Il
a plu cette nuit de dimanche à lundi. Il ne fait pas chaud, mais je n’irai pas
à parler de petite laine, nous en sommes loin. Métro Grande poste Tifourah.
Toujours du monde. Lorsqu’arrive mon tour je demande « un aller pour La
foire s’il vous plaît ». Le guichetier me tend le ticket. Je lui demande
s’il combine bien les deux trajets métro et tram. Il est sur le point de
répondre, mais derrière moi un homme s’impatiente. Depuis un moment d’ailleurs,
à vouloir passer devant sans bonne raison, un handicap, je ne sais... Il tend
son bras par dessus mon épaule (il est grand l’abruti) et pause une pièce sur
la plate-forme. Je lui demande si cela l’ennuie d’attendre son tour. Il me
répond « je suis pressé ». Plus abruti que cela tu meurs aurait dit
mon fils, ou ma fille, à l’âge de son adolescence. Il insiste et répète
« tu nous fais perdre notre temps ». Je lui fais signe, l’invite à
passer devant. J’étais sur le point de l’applaudir, mais je lui dis simplement
« vous ne manquez pas de culot, mais beaucoup de respect ». «
Tu monopolises le guichet. » Personne n’a rien dit. Pas d’approbation, pas
d’acquiescement, en tout cas, non exprimés. Neutralité.
Arrivé
à « La foire » je prends deux galettes, m’semen aux oignons, des
M’hajba » (50DAX2). Au stand de
l’Institut français Amhis Djouhar raconte une histoire à une quinzaine de
gamins attentifs. A l’Esprit Panaf une table-ronde s’apprête à commencer. Je
m’installe. « Quel regard sur le temps qui passe ? » Vaste et
inextricable question. Il y a des confusions dans l’air. On confond temps,
mouvement, durée… (vidéo)
Cette
question fut l’objet principal de mon premier roman, il y a quinze ans…
« Le temps d’un aller simple », lui-même aussi confus (normal) que la
question. Voici ce que j’y écrivais (entre autres), page 105 :
« Le mercredi, d'un commun accord nous
quittâmes tôt la rue Dejean pour la porte de Clichy. Le pieux patron qui nous
vit sortir ne répondit pas à notre "au revoir" mais baissa la tête et
tira sur sa moustache. Puis il cracha, contraint par la chique ou bien pour
nous maudire. Par je ne sais quelle combinaison sinon celle du hasard nous
tombâmes dans la rue saint Honoré. Un passant qui tuait son temps s'alarma
devant mon visage défait et son regard sur le mien. Il devina que nous étions
perdus. J'ai naturellement bafouillé quelques mots pour justifier notre
égarement. "Prenez sur la Madeleine puis les Mathurins dit le passant.
Surtout ne vous y arrêtez pas. Continuez sur votre gauche. Plus loin vous aurez
Rome sur votre droite et Messine sur votre gauche. Ne prenez ni l'une ni
l'autre. Allez tout droit devant vous. A saint Augustin redemandez votre
chemin". L'inconnu n'avait pas tout à fait tort et sa conviction était
graniteuse. Il ajouta à Katarina : "Et bonne chance parce qu'avec ce sac à
dos…!" Elle sourit et l'homme s'évapora. Nous arrivâmes devant la place le
métro l'église et le bar-tabac saint Augustin. Nous ne vîmes pas le temps passer.
A hauteur d'yeux sur la partie gauche du portail de l'église une plaque sans
âge se laisse parcourir. Elle brave l'éternité et nous met en garde : Ecce puta uox corporis incipit sonare…
Imagine-toi qu'une voix corporelle commence à se faire entendre, qu'elle continue
à se faire entendre, et puis qu'elle cesse, et que le silence lui succède.
Alors cette voix est passée, et ce n'est plus une voix : elle était à venir
avant qu'elle se fit entendre ; et comme elle ne pouvait alors être mesurée,
parce qu'elle n'était pas encore, elle ne le saurait être maintenant, à cause
qu'elle n'est plus. Elle pouvait donc être mesurée pendant qu'elle résonnait,
parce qu'elle était, et qu'ainsi on la pouvait mesurer ; mais en ce temps-là
même elle n'était pas ferme et stable, puisqu'elle marchait et passait. Amen.
- Tu as compris ? »
Boudjedra,
pour justifier sa grandeur ou sa hauteur (il ne connaît pas Montaigne (pas Beaumarché)
peut-être ? « Sur le plus haut trône du monde, on a beau s’élever… »), ne se présente pas
laissant en plan le public. Amin Zaoui arrive. Evoque sa famille, particulièrement
l’amour qu’il porte à sa mère et celui qu’elle-même et son mari partagent… et
de ses romans et nouvelles. Son parler est direct, courtois. En arabe
dialectal, une réjouissance, mais aussi en français. De nombreuses questions
furent posées, certaines fortement marquées par des contenus idéologiques
rétrogrades qu’il a su remettre à leur place, et passer à la littérature.
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