Le samedi 1° septembre, j'achetai le roman de Boualem Sansal, Le train d'Erlinger.
Le lendemain, dimanche 2 septembre, eut lieu une importante manifestation de néo-nazis dans la ville de Chemnitz (ex RDA), en Allemagne, contre les « envahisseurs » (immigrés,
réfugiés…), essentiellement musulmans.
« Si
à nouveau des gens défilent aujourd'hui dans les rues en effectuant le salut
nazi, notre histoire passée nous oblige à défendre résolument la
démocratie » (Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères, AFP
02 septembre 2018)
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Dans son dernier roman, Le train
d’Erlingen, Boualem Sansal développe une longue et profonde réflexion sur notre
monde, « une chronique sur les temps qui courent », principalement
sur les sociétés occidentales, naguère pourvoyeuses d’émigrants désirés par
l’Amérique, et aujourd’hui cibles des immigrants du Sud majoritairement
musulmans et de leurs « croyances pourries » et plus encore de
l’islamisme (l’Islam ?) et sa « mainmise sur les zones fragiles de notre
société ». L’auteur s’aventure – aussi – sur les terres opaques du
questionnement de la liberté de conscience et donc de croyance, au risque d’alimenter
la couche d’humus sur laquelle croissent l’amalgame et la stigmatisation. Le
livre se clôt par plusieurs interrogations dont celle de savoir si le monde se
dressera contre l’Islam ou s’il peut le soumettre, lui l’Islam (et non
l’islamisme), dont « la mission est précisément de soumettre le monde » ?
On est là autant dans de la littérature de témoignage « fondée sur une
esthétique du vraisemblable » (Susan Rubin Suleiman, Le Roman à thèse)
proche de La Soumission de Houellebecq, dans le développement d’une thèse –
réitérée, une sorte de suite du précédent numéro –, que dans une fiction
construite prodigieusement d’une main de maître. Ou peut-être dans un
entre-deux.
La réflexion politique et philosophique, au
centre de laquelle trônent côte à côte le transcendantalisme et la désobéissance
civile de Henry David Thoreau ainsi que le discours-combat tenace désormais
connu de l’auteur contre l’islamisme (l’Islam ?), est accompagnée ou
portée par l’imaginaire complexe et enchanteur de l’auteur, qui non seulement invente
« une terre nouvelle et un ciel nouveau » (G. Durand), mais aussi nous
fait prendre la réalité pour un fantasme
et inversement.
Boualem Sansal, empruntant d’une certaine
manière l’exergue des deux parties du livre à Dante écrit : « Toi
qui entres dans ce livre, abandonne tout espoir de distinguer la fantasmagorie
de la réalité ». Et toute la difficulté vient de là justement. Comment
raconter l’intrigue d’un roman complexe où se croisent des personnages
« du monde réel » et d’autres « d’une réalité métamorphosée »
de sorte que notre lecteur n’abandonne pas à la cinquième ligne ? Cela
n’est possible que par la simplification que voici.
Dans sa forme le roman est constitué d’un
prologue, de deux parties contenant une vingtaine de chapitres, d’un épilogue suivi
d’un dernier chapitre et d’un Post-Scriptum (cf. infra). Deux personnages-clefs,
deux femmes, chacune dans son espace-temps, rédigent des lettres à leur parente
et prennent des notes en vue d’un futur roman. Les personnages vivent en
France, en Allemagne, ou en Grande-Bretagne. Le premier, Léa Potier, écrit à sa
maman Élisabeth. L’autre se nomme Ute Von Ebert, elle écrit à sa fille Hannah. Les
écrits de Léa occupent la seconde partie du livre, ceux d’Ute la première. Commençons
par la seconde partie.
Léa Potier
Léa est une jeune trentenaire qui vit à
Londres. D’emblée elle nous apprend que sa mère, Élisabeth, est morte
« bonjour ma maman chérie qui est (sic) au ciel ». Elle est morte un
mois après sa sortie du coma à la suite d’une agression. Deux années auparavant
elle prenait sa retraite, après avoir enseigné l’Histoire durant trois
décennies dans un lycée de la Deuxième chance, « lycée Kaboul » ou
« lycée Sing-Sing » dans le 9.3., département de la Seine Saint-Denis
où elle habitait, dans un pavillon. Son agresseur, Laaziz, était un de ses
anciens élèves. Léa a quitté la France où elle ne se considérait plus dans son
pays. Il était interdit de parler des Serviteurs et de leurs croyances.
« Par décret divin, ils ont nationalisé la Cité et lancé un puissant
programme de soumission… Ils voulaient savoir si j’étais baptisée, si je
portais une perruque… il y a eu du charabia derrière le voile… je suis née ici
quand même, je ne suis pas un envahisseur… adieu la Seine-Saint-Denis, le cher
9.3 ! Étrangère pour étrangère autant l’être à l’étranger. »
Pour ne pas s’ennuyer et bien occuper sa
retraite, Élisabeth répondit à une offre d’emploi en Allemagne pour
« accompagner une enfant de onze ans dans son éducation », la jeune
Cornélia (ou Nele) fille des riches Von Hornerberger. Léa suit avec bonheur la
nouvelle vie de sa maman qui semble se plaire dans son nouveau travail. Lors
d’un week-end, elle s’est rendue dans le port de Bremerhaven, au Musée des
émigrés, puis un mois plus tard au musée de Hambourg. C’est pour la petite Cornelia
qu’elle effectua ces déplacements. Il fallait à Élisabeth voir le port de
Bremerhaven « cet endroit mythique d’où plus de sept millions d’Allemands
embarquèrent pour l’Amérique au cours des 18 et 19° siècles. » Parmi ces
émigrants, Victor Tamas Von Horneberger, l’arrière-grand-père de son employeur.
Il embarqua en décembre 1831 sur le « Die neue Hansa ». Il fera
« fortune dans la peau de castor », plus tard « dans
l’exploitation des indigènes » en Amérique du Sud, avant de s’installer
définitivement en Afrique du Sud où il devint Africaner, chef de police puis
ministre des Mines. Ses descendants s’installeront à Londres et à Bremen.Toutes
ces familles qui ont traversé l’atlantique pour le Nouveau Monde « ont
vécu le mystère bouleversant de l’Exode, de l’Égypte vers la Terre promise,
porteuses d’une espérance que rien ne pourra infléchir ». « Poussée
par une force, Élisabeth s’arrêta devant un personnage de cire, un jeune homme
petit, râblé, l’air rusé et entêté… qui s’appliquait de toutes ses forces à
écrire une lettre ». Elle prit plusieurs photos du jeune homme et de la
lettre qu’elle traduisit. L’émigrant s’adressait à ses parents, ses frères, sa
sœur Ute, pour leur dire que tout allait pour le mieux. Cet homme de cire
représente Ernst Hans-Günter Von Ebert qui avait embarqué sur le même bateau
que l’aïeul des employeurs d’Élisabeth. Il était accompagné de son épouse Iris
Wilhelmine Dana Rolf. Lui aussi fera fortune. Grâce à l’argent qu’il envoyait à
sa famille, sa sœur Ute ouvrit une petite biscuiterie. Élisabeth voulait écrire
une notice biographique sur l’arrière-grand-père de l’enfant et sur son voisin
de voyage, qui, lui aussi, fit fortune en Amérique, sur sa femme, sur sa sœur
Ute... Élisabeth « avait besoin de ces informations pour alimenter ses
travaux pratiques », pour expliquer à Cornelia « qu’avec les autres
il faut avoir des liens qui s’inscrivent dans l’histoire des siens et du
monde. »
La famille Von Ebert, du sommet à la
base de la pyramide, et particulièrement Ute, la descendante et mystérieuse Ute
responsable d’entreprise, a fait « une intrusion magique dans la vie de
maman » écrit Léa qui veut comprendre ce qui lui est arrivé. En fait, deux
histoires, l’une ancienne, l’autre inscrite dans notre temps, vont
« converger vers Élisabeth et la prendre dans leur cours tumultueux ».
Lorsque le 13 novembre 2015, la France
fut frappée par des attentats, Élisabeth quitta l’Allemagne pour rejoindre son
pavillon. Il lui fallait faire quelque chose. Avec des amis elle se rendit à
Paris pour se recueillir devant le Bataclan, cible d’un des attentats
islamistes. Mais alors qu’elle revenait de ce rassemblement, elle a été
violemment agressée dans le métro, place de la République, « par des
malabars patibulaires, l’air de mauvais poil. Ils portaient la tenue réglementaire
du moudjahid, blouson sur gandoura, pantalon parachute à mi-mollet, barbe en
bataille, et une pastille nécrosée sur le front ». La France explosait
sous la violence de ses islamistes, l’air était comparable à celui des années
40. Élisabeth fut hospitalisée. Elle plongea dans le coma durant quelques jours.
Lorsqu’elle en est sortie elle « reprenait une figure humaine… elle
parlait d’un monde que nous ne connaissions pas… elle s’adressait en
allemand à des gens d’une autre vie… d’un ton fatigué, autoritaire même. »
Élisabeth s’était-elle métamorphosée ? « Pour elle nous étions
Hannah, Magda, Helmut ». Un autre monde, une autre réalité. L’infirmière
dit « elle délire ». Puis elle revenait à la lucidité en remerciant ses
amis d’être venus lui rendre visite, et sa fille d’avoir informé ses employeurs
à Bremen. Elle avait mal à la hanche. Elle avait hâte de retrouver Cornelia.
Léa dit avoir deux mamans en une. « Je lui téléphonais tous les jours et
je me mettais à son diapason, je pouvais tomber sur maman et avoir une
conversation bien familiale avec elle, comme je pouvais tomber sur Ute Von
Ebert, mon autre mère en quelque sorte, et parler avec elle de toute autre
chose, les menaces d’invasion et de fin du monde… » Sa conscience
basculait sans que rien n’annonce le mouvement dit Léa. Et elle, répondait
tantôt en étant Léa, tantôt en étant Hannah la fille d’Ute. « Hannah
n’existait que comme rêve dans la tête d’un autre rêve nommé Ute. » Le
médecin parlait d’oscillation de la conscience de soi non maîtrisée. Il y avait
entre le monde d’Ute et celui d’Élisabeth « un lien par-delà le
réel ». Léa n’a pas osé parler aux amis de sa mère, qui sont tous les
jours à l’hôpital , car ils ne sont pas comme elle, elle Léa, dans la théorie
mais dans la réalité. Léa intègre de plus en plus le monde d’Ute, celui de sa
ville Erlingen (il existe bien une ville au nord-ouest de Munich qui porte ce
nom, mais la première « une théorie inventée » par Ute n’a rien à
voir avec la seconde.)
Ute Von Ebert
Ute Von Ebert, descendante d’Ernst
Hans-Günter Von Ebert, est cette autre femme qui, comme Léa, rédige des lettres
à un membre de sa famille – sa fille en l’occurrence, Hannah, qui réside à
Londres – et des notes en vue d’écrire un roman. Ute est à la tête d’une grande
entreprise de biscuits « mondialement connue ». La situation qui
prévaut dans sa ville Erlingen qui est « infestée par les Ombres »
(de la même engeance que celle qui hante – et pardonnez-moi – mon dernier
roman, Le choc des Ombres) la panique. La ville est proche de l’anéantissement
« la bombe n’est pas loin d’exploser ». Les jeunes fricotent avec
l’ennemi, partagent ses idées. On dit « ennemi », mais le terme, une
sorte de mot tronqué ou amalgame, « englobe toutes les hypothèses ». Ute
est une radicale, elle est « pour le rentre-dedans et contre les services
de déradicalisation » de ces gens, ces ennemis, ces « lâches et
hideux » envahisseurs.
Le malheur de la ville, « le début
de la fin », a commencé lorsque le Conseil communal, incapable et veule, plutôt
que de se mobiliser pour défendre la ville, prit la décision d’organiser la
fuite devant l’ennemi « ce mystère archaïque surgi du néant… des
envahisseurs dont la croyance regarde l’abîme plutôt que le ciel ». Ute
accuse les pacifistes, ce sont eux les responsables de la situation. Eux qui,
avec d’autres, préparent la fuite de la population, « la
déportation » par train. Les heureux élus « porteront un brassard
jaune, les policiers les reconnaîtront et sauront les protéger… Où les
emmènera-t-on, dans quels camps seront-ils entassés ? » Il est
normal et juste pour Ute de faire disparaître les pacifistes comme tous les
lâches. « On en est arrivé à penser que la défaite et la soumission sont
une solution satisfaisante » devant l’ennemi qui approche d’Erlingen.
L’humanité n’avait jamais rencontré un ennemi de cet acabit ». Son nom
« Petit village 2084 bis ». Et nous suivons le regard ou le doigt de
Boualem Sansal, dirigé vers La fin du monde. Un hameau métamorphosé, une sorte
d’Abistan avant l’heure, devenu amnésique par la soumission imposée par le
glaive, ou par la soumission adoptée. La métamorphose peut bien être aussi « un
phénomène collectif. » Mais Ute est prise de remords. Elle compare les sournois
envahisseurs d’aujourd’hui aux envahisseurs qui, comme ses aïeux, se sont jetés
sur l’Amérique et sur ses peuples qui « furent dépossédés de leurs terres,
de leurs cultures, de leurs âmes ». Elle dit « nous aussi nous avons
été envahisseurs… chez les Ebert la religion et la vie c’est l’argent et la
gloire… c’est dur pour moi d’être l’héritière d’Ernst l’esclavagiste et la
gardienne receleuse de son immense fortune. » Mais des différences
importantes semblent séparer les deux types d’envahisseurs. Comme le dit Ute
« chez les Ebert la religion et la vie c’est l’argent et la gloire »,
or pour ces envahisseurs la gloire c’est « la soumission du monde » à
leur vérité exclusive. Une autre différence, cette fois entre les Indiens
et les Européens, tous deux « envahis », les Indiens n’ont,
contrairement aux Européens, envahi aucun autre peuple, ni sont à l’origine des
monstrueux drames humains passés et actuels liés au changement climatique
(inondations, érosions, désertification, migrations…), à la mondialisation
(extrême pauvreté, impérialismes, guerres…) Une vie souterraine faite de résistance
s’est organisée dans Erlingen et sa banlieue. « Une bande d’excités –
est-il écrit dans un rapport de police – se réunit dans une librairie libertaire
et dans un parc à ferraille. Ute prend part à cette mobilisation contre les
envahisseurs.
Mais la confusion voulue par l’auteur, où
se croisent « réalité » et « fiction », persiste. Ute n’est
pas dans sa peau, elle est dans celle que son rêve ou la fiction dictent
« vous n’avez pas encore compris que nous sommes dans une fiction, un
roman, la réalité ne se laisse pas abuser comme ça. » Nous sommes à la
fois dans le roman et dans la confusion donc. À partir du rêve un petit film décousu
s’est formé dans sa tête. Elle a mal à la hanche, elle y voit des bribes
d’images, un train, un tunnel, des images qui explosent, une sirène… » des
visages surgissent, elle entend des noms, celui de Léa, c’est que nous sommes –
peut-être – à deux doigts de la place de la République et d’Élisabeth un
certain novembre 2015. La confusion est totale. « Ce qui m’angoissait, ajoute
Ute, c’est que dans mon rêve j’avais la parfaite conscience d’être dans le
réel… oui je le savais, dans nos rêves la conscience est toujours là, dans un
coin, veillant au grain, pour empêcher le naufrage dans la mort, pour nous
rappeler que nous sommes dans la fiction, pas dans le réel… C’est affreux,
quelque chose tourne en rond en moi, le réel et le rêve n’appartiennent pas à
la même personne… comment savoir qui vit dans le rêve de l’autre et quel réel
est à l’une et à l’autre… » Et si l’une est l’autre ? Il y a chez
l’une comme chez l’autre, « une quête de vérité que certains affirment
posséder en exclusivité et vouloir imposer au monde. »
Architecture et écriture
Le roman se présente sous la forme de
deux parties contenant des chapitres d’inégale longueur, 12 pour la première,
11 pour la seconde. Il faut ajouter un prologue, un épilogue, un dernier chapitre et un
Post-Scriptum.
Dans la première partie du livre, celle d’Ute,
intitulée « La réalité de la métamorphose », on compte 12 chapitres :
quatre notes pour la prévision d’un roman qui portent chacune un titre comme
« Le début de la fin », « La vie secrète des Ebert »…, deux
notes de lecture elles aussi portant un titre, cinq lettres à sa fille dont le
début commence par des mots écrits soit
en italien soit en français, et un
« chapitre additif »
Dans la seconde partie du livre, celle de
Léa, dont le titre est « La métamorphose de la réalité », il y a 11
chapitres : six notes en prévision d’un roman à écrire ( la première est
« Le temps des migrants », les quatre autres portent ce même titre
« Au croisement de deux histoires » suivi de sous-titres différents,
sur les six notes trois sont suivies d’extraits bibliques), deux notes de
lecture, trois lettres à sa fille. À la suite de cette seconde partie, il y a
un épilogue, un chapitre à propos du roman (interne au roman) et un Post-scriptum.
Celui-ci est un e-mail de la jeune Cornelia/Nele adressé à Léa.
Dès l’exergue du roman, celui de Boualem
Sansal, en page 11, l’auteur adresse ses « pensées reconnaissantes »
à nombres d’auteurs, tous ceux qu’il a convoqués pour étayer son
« discours » comme Kafka à propos de la métamorphose, Henry David
Thoreau (et par conséquent Emerson) concernant le transcendantalisme (un
barbarisme !), Dino Buzzati avec Le désert des Tartares ou la
recherche/l’attente inassouvie, Buridan et le paradoxe de l’âne, Dante et
l’Enfer (Divine Comédie), Virgil Gheorghiu et Les immortels d’Agapia (Boualem
Sansal se fourvoie-t-il ? car enfin cet auteur prêtre orthodoxe radicalement
anticommuniste, fut diplomate sous le règne du premier conducator roumain –
extrême droite – et antisémite dans les années quarante), mais aussi Charles
Baudelaire, Albert Camus et Sisyphe qu’il faut imaginer, « pourquoi pas
heureux dans son enfer », Prévert, La Fontaine, Voltaire, Proust, Dumas,
Beaumarchais… et jusqu’à des auteurs anonymes comme ceux ou celui qui écrivit
« Le Traité des trois imposteurs », livre qui exista bel et bien !
Boualem Sansal ne nous déçoit pas, tant
s’en faut. Ni par son discours radical ou si l’on préfère celui d’Ute ou même
d’Élisabeth, ni par son style toujours aussi pétillant quoique je trouve qu’il
n’y a pas suffisamment de nuance entre les narratrices. Leur langage est proche,
que ce soit dans les lettres à la mère/ à la fille ou que ce soit dans les notes
pour l’écriture du roman dans le roman… Les interventions d’Ute ne sont pas
égales. Tantôt elle s’exprime en chef d’entreprise, tantôt comme une citoyenne
ordinaire, tantôt en utilisant un jargon improbable. On retrouve l’écriture de
Boualem Sansal, mais peu ses grandes embardées comme dans certains de ses
précédents romans caractérisés par l’emphase et l’amplification. Voici un
extrait du roman :
« Je n’ose penser à ce qui a pu se
commettre en ces terres d’islam, Mahomet est la prunelle des yeux d’Allah, les
fidèles tueraient leurs enfants dans le ventre de leurs mères pour un seul de
ses cheveux. Des rumeurs terrifiantes remontaient du Bosphore, le calife aurait
envoyé des séides en Europe, à Amsterdam, Kiel, Oslo, Paris, Bâle, Genève,
Lyon, partout où des éditeurs perfides se sont fait l’habitude de dénigrer la
vraie religion et de moquer son prophète. Une liste de présumés coupables fut
dressée, ils étaient voués à être enlevés et conduits devant le Grand Turc qui promettait
de leur arracher le foi et de le dévorer cru, selon une certaine tradition
arabique qu’il souhaitait actualiser et imposer sur les champs de bataille,
tant pour le pouvoir d’excitation qu’elle exerce sur les troupes que pour le
potentiel de terreur qu’elle exerce sur l’ennemi, et sur laquelle je me suis
documenté tant elle m’a paru extraordinaire. »
Une perle, au-delà du discours.
Ahmed Hanifi, auteur.
Marseille, 10 septembre 2018
LE TRAIN D’ERLINGEN ou La métamorphose de Dieu
"SansalS"...
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Bibliobs:
Le romancier algérien de "2084" publie "le Train d'Erlingen". C'est incroyablement anti-islamiste et, hélas, incroyablement ennuyeux.
Par David Caviglioli
Publié le 10 octobre 2018 à 12h22
Normalement on prend le soin de séparer un homme et son œuvre, comme on
le fait avec Céline, quand l'œuvre est géniale et l'homme mauvais. En ce qui
concerne Boualem Sansal, c'est l'inverse. On admire l'homme, qui a la droiture
d'un saint. Quand on lui parle, ce qui nous est arrivé, on croirait parler à
Nelson Mandela. Il dit des choses simples et vraies, d'une voix brisée que rien
n'ose interrompre. Depuis vingt ans, il combat l'islamisme qui a détruit
l'Algérie, tué ses amis, l'a séparé de sa famille. Il mène ce combat avec
obstination. Malheureusement, il le fait en écrivant, de plus en plus
obstinément, des romans insipides.
« Le Train d'Erlingen » vise le monumental, mais n'en a
que la lourdeur. L'histoire: une vieille dame, victime des attentats du
13-Novembre, sort du coma en croyant être (tenez-vous bien) une autre vieille
dame, allemande cette fois, vivant à Erlingen, une ville qui n'existe pas,
envahie par des égorgeurs islamistes. Pourquoi pas. Seulement on a rarement lu
un livre aussi lent, aussi statique, aussi vide de personnages, de situations,
de narration – vide de tout ce qui fait les romans.
Chez Sansal, l'anti-islamisme envahit tout, et égorge tout ce qui
n'est pas anti-islamiste. «2084», son best-seller de l'année 2015 (300.000
exemplaires), était pareil: incroyablement anti-islamiste et incroyablement
ennuyeux. On soupçonne ceux qui l'ont acheté d'avoir lu quelques chapitres par
anti-islamisme, puis de l'avoir vite reposé. L'anti-islamisme, c'est sympa
pendant cinquante pages. Après, on a compris. On aimerait lire un roman.
Politiquement « le Train d'Erlingen »
est au bord du déraillement. Raconter l'islamisation de l'Algérie, c'est
salutaire, parce que ça s'est produit. Dire, par extension, que l'Europe vit
sous le joug de sa minorité musulmane, c'est autre chose. Sansal prend le
risque de devenir le romancier de la paranoïa anti-immigrés. Il le sait. Il
s'en moque. Il dit ce qu'il a à dire. Ça nous va. On aimerait qu'il le dise
mieux. Si la seule résistance à l'islamisme, c'est de lire des romans
soporifiques sur l'islamisme, à quoi bon résister.
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Le Quotidien
d'Oran» jeudi 11 octobre 2018
«Je n'ai jamais été tenté par l'écriture.»
«Je n'ai jamais été tenté par l'écriture.»
par Interview Réalisée
Par Ali Ghanem*
Boualem Sansal
vient d'écrire un nouveau livre «Le train d'Erlingen».
L'action se passe en Allemagne dans une ville assiégée par des ennemis dont on ignore à peu tout, à part qu'ils s'appellent « les Serviteurs » et qu'ils ont décidé de faire de la soumission à leur Dieu l'unique loi de l'humanité.
La population, est plongée dans l'attente fébrile d'un train qui devrait lui permettre de fuir, mais cette attente se prolonge indéfiniment, le train bloqué par neige n'arrive pas.
L'histoire nous est contée au travers des lettres qu'Ute vonErbert, prisonnière de la ville assiégée et héritière d'un puissant empire industriel, adresse à sa fille Hannah qui vit à Londres.
Dans son style, grâce à une construction de récit très élaborée et très maîtrisée, l'auteur nous décrit de façon libre et souvent sarcastique, le délitement d'une société qui n'a pas su ou n'a pas voulu voir l'avancée d'une foi sectaire et les ravages qui en découlent.
On retrouve le thème majeur du précédent roman De Boualem Sansal : 2084 qui ne cesse d'alerter sur les zones de fragilité des démocraties fatiguées et sur la lâcheté et l'aveuglement de certains dirigeants face à la montée des intégrismes.
La presse européenne salue « Le train d'Erlingen » comme un ouvrage de grande littérature qu'il convient « Le serment des Barbares paru en 1999, Boualem Sansal se confirme comme un de nos plus grands écrivains, dont l'œuvre a déjà été couronnée par de nombreux prix littéraires, notamment le prestigieux prix de la Paix des libraires allemand et le Grand Prix du roman de l'Académie française.
Le Quotidien d'Oran : Pourquoi donc êtes-vous venu si tard à l'écriture alors que vous aviez tant de choses à dire ?
Boualem Sansal : Moi je n'ai jamais été tenté par l'écriture, par la littérature, jamais !
J'avais reçu une formation scientifique, j'étais tenté d'écrire dans mon domaine, j'ai écrit des ouvrages d'ingénieur qui ont été publiés par l'office des publications universitaires, j'ai publié un livre d'économie également publié à Alger par l'OPU
En revanche, j'ai toujours été un grand lecteur ;
Lorsqu'est arrivée la guerre civile, mon ami Rachid Mimouni, qui était un collègue de longue date, s'est mis à écrire. Il avait près de quarante ans, j'ai toujours été son premier lecteur. Dès qu'il avait écrit un livre il me le passait : « lis-le, dis-moi ton avis ». Il attachait du prix à mon avis en tant que lecteur. C'est ainsi que petit à petit, sur sept- huit ans, il m'a communiqué le virus de l'écriture. Quand il disait que j'avais du talent, je répondais « pour avoir du talent il faut être intéressé et ça ne m'intéresse pas d'écrire ».
L'envie de la littérature, m'est venue plus tard, après sa mort. Il me manquait beaucoup, il avait été un grand ami, on avait habité ensemble à Boumerdès, on travaillait ensemble dans le même bureau, c'était plus qu'un frère on se voyait presque vingt heures par jour, je le voyais plus que ma femme. Tous les soirs après le travail, on passait notre temps à discuter ensemble de littérature, de politique
Mais pour moi la littérature c'était l'art pour l'art, ça racontait des histoires humaines, et c'est tout.
Lui il était un écrivain engagé, il m'a communiqué le virus de l'écriture et de l'engagement politique.
Q. O. :Justement à propos d'écriture, toute la presse française qualifie votre œuvre de grande littérature. C'est quoi la grande littérature pour vous ?
B. S.: Franchement, Je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Même chez Gallimard on le répète souvent : talent exceptionnel, etc , j'ai du mal à le croire je ne vois pas trop de quoi il s'agit.
Ce que je peux dire c'est que lorsque j'écris, j'essaie de faire un travail soigné,je relis, je ne suis jamais content, je veux améliorer, je cherche le mot exact. Ça vient peut-être de mon esprit scientifique. Je n'aime pas utiliser un mot à la place d'un autre. Un texte pour moi, comme une construction d'ingénieur, ça reste un travail scientifique
Q.O.: Beaucoup de gens écrivent, mais pour parvenir à un niveau littéraire, c'est autre chose .
B. S.: Oui c'est très rare, moi pour que je trouve un livre dont je puisse dire que c'est de la littérature, il faut que j'en lise à peu près cent. Les quatre-vingt-dix-neuf autres pour moi c'est du roman, ce n'est pas de la littérature. La littérature c'est un roman bien sûr, mais avec quelque chose d'autre en plus , on ne sait pas trop quoi, un travail sur la langue à coup sûr , c'est compliqué.
Q.O.: Quand vous écrivez un livre, qu'est-ce qui vous intéresse le plus, c'est l'écriture ou c'est l'histoire ?
B. S.: Il n'y a qu'une chose qui est intéressante, c'est l'écriture, parce que si le livre est mal écrit il vous tombe des mains, on ne va pas lire l'histoire, on lit les pages 2..3 4 et on arrête !
Q.O.: Enmême temps, vous dites que vous racontez des histoires afin d' amener à réfléchir, cependant votre écriture s'adresse à une élite.
B. S.: Oui. Honnêtement, je crois que le défaut de ma littérature, c'est celui-là, On dit : « il fait de la grande littérature », OK, mais j'ai point faible, je ne sais pas faire de la littérature populaire, c'est à dire une bonne littérature qui pourrait être lue par tout le monde. Or c'est cela la littérature. Si on prend tous les grands écrivains que ce soit Camus, Victor Hugo, Lamartine, Chateaubriand, c'est une littérature d'élite.
Q. O.: Alorsqu'on dit que votre style n'est pas facilement accessible comment expliquez-vous que 2084, la fin du monde se soit vendu à 400 000 exemplaires, c'est exceptionnel !
(Il réfléchit et hésite )
B. S. :Il y a deux choses, je ne crois pas que ce soit la littérature qui puisse expliquer ce succès, je crois que c'est le sujet politique.
Q. O.: Mais c'est aussi de la littérature !
B. S.:Oui, mais les gens ne l'ont pas acheté parce qu'on leur a dit que c'était de la grande littérature. Ils l'ont acheté, parce qu'un auteur venait leur dire : « vous êtes fichus, l'Islamisme va gagner, vous allez être islamisés, l'islamisme va gouverner la France et l'Europe dans les cinquante années qui viennent. »
Ils ont pensé :voilà quelqu'un qui vit en Algérie, il connaît ces choses-là , nous en Europe, on ne les connait pas, il doit savoir de quoi il parle, voyons ce qu'il en dit.
Pour beaucoup çà a été une découverte. Et il ne faut pas croire que les 400 000 qui ont acheté le livre l'ont tous lu. Beaucoup n'ont pas dépassé la page 50 ou 100 parce que lire est difficile.
Le dernier,Le train d'Erlingen est encore plus difficile, pour moi c'est avant tout de la littérature, mais même pour des intellectuels, çà peut être difficile.
Q.O.: Il n'y a jamais de linéarité dans votre roman, n'avez-vous pas peur que le lecteur perde le fil ?
B. S. :Je pense que la linéarité, c'est la manière la plus pauvre, en éclatant l'histoire en mille petits morceaux, on peut choisir plusieurs perspectives, ça donne plus de sens. Le train d'Erlingencomme 2084 racontent une histoire. Les écrivains, les cinéastes cherchent toujours la meilleure façon de raconter une histoire, mais ils peuvent la raconter de mille façons différentes, en donner deux, trois visions simultanées.
Q. O.: Le sous- titre la métamorphose de Dieu que vous avez donné à votre livre Le train d'Erlingen, se réfère à quoi ?
B. S. :Le train d'Erlingen, c'est parce qu'il y a une histoire de train dans une ville qui est assiégée, enfin on pense qu'elle est assiégée parce que ce n'est même pas sûr. Le gouvernement a promis d'envoyer un train pour évacuer la population qui est cernée par un ennemi qui n'est pas désigné. Ce train ne vient pas. Alors ils attendent , ils attendent le train ne vient pas. Et il se passe beaucoup de choses dans la ville, la peur, les trahisons, les gens qui voudraient fuir mais comme la ville est coupée du reste du monde par une tempête de neige, ils ne peuvent pas bouger
La métamorphose de Dieu, c'est parce qu'on dirait que les gens ont changé la définition de Dieu. Quand on discute avec un catholique, un juif, un musulman, un islamiste wahhabite, un athée, chacun te donne sa définition. Dieu, c'est qui à la fin ? C'est le même Dieu et chacun en donne une définition différente.
Q.O :Et chacun dit que sa religion est la meilleure.
Ça c'est normal, qu'ils le disent ; est-ce qu'ils le pensent, ce n'est pas évident.
Quand tu es musulman tu dis « l'Islam c'est la meilleure religion du monde » parce que c'est ta culture, mais au fond est-ce que tu le crois vraiment ? Ce n'est pas sûr, tu le dis parce que c'est ta culture
Q. O.: A propos du train, l'image fait penser à la déportation, pensez-vous que l'intégrisme et le nazisme sont de même nature ?
B. S.:Oui, c'est quelque chose que j'ai développé il ya très longtemps dansLe village de l'Allemand, l'histoire d'un nazi qui a participé à l 'extermination dans les camps de concentration. A l'époque où j'enquêtais pour ce livre, l'islamisme était en train de détruire notre pays, c'était la guerre. Tout de suite je me suis posé la question : l'islamisme, ce n'est pas l'Islam, alors c'est quoi ? Et j'ai cherché à examiner la philosophie, la doctrine, l'organisation qu'il y avait derrièrel'islamisme . Et plus j'ai avancé, plus je me suis rendu compte que cela ressemblait au nazisme.
Q.O.: Le village de l'Allemand, le train d'Erlingen.Pourquoi cette passion pour l'Allemagne ?
B. S. :C'est une question compliquée, il faut remonter à la structure du livre ; le propos du livre c'est celui-ci : on dit tout va mal en Europe à cause de l'islamisme, à cause de l'immigration, mais c'est un diagnostic puéril, celui de gens qui n'analysent pas.
Il est nécessaire d'aller au fond des choses.
Qu'est-ce qui ne va pas en occident ? En fait plus rien ne va; d'abord l'économie tourne de travers, elle ne cesse de créer des inégalités et des injustices, du chômage, de la précarité, les pays sont administrés par l'élite et pour l'élite.., Ensuite il y a une atmosphère de fin du monde, tout le monde parle du réchauffement climatique -ce qui est une réalité- bientôt on verra la multiplication des maladies, l'élévation du niveau des mers, etc ., surle plan militaire il y a des guerres partout.
Ce n'est pas juste de dire « ça va mal à cause de l'islamisme et de l'immigration », il y a mille autres raisons qui se mélangent
Q. O.: D'accord, mais pourquoi l'Allemagne ?
B. S.:J'ai été reconnu plus rapidement en Allemagne qu'en France, quand j'étais déjà très connu en Allemagne avec mes deux premiers romans, en France je n'étais pas connu du tout. Là-bas j'ai été très tôt associé aux grands débats, j'écrivais dans les grands journaux, j'étais invité par les télévisions, les universités pour apporter un regard nouveau sur l'islamisme, sur les pays arabes, sur l'Afrique, pour eux c'était une découverte. Et puis ils m'ont décerné le Prix de la Paix, orpour les allemands le Prix de la Paix, c'est plus connu que le prix Nobel de la paix.
J'ai donc une relation très forte avec eux, beaucoup plus forte qu'avec la France, une relation de sympathie
Mais il y aussi une autre explication : en matière d'immigration l'Allemagne a toujours été un pays conquérant, ce sont les Allemands qui partent conquérir le monde, les Francs en France, les Angles au Royaume Uni, les Saxons qui partent comme les Wikings au nord de l'Angleterre, les Wisigoths au sud de la France et en Espagne, les Vandales qui sont allés jusqu'en Afrique du Nord, les 17 millions d'Allemands qui sont partis aux Etats-Unis.
Q.O.: Et pourquoi, dans le train d'Erlingen, les personnages principaux sont-ils des femmes ?
B. S.: Il y vingt ans quand je faisais des rencontres littéraires, le public était masculin à 90%. Aujourd'hui dans n'importe quelle rencontre littéraire, quel que soit le sujet le public est désormais presqu'exclusivement féminin. Partout, même chez nous en Algérie, le personnel de l'administration est majoritairement féminin, les femmes sont en train de conquérir des espaces de plus en plus importants dans tous les secteurs, y compris dans l'armée. Chez nous, il ya de plus en plus de femmes dans la police, si on ne les voit pas c'est qu'on les a retirées du terrain à cause du terrorisme et qu'elles sont dans les bureaux.
Donc la femme est en train petit à petit de prendre le pouvoir, cela se fait sans révolution, pas comme les islamistes, comme ça, simplement, l'air de rien,en travaillant.
Q. O.: Revenons à l'islamisme, vous considérez que cela représente une menace seulement pour l'Europe ? Ou aussi pour les pays arabes ?
B. S.:C'est une menace pour le monde entier ! Pour le monde arabe, il est déjà passé et il a tout cassé ! Il a d'abord cassé l'Afghanistan, il a cassé l'Iran, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, et puis maintenant il est en trainde se développer en Europe, évidemment de manière plus lente parce que la communauté musulmane n'y est pas si importante, quoiqu'il y ait beaucoup de conversions en ce moment.
A. G.: La question qui se pose c'est pourquoi cette philosophie de l'islamisme qui veut changer le monde musulman et envahir l'Europe ?
B. S.:Les wahhabites veulent imposer leur vision de l'Islam au monde entier. Ils ont un programme officiel, ce n'est pas caché, cela fait partie de la politique de l'état saoudien.
Le wahhabisme est prosélyte, il finance donc la construction de mosquées aux Etats Unis, au Canada en Indonésie, en Algérie, partout. Il finance la construction d'instituts islamiques, il donne des bourses à beaucoup de pays pour former des théologiens, il donne des livres gratuitement.
Les wahhabites, on les appelle en arabe des salafistes. En France on leur donne d'autres noms, intégristes, fondamentalistes, radicalisés. Dans le monde musulman le salafisme est connu depuis très longtemps.C'est une doctrine théologique très élaborée, très complexe. Elle a été fondée par de très grands philosophes et se développe de mille façons différentes, la télévision, la politique, les universités.
Mais à la base on peut trouver des imams ignorants qui,n'ayant rien compris, interprètent tout à leur manière et prêchent la violence.
Q. O.: Vous avez dit que vous étiez révolté depuis votre plus jeune âge, vous étiez révolté contre quoi ?
B. S.: C'était une déception de jeune, l'indépendance obtenue, nous pensions qu'on allait vivre formidablement, mais nous avons vu arriver autre chose, les années passaient et on s'apercevait qu'on avait affaire à un régime policier où tout est interdit.
Notre déception n'avait aucun contenu politique, un peu comme les jeunes des banlieues de France aujourd'hui qui sont dégoûtés. Ils vivent dans de mauvaises conditions leur révolte, c'est un peu de politique, un peu de philosophique, un peu de tout.
En plus nous n'étions pas des privilégiés, nous étions des enfants de pauvres
Maintenant, là où je diverge avec Houellebecq, c'est qu'il pense que l'islamisme va réellement gouverner, c'est-à-dire qu'il va prendre les leviers de l'état, le gouvernement, la présidence, moi non. Ma conviction c'est que l'islamisme va gagner par le bas, comme en Algérie, comme au Maroc, comme en Tunisie où ils maîtrisent la société, où ils ont occupé toute la société, tout le monde est islamisé. Ils ont imposé partout leurs valeurs.
Beaucoup de femmes portent le voile, est-ce parce qu'elles croient ou par conviction ? Non, c'est parce qu'elles ont peur !
Q. O.: Les conflits actuels au Moyen-Orient ce sont des questions de pouvoir politique personnel, des conflits économiques ou des conflits de doctrine religieuse ?
B. S. :C'est tout cela à la fois, il y a des conflits ou il y a mille raisons, mais je pense que la principale question est religieuse : ce sont les désaccords sur l'interprétation du Coran qui se transforment en conflits politiques.
Q. O.: Vous et moi, nous sommes de la même génération, pourquoi n'avons pas vu venir cela ?
C'est une illusion, nous l'avons vécu mais nous ne l'avons pas vu, parce que nous étions jeunes, ça ne nous intéressait pas tellement, et puis le pouvoir était fort, il contrôlait tout et notamment il contrôlait l'information. Nous, on ne savait pas par exemple qu'au lendemain de l'indépendance, des prédicateurs débarquaient en masse venant d'Arabie et des pays du Golfe.
C'est comme dans l'Afrique chrétienne en ce moment où se développent les évangélistes américains, où se crée tous les jours un nouveau temple , une nouvelle église.
Q. O.: Vous avez beaucoup de succès en Europe où l'on vous a décerné de nombreux prix, mais vous avez choisi de continuer à vivre en Algérie, contrairement à d'autres écrivains.
B. S.:Moi je vis en Algérie, j'ai fait mes études en Algérie, je n'ai jamais quitté l'Algérie et là-bas je ne me cache pas, je vis au grand jour, tout le monde sait que j'habite à Boumerdès. Tous ceux qui me critiquent, s'ils avaient le même succès que moi en Europe, seraient-ils restés au pays ?
Q. O.: En Algérie, malgré tout, la littérature ne reste accessible qu'à des privilégiés.
B. S.:le problème n'est pas là.
Si en France, dans la rue, on pose la question : « avez-vous lu Voltaire, avez-vous lu Diderot, avez-vous lu la Bible » etc tous ces grands textes qui ont fait la culture française, la plupart du temps on vous répondra qu'on ne les a pas lu.
Comment est-ce possible ?
C'est parce que les idées ne passent pas par les livres, elles passent dans l'air du temps, quelqu'un qui a lu un livre, l'explique à son fils, un autre le commente à des étudiants, un autre encore écrit un article et l'idée chemine petit à petit. C'est comme ça que tout le monde connait Voltaire sans jamais l'avoir lu. Vous parliez tout à l'heure de mon livre 2084 qui a été vendu à 400 000 exemplaires, à l'époque Victor Hugo étaient tiré à 400 exemplaires, et pourtant qui ne connaît Victor Hugo ?
C'est parce que les idées cheminent, Victor Hugo a été mis en théâtre, on en a fait des films, .
On ne peut pas empêcher les idées de circuler : par exemple Khomeiny avait été chassé d'Iran ; en tant que réfugié politique, en France, il avait une obligation de réserve. Or ses idées circulaient, il avait reçu des visiteurs qui racontaient ce qu'il leur avait confié, des journalistes qui étaient venus l'interviewer, etc.
La littérature, elle se diffuse parfois aussi au café du Commerce
*Cinéaste
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