aucun doute n’est permis sur l’essentiel.
Aucun média, à notre connaissance, n’a évoqué une éventuelle justification, par l’armée israélienne, de la destruction de cliniques mobiles de la Croix-Rouge (mentionnée plus haut et généralement omise) par la présence de combattants du Hamas. Et pour cause. Mais surtout l’affirmation selon laquelle les bâtiments de l’ONU pourraient abriter de tels combattants comporte, malgré elle, une information de première importance qui n’a pas été relevée. Supposons un instant que des militants du Hamas étaient réfugiés dans l’Ecole de l’ONU bombardée par cette armée que la plupart désigne affectueusement sous le nom de « Tsahal », il en résulterait, de l’aveu même des responsables israéliens, cet autre fait : l’armée israélienne bombarde délibérément des cibles qui abritent majoritairement des civils dès lors que, à ses yeux, ces abris servent également de refuge à des hommes en armes. N’est-ce pas une information ? Pourquoi n’a-t-elle pas, en général, été diffusée comme telle ? Pour ne pas avoir à appeler des massacres par leur nom ?
A suivre, hélas…
Henri Maler et Olivier Poche
- Grâce à la documentation réunie avec Denis, Jamel, Marie-Anne et Raul.
PS. Une fois n’est pas coutume : cet article sera peut être complété ou modifié ultérieurement
Notes
[1] Général de réserve Doron Almog, cité par Le Monde daté du 09/01/09.
[2] « Sur la porte d’entrée du centre social qui tient lieu de salle de presse, une note indique le nom des officiels de permanence et les langues étrangères qu’ils parlent. Anglais, allemand, français, espagnol, portugais et même luxembourgeois ! A l’intérieur, un paquet de brochures résume les activités proposées par The Israel Project, l’un de ces organismes privés financés par la diaspora juive américaine, qui, sous couvert de services à la presse, mouline la bonne parole du gouvernement. Au menu du jour, le "Gaza Border Tour". Une excursion qui passe par le "musée des Qassam", l’entrepôt où sont entassés les reliquats de toutes les roquettes tirées sur la ville (causant la mort d’une dizaine de personnes). » (Le Monde daté du 9 janvier). Outre cet article du Monde, on peut consulter aussi un article d’arrêt sur images (lien payant) sur les activités de l’association The Israel Project, qui, entre autres, fournit aux journalistes la liste des victimes des roquettes du Hamas, avec numéro de portable, langue(s) parlée(s), etc.
[3] Soldat israélien détenu par le Hamas. Ce reportage n’a pas d’équivalent de "l’autre côté", alors qu’il ne paraît pas impossible de trouver des familles de combattants palestiniens emprisonnés en Israël.
[4] Le reportage précise que cette famille vit dans les « quartiers chics » et la montre dans une tentative – infructueuse- de quitter Gaza
[5] Télérama du 7 janvier 2008 rapporte et commente ainsi les propos d’un journaliste à propos d’Al Jazeera, : « “ Comme elle dispose sur place d’une véritable rédaction coordonnée, elle peut répartir les sujets, couvrir des angles différents, rendre compte des différents aspects de la vie quotidienne des Gazaouis” , estime Alexis Monchovet. Problème : ses images sont exclusives, et les chaînes françaises n’ont pas forcément les moyens de les acheter. Sans compter l’accusation de partialité qui ne manquerait pas de leur tomber dessus si elles utilisaient une telle source. Pourtant, elles diffusent allègrement les images fournies par l’armée israélienne… »
[6] C’est ce que semble indiquer cette réaction échappée à Frédéric Barreyre sur France inter le 7 janvier, quand Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée israélienne, rejette la responsabilité des bombardements d’écoles : « quelque part faut aussi que la presse se demande et demande aussi au Hamas, puisqu’ils nous demandent à nous israéliens, pourquoi le Hamas utilise des installations humanitaires et de l’ONU comme base de tir. Quelque part faut aussi enlever la naïveté… » Frédéric Barreyre l’interrompt : « Olivier, Olivier, Olivier, laissez-nous entrer ! Olivier , laissez-nous entrer ! On ira leur demander. »
[7] A titre d’exemple, voici la version proposée par le site du Nouvel Observateur : « Mardi [6 janvier], trois écoles gérées par l’agence de l’ONU d’aide aux réfugiés (Unrwa), où des dizaines de civils s’étaient réfugiés, ont été bombardées. L’attaque la plus meurtrière, à Jabaliya (nord), a tué 43 Palestiniens, selon les services d’urgences palestiniens. L’ONU, dans un communiqué, a fait état de 30 morts et 55 blessés. Cinq autres personnes ont trouvé la mort dans des attaques contre deux écoles de l’ONU à Gaza et Khan Younès (sud), alors qu’au moins 12 membres d’un même clan familial, dont sept enfants, ont péri dans le bombardement de leur maison à Gaza, selon des sources médicales. »
[8] « Trois cliniques mobiles, clairement marquées du signe de la croix rouge et parquées dans les locaux d’une organisation médicale, ont été détruites par l’aviation israélienne dans la nuit du 5 janvier. « Nous avons été en mesure d’aider les blessés jusqu’à présent parce que nos véhicules étaient à l’intérieur de Gaza. Cette capacité d’assistance en urgence est maintenant détruite. Nous sommes profondément choqués que ces bombardements israéliens empêchent les efforts de l’aide humanitaire », déclare Henrik Stubkjær, secrétaire général de DanChurchAid ». Source : Communiqué DanChurchAid, 6 janvier 2009. Paru sur le site de Contreinfos.
[9] Il en va de même du bombardement dont fait état Michel Scott dans le sujet déjà mentionné du JT de 13 h du 6 janvier sur TF1 : « […] des secouristes du Croissant Rouge ont même été visés, comme le raconte cette activiste étrangère [sic], l’une des rares encore présents à Gaza : "Nous étions bien visibles, quatre ambulances qui se rendaient vers le lieu d’une frappe aérienne. Et pourtant le F16 est revenu et a tiré sur la même maison. C’est un miracle si nous sommes encore tous en vie." »
[10] A titre d’exemple, sur le site du Nouvel Observateur, sous le titre sans équivoque « Pas de combattant dans l’école de l’Onu dans l’Ecole attaquée » : « L’ONU a démenti mercredi 7 janvier la présence de combattants palestiniens dans une école qu’elle gère dans la bande de Gaza, où plus de 40 personnes ont été tuées la veille dans une attaque israélienne. Israël a affirmé avoir tiré à l’artillerie en direction de l’école où, selon lui, des combattants palestiniens s’étaient positionnés pour tirer des obus de mortier contre ses forces qui mènent une offensive sans précédent contre le mouvement islamiste Hamas. "Suite à une enquête préliminaire, nous sommes sûrs à 99,9% qu’il n’y avait ni activistes ni d’activités militaires dans l’école", a affirmé à l’AFP Chris Gunness, le porte-parole de l’agence de l’ONU pour l’aide aux réfugiés palestiniens (Unrwa)."Nous appelons à une enquête indépendante. Si les lois de la guerre ont été violées, les coupables devront être présentés à la justice", a-t-il ajouté. »
Gaza – Médias en guerre (3) : « Bavures » audiovisuelles
Publié le 19 janvier 2009 par Henri Maler, Olivier Poche
Au moment où cet article paraît, la plupart des médias ont, depuis plusieurs jours, amorcé de légères inflexions dans le traitement de l’invasion israélienne de Gaza : critiques acerbes du blocus imposé aux journalistes interdits de séjour à Gaza par l’armée israélienne, constats moins édulcorés des crimes perpétrés par cette même armée, etc. Et l’annonce, le 18 janvier, d’une trêve d’une semaine par le Hamas et d’un cessez-le-feu israélien contribuera à effacer les traces du traitement médiatique pendant les semaines qui ont précédé.
Raison supplémentaire de lutter contre l’amnésie par le rappel de quelques prouesses : la désinvolture des présentateurs et des interviewers, l’adoption, notamment par le vocabulaire employé, du point de vue israélien sur les raisons et les objectifs des bombardements et de l’invasion (ainsi que sur les résultats escomptés et les risques encourus). Echantillon…
Ce relevé, présenté chronologiquement, de quelques « bavures » significatives, commises entre le 27 décembre et le 10 janvier, ne porte pas sur les commentaires qui se présentent comme tels (et presque tous favorables à la version israélienne) n’est ni exhaustif, ni exclusif de reportages et d’analyses plus ou moins irréprochables que l’on a pu voir ou entendre par ailleurs.
27 décembre : « Plomb durci » contre « le Hamas »
Nous l’avons relevé d’emblée (« Médias en guerre (1) : Sous couvert de neutralité ») les motifs qu’invoque le gouvernement israélien (des « représailles »), les objectifs qu’il affiche (en finir avec les tirs de roquettes) et la cible qu’il prétend fixer à l’armée (le Hamas) sont enregistrés comme des informations indiscutables.
27 décembre 2008 à 20 h. Les titres du JT de TF1 nous apprennent qu’Israël « bombarde le Hamas à Gaza en représailles contre les tirs de roquettes ». Et comme il va de soi que les bombardements ne visent que le Hamas et n’atteignent que cette cible, TF1 peut affirmer, sans citer la moindre source : « L’opération israélienne de ce matin a touché avant tout des infrastructures de sécurité et des dépôts d’armement des islamistes du Hamas ».
Il faudra attendre quelques jours, quand l’aviation israélienne aura bombardé délibérément trois écoles de l’ONU, pour que les affirmations deviennent moins péremptoires : « Deux écoles touchées » [charmant euphémisme…] titrera France 2, « une école de l’ONU bombardée », précisera TF1 [1] : des titres subitement mis à la voix passive qui évitent de nommer le responsable ?
Le même jour, à la même heure, sur France 2, Marie Drucker reprend la même information : « Israël affirme ce soir qu’il n’y avait d’autre solution que la voie militaire. Israël qui a lancé ce matin des raids aériens massifs contre le Hamas à Gaza. ». Mais elle ajoute aussitôt : « Objectif affiché : en finir avec les tirs palestiniens de roquettes de ces dernières semaines », laissant entendre mais sans le dire qu’il pourrait y avoir d’autres objectifs. Encore un effort et l’information sera fournie avec le recul nécessaire !
Des « raids aériens massifs » qui, selon l’armée israélienne, ne viseraient que le Hamas, cela ne va pas sans « risques ». Mais lesquels ?
29 décembre : David Pujadas interroge
Le 29 décembre, David Pujadas reçoit Avi Pazner.. Auparavant, un sujet revient sur l’histoire du Hamas et conclut : « Les tirs de roquette sur les villages israéliens poussent le ministre de la défense Ehoud Barak à bombarder Gaza , ce qui n’est pas sans risque politique ». Le « risque », ou plutôt la certitude, de tuer un nombre conséquent de civils, n’a en effet pas dû peser bien lourd face au « risque politique » (de récupérer quelques points dans les sondages ?) : autant ne pas le mentionner.
David Pujadas pose alors trois questions à Avi Pazner. Trois questions qui permettront à ce dernier de détailler pendant près de deux minutes sa vision, parfaitement neutre, des opérations militaires que le gouvernement dont il est le porte-parole mène depuis trois jours. La première porte sur l’avenir de l’opération « Plomb durci », ce qui permet de ne pas évoquer son passif, notamment en termes de victimes civiles : « Est-ce que l’armée israélienne va entrer dans Gaza, se prépare à entrer dans Gaza ? ». La deuxième s’appuie sur un rappel dont on se demande le rôle exact : « Alors Monsieur Pazner, pensez-vous vraiment que la solution contre le Hamas dont la plupart des pays du monde s’accordent à penser qu’il s’agit bien d’un mouvement terroriste , pensez-vous que cette solution est militaire et uniquement militaire ? ». Quant à la troisième, qui épouse le point de vue israélien (« Mais Monsieur Pazner, est-ce qu’en augmentant la pression militaire sur le Hamas vous n’en faites pas encore plus un martyr, vous ne faites pas finalement son jeu ? », elle évite soigneusement la question de la « pression militaire » qui pourrait « martyriser » la population civile de Gaza.
29 décembre 2008 : Harry Roselmack comptabilise
Le 29 décembre, 16 minutes et 20 secondes après le début du journal, Harry Roselmack, se résout à « lancer » un premier « sujet » sur la situation à Gaza : « Les raids israéliens se sont poursuivis sur des édifices du Hamas et contre les forces de sécurité du mouvement palestinien . Le dernier bilan fait état de 345 morts parmi lesquels une cinquantaine de civils » Or le commentaire, dans le « sujet » qui suit, annonce : « les bombardements auraient fait plus de 340 morts dont une soixantaine de civils ». S’il est vain d’exiger un bilan « exact » – qui serait le même sur toutes les chaînes – dans un contexte où les informations contradictoires se succèdent, un bilan qui de toute façon ne veut pas dire grand-chose, on peut en revanche s’attendre à ce que les titres correspondent au moins aux propos tenus dans les reportages qu’ils annoncent. On objectera peut-être qu’il n’y a « qu’ »une dizaine d’écart. Une dizaine de morts civils. C’est-à-dire autant que les victimes civiles israéliennes en huit ans de « harcèlement » par le Hamas à Sderot, comme le rappelait par exemple un reportage de la veille (et bien d’autres) : « En huit ans, 700 roquettes se sont abattues sur la ville, faisant dix morts et 150 blessés ». En trois jours, combien d’obus sur Gaza ?
31 décembre : De même que… de même
Sur TF1, le 31 décembre 2008, à 20 heures, 22 minutes et 15 secondes après le début du journal, il est temps d’évoquer la situation à Gaza. Après quelques brèves informations et l’inévitable reportage à Sderot (voir notre article précédent), la transition « équilibrée » est toute trouvée : « Les frappes israéliennes se poursuivent, pour le cinquième jour, de même que les tirs de roquettes palestiniens sur le sol de l’Etat Hébreu. Ce matin une vingtaine d’engin ont explosé dans différentes localités israéliennes proches de la bande de Gaza. »
1er janvier 2009 : Roselmack interroge
Le 1er janvier 2009, le « 20 h » de TF1 diffuse une interview (enregistrée à l’ambassade d’Israël) de Tzipi Livni, ministre des Affaires Etrangères d’Israël, par Harry Roselmack, qui laisse libre court, pendant 2 minutes 40, à la propagande attendue. Comment pourrait-il en être autrement, quand la question la plus informée et la plus effrontée posée à une ministre directement responsable de la guerre que mène son gouvernement est la suivante : « Est-ce que la position, l’argument, de certains évoquant la disproportion des moyens et des bilans dans cette crise… est-ce que ces arguments-là vous les entendez et est-ce que vous en tenez compte ? » Sauf erreur ou omission de notre part, aucune « voix » palestinienne ne bénéficiera d’une interview similaire sur TF1.
2 janvier : Objectif affiché
Sur France 2, le 2 janvier, il est impossible d’évoquer les manifestations des Palestiniens à Jérusalem et dans les territoires occupés par Israël, sans le faire du point de vue du gouvernement israélien et des objectifs qu’il affiche : « Des milliers de Palestiniens sont descendus aujourd’hui pour soutenir les habitants de Gaza pris sous les bombes israéliennes. [...] Dans tout le territoire palestinien, les frères ennemis du Fatah et du Hamas ont même défilé côte à côte. C’est une conséquence de cette offensive d’Israël , en voulant assurer sa propre sécurité, le pays semble avoir ressoudé contre lui le peuple palestinien dans son ensemble.
6 janvier : Un premier chef d’œuvre de Jean-Pierre Pernaut
Ce jour-là, le journal est construit autour d’un fil conducteur : le froid et la neige, bien sûr . Mais ce qui est censé nous tenir en haleine, et ce qui fait périodiquement apparaître un sourire prometteur chez Jean-Pierre Pernaut, c’est le reportage sur Tahiti promis pour la fin du journal. Plus de 9 minutes après le début du journal, JPP rassure les téléspectateurs : il n’a pas fini de parler du froid. Et il leur promet de se réchauffer. Mais entre temps, entre le grand froid et le grand soleil, il faut bien parler d’autre chose :
- Jean-Pierre Pernaut : « Voilà. On reparlera du froid et de la neige tout à l’heure et on ira aussi se réchauffer [un sourire s’esquisse en promettant les alléchantes images] un petit peu comme tous les jours cette semaine à Tahiti. Venons-en maintenant à la situation toujours aussi préoccupante, très préoccupante, au Proche-Orient ».
L’examen de cette situation « préoccupante » et même « très préoccupante » ne préoccupe pas longtemps Jean-Pierre Pernaut qui lui consacre moins de temps qu’au seul reportage sur Bora Bora (qui s’inscrit dans une série de carnets de voyages), et deux fois de temps qu’aux reportages sur le froid et la neige en France qui occupent 14 minutes 24, soit 34 % du journal. Les effets de la météo et le tourisme à Bora Bora ne prennent que 50% de la durée du JT, et si l’on ajoute un reportage d’une longueur inhabituelle sur… le patois bourdonnais, on atteint le chiffre de 24’20, soit 60% du JT. C’est, en effet, « préoccupant, très préoccupant »…
6 janvier : « Bavure » ?
Le 6 janvier sur TF1 à 20 h, Laurence Ferrari interroge Denis Brunetti : « Est-ce qu’on peut dire que cette attaque qu’une école qui a fait 43 morts au moins parmi les civils palestiniens est la première grosse bavure de l’armée israélienne ? » Le délicat vocabulaire de la « bavure » est de retour… Il se répandra partout, notamment dans la presse écrite [2]
Le même jour France 2 est elle aussi saisie par le doute : « Faut-il parler de bavure militaire ? Il est encore trop tôt pour le dire ». Mais il est déjà trop tard pour s’apercevoir que le terme de « bavure » est parfaitement déplacé, que la version israélienne soit confirmée ou non. Plus généralement, ce sont tous les mots de la guerre qui se sont répandus : nous les avions, à propos de lainsi nomé « conflit israélo-palestinien », déjà relevés dès 2002 (« Les mots et les images (1) : Des mots innocents ? »), puis en 2007 (« 24 heures d’information ordinaire sur France Culture »), comme nous l’avons fait pour de nombreuses guerres depuis 1999 [3].
6 janvier : Laurence Ferrari s’inquiète
Ce même 6 janvier, sur TF1, il faut attendre 20h09 avant que Laurence Ferrari « s’inquiète » dans les termes suivants : « Situation très inquiétante qui ne cesse de s’aggraver à Gaza. La violence des combats frappe de plein fouet la population civile palestinienne prise au piège entre l’armée israélienne et les combattants du Hamas. L’illustration la plus terrible en a été le bombardement d’une école aujourd’hui. 43 personnes qui s’y étaient refugiées ont trouvé la mort. L’armée israélienne affirme avoir répliqué à des tirs de mortier. »
« Très inquiétant » : qu’en termes délicats, ces choses-là sont dites ! Si les mots ont un sens, il faut comprendre que la population civile palestinienne subit au même titre les combattants du Hamas et l’armée israélienne… qui l’enferme dans Gaza et bombarde ! Et les 43 victimes civiles seraient une « illustration ». Une « illustration » ! Et de quoi ? D’ un « piège » tendu avec le concours des « combattants » du Hamas, et non d’un bombardement de l’armée israélienne, dont la version est livrée sans recul.
7 janvier : Laurence Ferrari perçoit une lueur
Le 7 janvier, à 20 h, 21 minutes après le début du journal, Laurence Ferrari est moins inquiète que la veille : « A Gaza première lueur d’espoir aujourd’hui avec la trêve de trois heures qui a permis aux habitants de souffler un peu et de faire entrer de l’aide humanitaire. Autre signe encourageant, Israël se dit d’accord pour négocier un cessez-le-feu, proposé par Nicolas Sarkozy et le président égyptien Hosni Moubarak. »
Une « lueur d’espoir » ? Mais pour qui ? Pour une population civile martyrisée qui a « bénéficié » à Gaza-ville (et non sur toute l’étendue du territoire) non d’une « trêve », mais d’une suspension des bombardements, dont les associations humanitaires diront le jour même que sa durée est trop courte pour que l’aide parvienne effectivement à la population ? Un « signe encourageant » ? Comment dire cela alors que le gouvernement israélien s’est déclaré prêt à un cessez-le-feu, mais à des conditions qui le rendent impossible tant que l’opération « Plomb durci » ne sera pas achevée. Même pas une « lueur » puisque on apprend le jour même que l’invasion doit se poursuivre et même s’intensifier.
Le commentaire, dans le reportage qui suit, est du même acabit : « Les bombardements ont cessé pendant trois heures cet après-midi. Un répit durant lequel la population de Gaza a pu souffler, sortir dans les rues, et surtout s’approvisionner après quatre jours d’intenses opérations terrestres… L ’armée israélienne a décidé de cesser ses opérations de 13h à 16 h chaque jour dorénavant, pour permettre aux convois humanitaires de circuler. Geste de bonne volonté après la journée d’hier particulièrement meurtrière : la frappe contre une école aux couleurs des Nations-Unies a soulevé une vague de protestation internationale, malgré l’explication israélienne selon laquelle le site aurait servi de zone de tir au Hamas. »
Une vague de protestation sans objet donc, puisque l’armée israélienne a « expliqué »… et « explique » encore, par la voix d’un porte-parole que l’on entend à nouveau : « le Hamas se protège derrière des enfants dont il se sert comme bouclier humain. C’est inacceptable. Chaque fois qu’il y a des morts ils en sont responsables ». Les déclarations de l’ONU contredisant la version israélienne du bombardement de l’école ne sont manifestement pas des « explications », puisque TF1 ne juge pas utile d’en faire état.
Quant à la présentation des positions en présence sur l’éventualité d’un cessez-le feu, elle vaut son pesant d’ « équilibre » : « Pendant l’enterrement des victimes de l’école de Jabaliya, un représentant du mouvement islamique a refusé de soutenir pour l’instant l’initiative franco-égyptienne , un plan de cessez-le-feu qui doit selon lui clairement exiger le retrait des troupes israéliennes au préalable. De son côté le gouvernement Olmert, lui, l’a accueilli avec intérêt, suscitant une lueur d’espoir [image d’un soldat souriant sortant d’un char], à condition que le Hamas cesse ses tirs et que Gaza soit démilitarisée ». Les conditions mises par le Hamas équivalent à un « refus » ; les conditions mises par le gouvernement israélien n’altèrent pas « l’espoir » : information ou commentaire de parti-pris ?
7 janvier : Renaud Revel interroge…
Au cours de l’émission « J’ai mes sources » sur France Inter, le 7 janvier 2009, Renaud Revel interroge Olivier Rafowicz sur les conséquences de l’interdiction opposée par le gouvernement israélien à l’entrée de journalistes à Gaza. Des conséquences pour l’information ? Nenni. Pour les palestiniens ? Encore moins. Seulement sur l’avantage qui serait ainsi donné à la propagande du Hamas, au détriment de celle de l’Etat israélien :
- Renaud Revel : - « En interdisant les journalistes à pénétrer à Gaza, est-ce que vous ne prêtez pas le flanc à la propagande du Hamas , dans la mesure où si on va sur Internet aujourd’hui, internet regorge d’images effectivement des combats qui ont lieu en ce moment ? Et qui sont données notamment par le Hamas ?
- Olivier Rafowicz : - « Vous avez raison au niveau des images, des images qui sont propagées… Vous savez on a ici affaire à une politique médiatique d’un groupe islamiste intégriste. »
Dans une émission qui, selon sa présentation sur le site de France 2 prétend s’interroger sur le « monde complexe » des médias – « Les médias, tous les médias, rien que les médias » –, c’est ainsi qu’on interroge un porte-parole de l’armée israélienne, qui peut s’exprimer sans contradicteur et sans débat sur la « politique médiatique » du gouvernement qu’il représente.
8 janvier : Un second chef d’œuvre de Jean-Pierre Pernaut
Le 8 janvier, au 13h de TF1, après 17 minutes et huit sujets consacrés à la baisse des températures, Jean-Pierre Pernaut conclut, souriant devant les images d’une plage enneigée : « Un bien bel hiver comme on en rêvait depuis longtemps. ». Et enchaîne aussitôt, en se départissant à grand peine de son sourire : « Autre chose, plus sérieux , le conflit israélo-palestinien […] »
Reprenons avec lui : « Autre chose, plus sérieux, le conflit israélo-palestinien et un regain de tension après les espoirs de paix d’hier. » Les espoirs de paix ! Les bombardements se poursuivent, mais JPP découvre un simple « regain de tension ». Lequel ? La précision est donnée dès la phrase suivante : « Pour la première fois dans cette crise [sic], le Hezbollah a lancé des roquettes sur Israël depuis le Sud-Liban. Il y’a eu 5 blessés légers. », informe l’hivernal Jean-Pierre Pernaut qui introduit ainsi un « sujet » qui propose des informations totalement différentes : « Une personne a été légèrement blessée à la jambe , mais beaucoup ont été seulement choqués. Selon les premiers éléments, ces roquettes anciennes ne proviendraient pas du Hezbollah , mais d’un petit groupe palestinien installé au Liban. » [4]
Au cours du même JT, les téléspectateurs auront encore quelques informations sur les « objectifs » de l’armée israélienne : « Pour l’instant Israël maintient sa décision de suspendre ses opérations pendant 3 heures chaque après-midi, mais l’offensive générale elle continue avec pour objectif d’aller chercher les forces du Hamas partout où elles se trouvent. ». En revanche, aucune précision sur les effets de la suspension des opérations. Aucun mot sur le bilan des victimes.
8 janvier : Ferrari hiérarchise
Au 20h de TF1, 18 minutes après le début d’un journal dont les titres ne disent pas un mot du conflit, Laurence Ferrari lance un « sujet » dans lequel on apprend que l’agence de l’ONU chargé des réfugiés palestiniens (UNRWA) a « suspendu ses activités après que des obus eurent touché un de ses convois ». Le communiqué de l’ONU était nettement moins allusif, évoquant des « tirs israéliens contre un convoi », et expliquant que « des travailleurs humanitaires ont été la cible de l’armée israélienne ». Ban Ki Moon a d’ailleurs « condamn[é] l’attaque israélienne contre un convoi de l’ONU qui a fait au moins un mort », comme le précisera Ferrari après le reportage. Cette « attaque », la condamnation de celle-ci, et surtout la décision aux conséquences dramatiques qu’elle a entraînée n’en ont pas moins été traitées en deux phrases en tout et pour tout. Pourtant ce jour-là, les titres du journal annonçaient que François Fillon avait jugé « la situation inacceptable ». Mais il s’agissait des embouteillages marseillais. Il avait, ce même jour, jugé « la situation humanitaire à Gaza intolérable ». Mais on ne le saura que 17 minutes après le début du journal, dont une dizaine consacrée, inévitablement, au froid et à la neige…
8 janvier : Les « frappes » d’Elkkabach
Jean-Pierre Elkkabach, sur Europe 1, le 8 janvier 2009, interroge d’abord Jessica Pourraz, responsable de Médecins Sans Frontières à Gaza :
- Jean-Pierre Elkkabach : - « Mais, est-ce que les habitants de Gaza peuvent demander, ou pourraient demander, au Hamas d’arrêter les tirs de missiles qui ont provoqué les représailles d’Israël ? » Question d’autant plus suggestive de la prise de position hors de propos (mais tellement suggestive…) d’Elkkabach qu’elle s’adresse à une organisation non gouvernementale !
Jessica Pourraz pourra cependant, pendant quelques minutes, évoquer la situation humanitaire catastrophique à Gaza. Pour maintenir l’équilibre, après l’interview d’une responsable humanitaire qui refuse de répondre à toute question ayant une dimension politique (comme la précédente), Elkkabach s’entretient alors avec… Avi Pazner. Inutile de préciser que, comme sur TF1, aucune voix palestinienne n’aura, avant ou après, le privilège d’être interviewée dans cette émission. De cet entretien, on retiendra en particulier cet échange :
- Jean-Pierre Elkkabach : - « Est-ce que vous vous excusez ? Ou le gouvernement d’Israël présente des excuses pour ce qui s’est passé à l’école des Nations-Unies, Monsieur Pazner ? »
- Avi Pazner : - « Eh bien, je vais vous dire, Monsieur Elkabbach, ce qui s’est passé à cette école : le Hamas a placé une batterie de mortier dans cette école même , qui tirait sur nos troupes. Nos troupes ont répondu sans savoir qu’il y avait là-bas des civils . Nous regrettons… »
- Jean-Pierre Elkkabach : - « D’habitude… »
- Avi Pazner : - « Nous regrettons profondément la mort de civils innocents. Mais il faut bien comprendre que c’est le Hamas qui utilise ces civils comme boucliers humains. »
- Jean-Pierre Elkkabach : - « D’habitude, Tsahal vise mieux . […]. »
Un compliment, même sarcastique et indécent, vaut manifestement mieux que le démenti que Jean-Pierre Elkkabach, journaliste bien informé, aurait pu opposer aux mensonges éhontés d’Avi Pazner (voir notre article précédent).
10 janvier : Frédéric Barreyre informe
Le 10 janvier 2009, sur France Inter, Frédéric Barreyre évoque la situation à Gaza : « Cet après-midi, la trêve a été violée des deux côtés ». Comme s’il s’agissait d’une véritable « trêve » – qui supposerait un accord entre les deux parties en conflit… Comme si la décision unilatérale d’Israël de suspendre ses bombardements pendant trois heures n’avait pas concerné, du moins pendant plusieurs jours, la seule ville de Gaza (et non pas les quartiers périphériques), sans changement notable pour les populations civiles, comme le relevait déjà Médecins sans frontières… trois jours plus tôt [5], et comme aucun des JT ne l’a précisé. En « cet après-midi », seul Israël a « violé » ses engagements, comme du reste il l’avait fait la veille, selon la même source : des engagements dont on serait au moins en droit d’attendre que nos zélés informateurs se demandent s’ils ne sont pas une composante de la propagande de guerre.
Il est vrai que depuis deux cessez-le-feu distincts ont été annoncés – l’un d’Israël, l’autre du Hamas. La guerre n’est pas finie pour autant…
A suivre, hélas.
Henri Maler et Olivier Poche
- Grâce à la documentation recueillie et aux transcriptions réalisées avec Denis, Jamel et Raul.
Notes
[1] Sur le site de la chaîne. A l’antenne, on est encore plus allusif : « Tragédie humanitaire ». Notons qu’il faut additionner les deux JT pour disposer d’une information exacte : trois écoles bombardées On aimerait pouvoir en rire.
[2] Quelques exemples. Le 7 janvier, Ouest France relève « de nombreuses bavures ». Le 9 janvier 20 minutes.fr titre « Ces bavures qui commencent à saper l’offensive israélienne ». Et Le Monde, pourtant prompt à dénoncer les « crimes de guerre » du Hamas, de gémir dans un éditorial daté du 8 janvier et titré « Sinistre scénario » : « C’est toujours le même sinistre enchaînement : il faut attendre l’inévitable “grosse bavure”, et l’émotion qu’elle provoque, pour que les solutions diplomatico-humanitaires commencent à être envisagées. » On est prié de mettre entre guillemets les « grosses bavures » de l’éditorialiste anonyme du Monde…
[3] Guerre du Kosovo : « Bavures à Libération » ; Guerre d’Afghanistan : « Guerre des mots, mots de la guerre » ; Invasion de l’Irak : « Les mots de la guerre contre l’Irak ».
[4] Et sur le site de TF1, ce « sujet » est résumé ainsi : « Des tirs de roquettes du Liban sur le nord d’Israël fait planer jeudi le risque d’une escalade militaire à la frontière entre les deux pays. Le Hezbollah nie être à l’origine de ces tirs. » Un « regain » de précision !
[5] Lire, sur le site de MSF : « Gaza : “la trêve des bombardements, ça n’a aucun sens” ». Extrait des déclarations de Jessica Pourraz, responsable MSF dans le territoire palestinien : « La trêve ne change rien . La trêve n’apporte rien de différent. Elle n’a eu lieu que sur la ville de Gaza, pas dans les périphéries urbaines . Les chars ont commencé à rentrer dans les zones urbaines périphériques de Gaza-ville qui sont des quartiers comme Beit Lahya, Beit Hanoun, Sijaya, Zeïtoun. Il y a de plus en plus de civils blessés, c’est là qu’il faut aller chercher les blessés. Il ne faut pas se leurrer, la trêve n’aide en aucun cas le travail des humanitaires et l’accès des gens aux hôpitaux. »
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