De Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi à Judith Butler
« En défense de Judith Butler »
Dans le Ouigo ce jeudi, fin de journée. Direction Paris. Voir la famille, les amis, se promener dans les bras et bars de Paris, ses célèbres places boulevards, rues... Dans le train donc en attendant, Mails, Internet, Facebook, Israël, tortionnaires, soldats de Tsahal génocidaires… et la résistance palestinienne. Je suis tombé par hasard sur ce post daté 25 mars de Addi Lahouari :
« « La résistance à la domination coloniale est politiquement légitime. C’est ce que disent, dans deux textes presque similaires, écrits à 65 ans d’intervalle, deux femmes engagées contre la domination coloniale : Simone de Beauvoir, hier pour le FLN, et Judith Butler aujourd’hui pour le Hamas. »
Butler ? Je ne connais pas Judith Butler (Philosophe et professeure à l'université Berkeley). J’ai consulté la revue Contretemps signalée au bas de l’article de Lahouari Addi. C’est une revue de critique communiste qui propose ici un article très intéressant de Aurore Koechlin intitulé « En défense de Judith Butler » (dont Addi reprend des extraits en citant Butler et de Beauvoir.) Je ne le commenterai pas. Je vous propose l’article de Aurore Koechlin dans sa totalité. Très instructif et surtout très pertinent. Les médias mainstream ignorent l’argumentaire de Judith Butler. Ils ne l’invitent pas, préférant la faire taire et se river (pour la plupart) aux mots de l’armée assassine d’Israël. Honte à eux. Que les médias français écorchés aillent se coucher, se cacher, se cocher. Le vent tourne et demain, ou après-demain ils rompront devant l’autre vérité, celle du peuple palestinien en lutte pour son indépendance.
Je vous propose de lire cet article écrit « en défense de Judith Butler » par Aurore Koechlin, une jeune universitaire (maîtresse de conférence en sociologie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et) militante féministe. Elle a écrit des ouvrages publiés aux Ed. Amsterdam (La Révolution féministe, La norme gynécologique).
_________________
« On ne peut comprendre la situation palestinienne si on ne comprend pas qu’il s’agit d’une forme de colonisation, avec d’un côté un État colonisateur, Israël, et de l’autre un peuple colonisé, les Palestinien·ne·s. Tant qu’on ne pourra pas parler de la colonisation, on ne pourra penser autrement les attaques que comme ayant pour base l’antisémitisme. » (Judith Butler, mars 2024)
_________________
En défense de Judith Butler
par Aurore Koechlin-14 mars 2024
À quoi sert la fausse polémique contre Judith Butler ? À montrer que personne n’est à l’abri du discrédit. Même si vous êtes Judith Butler, si vous prétendez parler contre le génocide en Palestine, on vous fera taire. Nous devons répondre à sa demande, dire collectivement que nous la défendons, et qu’il faut que le génocide cesse maintenant.
***
Je dois rester naïve malgré les années, car je n’aurais jamais imaginé que Judith Butler, la « papesse du genre », comme nous la surnommons affectueusement entre féministes, qui a formé des décennies d’étudiant·e·s en étude de genre dans des disciplines variées à travers le monde, pourrait un jour être attaquée en tant qu’universitaire et chercheuse suite à ses prises de position sur la Palestine lors du meeting « Contre l’antisémitisme et son instrumentalisation. Pour la paix révolutionnaire en Palestine ». Je la pensais intouchable en raison de sa contribution fondamentale aux études de genre. Mais dans des périodes réactionnaires, où la désorientation est la norme dans toutes les sphères sociales, où tous les verrous sautent les uns après les autres, ce qui semblait acquis ne l’est plus. Il semble donc aujourd’hui nécessaire de rappeler plusieurs évidences concernant Judith Butler.
Sur le fond, il serait trop long de revenir sur tous les apports que la pensée du genre doit à Butler (…) On peut revenir sur les critiques qui lui ont été adressées suite à sa prise de position concernant la Palestine, et en particulier l’attaque du 7 octobre 2023. On a abondamment commenté une séquence d’à peine quelques minutes, isolée du reste d’un débat qui faisait en réalité deux heures. Pourtant, les mots ont un sens… quand ils sont placés dans leur contexte. Si Butler a jugé nécessaire d’exposer sa pensée en deux heures, c’est que ce temps était nécessaire. Et on sait bien comment le fait de cadrer un propos, en le décontextualisant, en le privant de tout élément de nuances, est en fait une déformation de la pensée. C’est un mensonge intellectuel, en plus de refuser d’avoir un vrai débat en créant un faux adversaire, facilement disqualifiable.
Mais qu’a dit exactement Judith Butler ce jour-là ? Là encore, je serai synthétique (Pour juger par vous-mêmes cf. (ici : https://www.youtube.com/watch?v=rlQNBJOq-0E&t=1550s) Elle est d’abord revenue sur la nécessité de lutter contre l’antisémitisme, un racisme spécifique, dont sont toujours imprégnées nos sociétés. Pour cela, il faut notamment (mais pas uniquement) faire la distinction entre Israëlien·ne·s et Juif·ve·s : il est antisémite d’assimiler une catégorie à l’autre. Elle est ensuite revenue sur l’histoire du sionisme et ses évolutions, en s’appuyant sur l’ouvrage Antisionnisme. Une histoire juive, un recueil de texte choisi par Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman (Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman (dir), Antisionnisme. Une histoire juive, Paris, Éditions Syllepse, 2023.)
On ne peut comprendre la situation palestinienne si on ne comprend pas qu’il s’agit d’une forme de colonisation, avec d’un côté un État colonisateur, Israël, et de l’autre un peuple colonisé, les Palestinien·ne·s. Tant qu’on ne pourra pas parler de la colonisation, on ne pourra penser autrement les attaques que comme ayant pour base l’antisémitisme.
Inversement, la perspective que dessine Judith Butler est donc celle de la décolonisation : elle plaide pour la formation d’un État radicalement différent, un État pour toutes et tous, co-construit, non raciste, non violent, véritablement démocratique, dans laquelle chacun·e vivrait à égalité. Pour Judith Butler, seul un tel État pourrait véritablement garantir la sécurité à l’ensemble de ses habitant·e·s, représenter les aspirations des individus et des communautés qui le composent, et mettre fin à l’assujettissement des Palestinien·ne·s. Enfin, Butler caractérise la situation que traverse le peuple palestinien actuellement : celle d’un génocide par l’État d’Israël, selon les critères mêmes établis par des juristes qui avaient traversé la Shoah dans la Convention sur le Génocide de l’ONU. Elle conclut que dans un contexte où les instances internationales ne parviennent pas (ou ne veulent pas) faire cesser le génocide, alors le boycott et la campagne « Boycott Désinvestissement Sanctions » (BDS) sont une des seules formes de résistance à l’échelle internationale possibles, qui ont fait leurs preuves par le passé, notamment au moment du boycott contre l’apartheid en Afrique du Sud. (…)
« Je pense que nous pouvons avoir des points de vue différents sur le Hamas en tant que parti politique. Nous pouvons avoir des points de vue différents sur la résistance armée. Mais je pense qu’il est plus honnête et correct historiquement de dire que le soulèvement du 7 octobre était un acte de résistance armée. Il ne s’agit pas d’une attaque terroriste ni d’une attaque antisémite. Il s’agissait d’une attaque contre des Israélien·ne·s. Et vous savez, je n’ai pas aimé cette attaque. Je l’ai dit publiquement. J’ai eu des ennuis pour avoir dit que c’était, pour moi, angoissant. C’était angoissant, c’était terrible. Cependant, je ne serais pas raisonnable si je décidais suite à cela que la seule violence de cette scène était la violence faite aux Israélien·ne·s. Les Palestinien·ne·s subissent des violences depuis des décennies. C’était un soulèvement, qui est le produit d’un état de soumission, et qui se développe contre un appareil d’État violent. D’accord ? Parlons clairement. Vous pouvez être pour ou contre la résistance armée, vous pouvez être pour ou contre le Hamas, mais appelons-la au moins résistance armée, et nous pourrons alors débattre de la question de savoir si nous pensons que c’est juste, s’ils ont fait ce qu’il fallait, ou si une stratégie différente… Mais le problème, c’est que si vous parlez de résistance armée, on pense immédiatement que vous êtes en faveur de la résistance armée, de cette résistance armée, et de cette tactique-là. En fait, peut-être pas cette tactique. Et nous pouvons discuter de la résistance armée, vous savez ? C’est un débat ouvert. Mais je pense que la description est correcte. Si nous décidons qu’il s’agissait uniquement ou principalement d’antisémitisme…. Encore une fois, nous sommes confronté·e·s à la structure politique et à la structure de la violence dont ce soulèvement est issu. Je vais m’attirer des ennuis pour avoir dit ça, mais vous me défendrez… Vous me défendrez demain lorsque je serai attaquée, n’est-ce pas ? (Et la génération des années 2020 en témoignera certainement bientôt, si ce n’est déjà fait.)
Que dit exactement Judith Butler ici ? Que si on interprète jusqu’au bout la situation de colonisation, alors les attaques du 7 octobre étaient des formes de résistance armée. Les qualifier comme telles, c’est un enjeu d’analyse historique et politique, ce n’est pas un enjeu moral : Judith Butler ne les défend pas en soi, elle souligne bien l’écart entre qualifier le 7 octobre d’un acte de lutte armée, et soutenir la lutte armée, et (autre écart) soutenir cet acte de lutte armée en particulier. Par contre, pour pouvoir débattre stratégiquement, on a besoin d’avoir une qualification commune. Et c’est tout. C’est tout ce que dit Judith Butler ici. Elle ne défend pas les attaques, elle condamne leur forme plutôt clairement, et souligne avoir été critiquée pour cela. (Elle précise sa pensée ici : https://blogs.mediapart.fr/judith-butler/blog/110324/apres-pantin)
Mais c’est déjà trop, car c’est en même temps toute la question. C’est replacer le 7 octobre dans un contexte politique et historique précis, qu’on a tout fait pour gommer, celui de la colonisation.
En prononçant ces mots, Judith Butler s’inscrit en réalité dans une longue histoire d’engagement anticolonial du mouvement féministe. Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir ont été d’ardentes partisanes de l’indépendance de l’Algérie, notamment en défendant judiciairement pour la première et médiatiquement pour la seconde les condamnées algérien·ne·s, ou en dénonçant la torture exercée par l’armée française. L’exemple historique le plus connu de cet engagement est la défense qu’elles ont orchestré en faveur de Djamila Boupacha, membre du FLN, accusée d’avoir déposé une bombe, torturée et violée en détention, condamnée à mort mais amnistiée grâce à la fin de la guerre (Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, Djamila Boupacha, Paris, Éditions Gallimard, 1962.)
De la même façon, de nombreuses militantes qui ont lutté pour la légalisation de l’avortement dans les années 1970 avaient commencé leur carrière militante par leur engagement internationaliste et anticolonial, contre la guerre d’Algérie et la guerre au Vietnam.
Le détour historique nous permet d’ailleurs de mesurer par comparaison combien d’autres féministes anticoloniales ont pu à certains moments de l’Histoire assumer des positions qui seraient absolument inaudibles aujourd’hui. Mettons par exemple en regard la prise de position de Butler avec celle de Beauvoir pendant la guerre d’Algérie, quand elle parle des méthodes du FLN. Il s’agit bien sûr d’une situation différente, car Beauvoir faisait partie de la nation colonisatrice. Dans ses Mémoires, parues peu de temps après la fin de la guerre, elle explique :
« Nous refusions de nous indigner contre les méthodes de lutte du FLN. “On ne fait pas la guerre avec des enfants de chœur”, répétait-on du côté des paras [parachutistes, et autres militaires français]. Cependant, on criait à l’assassinat quand en France les militants algériens liquidaient des traîtres. Alors que le Français en égorgeant, violant, torturant, prouvait sa virilité, le terroriste algérien manifestait l’ancestrale “barbarie islamique”. En vérité, l’ALN n’avait pas le choix : elle se battait avec les moyens du bord. Pourtant, parmi ceux mêmes qui reconnaissaient la validité de ses objectifs, nous n’étions qu’une poignée à récuser la symétrie : terrorisme-répression. Par précaution, mais aussi avec une vertueuse sincérité, quand ils dénonçaient les tortures et les ratissages, la plupart commençaient par déclarer : “Bien entendu, nous savons que de l’autre côté il y a de terribles excès”. Quels excès ? Le mot ne convenait à aucun des deux camps. Jamais Camus ne prononça de phrases plus creuses que lorsqu’il demanda : pitié pour les civils. Il s’agissait d’un conflit entre deux communautés civiles ; les ennemis des colonisés, c’était d’abord les colons, accessoirement l’armée les défendait : celle-ci ne pouvait vaincre qu’en anéantissant les populations en qui résidait la force de l’ALN ; c’est cette nécessité même qui loin de justifier son action la condamnait. Le massacre d’un peuple misérable par une nation riche (fût-il exécuté sans haine, comme l’affirme un jeune parachutiste), soulève le cœur. Nos convictions relevaient du bon sens ; pourtant elles nous coupaient de l’ensemble du pays et elles nous isolaient au sein de la gauche même » (Simone de Beauvoir, La force des choses II, Paris, Gallimard, 1963, p. 89 et 90. )
On voit que de ce point de vue-là, la situation ne s’est pas améliorée aujourd’hui, elle s’est même aggravée. Pour conclure, comment comprendre en dernière instance une telle réaction face aux propos de Butler, qui sont pourtant de l’ordre du débat intellectuel : comment qualifier des faits, jusqu’où pousser le cadre d’analyse colonial pour les caractériser ? Il n’y a qu’une seule façon possible. Aujourd’hui, il est impossible même pour une intellectuelle, pourtant concernée, dont la famille a connu la Shoah, de parler de colonisation et de génocide. Toutes les voix qui s’élèvent pour le dénoncer doivent être tues. À quoi sert cette fausse polémique ? À montrer que personne n’est à l’abri du discrédit. Même si vous êtes Judith Butler, on vous fera taire.
Quand Butler prononce ces mots, elle semble souffrir presque physiquement à les dire. Elle connaît d’avance les conséquences qu’ils auront. Mais quelque chose de plus fort qu’elle et que ses propres intérêts la pousse à parler quand même. Quelque chose qui fait également qu’aujourd’hui, nous devons répondre à sa demande, et dire collectivement : oui, Judy, nous te défendons alors que tu es attaquée, car à travers toi, nous défendons autre chose, la Palestine. Il faut que le génocide cesse maintenant. »
Voilà. Et je répète après elles, après Judith Butler « oui, Judy, nous te défendons alors que tu es attaquée, car à travers toi, nous défendons la Palestine. Il faut que le génocide cesse maintenant.
Ajouté ceci sur FB:
PS: je dédie cet article à tous les amis Algériens ou non, farouches et très agités défenseurs des Droits humains et, concernant les Palestiniens, étrangement silencieux ou balbutiant à peine depuis le 7 octobre. Je me méfie des stratégies, elles sont parfois grises ou sombres, for peu honorables.
_________________
J'ai trouvé ce billet par hasard..... C'est vraiment DINGUE !
____________________
_____________________
JUDITH BUTLER in Mediapart
Comme je l’ai indiqué dans mon article du 10 octobre dans la London Review of Books ("The Compass of moutning"), repris ensuite dans AOC (« Condamner la violence ») le 13 octobre, j’ai été profondément angoissée face aux massacres de citoyens israéliens juifs du 7 octobre, et j’ai condamné le Hamas pour avoir commis ces atrocités. Je ressens toujours la même chose en tant que juive et en tant que personne.
Il est également vrai que le deuil et la condamnation ne commencent ni ne s’arrêtent là. Les décennies de violence qui ont conduit à cet événement, en particulier celles perpétrées par les forces d’occupation, sont antérieures au 7 octobre, de sorte que l’histoire que nous devrions raconter devrait commencer plusieurs décennies plus tôt.
Depuis cette première déclaration, les attaques israéliennes à Gaza ont fait près de 30 000 morts, et ces morts me poussent à pleurer et à condamner à nouveau. Je me retrouve donc dans la situation difficile, que je partage avec beaucoup d’autres personnes à travers le monde, de pleurer toutes les morts qui sont survenues au cours de cette guerre brutale.
Dans mes remarques, jai suggéré que nous devions interpréter ces attaques, aussi horribles soient-elles, comme une tactique politique. Il est vrai que l’on peut clairement entendre de l’antisémitisme dans les enregistrements qui nous sont parvenus. On ne peut le nier. Cependant, la principale motivation du Hamas était de défier une puissance militaire coloniale, pour montrer qu’ils étaient capables de faire une incursion sur le territoire israélien, de tuer et de détruire, de frapper Israël là où cela ferait mal. Le résultat fut une série d’atrocités.
L'attaque du Hamas en octobre est venue de la faction armée d’un parti politique qui administre Gaza et je reste disposée à décrire cette attaque comme une forme de résistance armée à la colonisation, et au siège et à la dépossession en cours. Cela ne revient pas à glorifier leurs atrocités. Et cela ne signifie en aucun cas que je soutiens les actions du Hamas ou que je considère que leurs actions sont justifiées.
Toutes les formes de « résistance » ne sont pas justifiées, et certaines, comme celles-ci, appellent véritablement une condamnation. Les violences sexuelles commises par le Hamas et documentée par le rapport de l’ONU sont graves et inexcusables. L’antisémitisme et le racisme anti-arabe doivent être combattus de la même manière. Pour moi, les meurtres d’habitants de Gaza commis par des Israéliens, perpétrés sans honte ni retenue, méritent tout autant d’être condamnés.
Il est grand temps que la communauté internationale, en particulier les acteurs de la région, se réunisse pour trouver une solution juste et durable qui permette à tous les habitants de cette terre de vivre dans l’égalité, la liberté et la justice. Pour ce faire, nous devons trouver les moyens de comprendre les raisons de la violence sans avoir recours (a) à des justifications rapides et douteuses ou (b) à des caricatures racistes pour s’y opposer.
Mon engagement consiste à développer une manière d’imaginer l’égalité radicale des vies « pleurables ». C’est d’ailleurs le thème des conférences que je donne ce printemps à l’École normale supérieure. L’une des raisons pour lesquelles j’affirme une philosophie de la non-violence est qu’elle me permet d’avoir un point de vue sur la guerre ou sur les conflits prolongés qui ne revienne pas nécessairement à prendre position dans la guerre.
Je réfléchis sur la guerre et, comme beaucoup d’autres qui ont réfléchi sur la guerre, je mets l’accent sur une position de réflexion critique qui se distingue des perspectives des parties engagées dans le conflit. Cela signifie également que j’essaie constamment de comprendre comment une paix véritable pourrait être mise en place et comment les acteurs militaires pourraient déposer les armes et échanger les uns avec les autres à la table des négociations.
Si nous voulons demander aux gens de déposer les armes – et j’espère que telle est notre volonté – nous devons comprendre pourquoi ils les prennent. Conduire ce type d’enquête historique ne revient pas à justifier la violence qu’ils infligent.
Expliquer n’est pas exonérer, comme j’ai essayé de l’expliquer dans Vie précaire. En effet, pour parvenir à un monde de cohabitation non violente, il sera nécessaire de comprendre l’histoire de la domination coloniale, ses structures et ses pratiques actuelles, afin de mettre fin à cette domination. La cohabitation ne peut fonctionner sans établir au préalable des conditions d’égalité.
Pour ma part, les idéaux d’égalité et de cohabitation ont guidé l’ensemble de mon travail, tout comme mon attachement à des modes d’action et de mobilisation politiques non violents. En effet, les moyens que nous utilisons reflètent le monde que nous voulons créer, et c’est pourquoi la non-violence, même si elle est difficile à pratiquer, offre une perspective dont nous ne pouvons pas nous passer.
C’est avec tristesse que je constate les efforts déployés pour déformer et caricaturer mes propos et mon travail. Cependant, je me réjouis des discussions en cours avec l’École normale et le personnel du Centre Pompidou pour dissiper les malentendus qui ont pu émerger.
Judith Butler, 6 mars 2024, in Mediapart -
_____________________
Lire :
https://blogs.mediapart.fr/judith-butler/blog/110324/apres-pantin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire