-->
Jeudi
27. La journée ne s’annonce pas moins chaude que celle qui l’a précédée, mais
sait-on jamais. Il fait bon donc et le beau ciel bleu est parsemé de moutons
blancs fort silencieux. P’tit déj vite avalé et me voilà à l’air libre.
Derrière la poste, les revendeurs de livres d’occasion sont là comme hier.
J’achète (200 DA) une carte (70X60 cm environ) intitulée « Séisme
d’Orléansville du 9 septembre 1954 ». Elle est datée de la même année.
Tous les détails y sont donnés : nombre de « tués (Européens,
Musulmans, Total), destructions (maisons, gourbis) »… Le vendeur me
propose toute une panoplie de cartes de l’époque coloniale : cartes des
vins d’Algérie, cartes des minerais, des populations… Je choisis celle du
tremblement car on y voit la région de mes ancêtres : Béni Merzoug,
Talassa, Ténès, Beni Haoua… On disait
que ce tremblement était une réponse de Dieu à l’égarement des Hommes. Dans
notre région aucun mort n’a été déclaré aux statisticiens.
Maintenant,
avant de prendre le métro, il me faut acheter les journaux.
« Là-bas » me dit un gars, juste à droite, après le carrefour. Je
prends El-Watan, et Liberté. Je ne trouve pas Le Quotidien d’Oran « On ne
nous l’a pas livré ». Même réponse qu’hier ailleurs. C’est étonnant, car
l’année dernière on m’avait donné exactement cette même réponse à plusieurs
reprises. Il y a comme un couac. Bref. Je pénètre la bouche de Métro Tafourah.
Achète un ticket, Métro et Tram combinés (70 DA) et m’engouffre, lorsque
j’entends « hé Parisien, Parisien ! » trois fois. Je me
retourne. C’est un employé du métro hilare. Il me fait signe en brassant l’air
devant son visage avec tout son bras, sa main, ses doigts « par là,
monsieur ». Mais pourquoi « Parisien ? » Ils se marrent
(ils sont deux) et moi aussi… Je comprends que je prenais une voie sans issue.
Dans El Watan, en page 5, un article et un entretien attirent mon attention. Ils
concernent l’avocat irréductible défenseur des Droits de l’homme Mokrane Aït
Larbi (« un droit-de-l’hommiste » ironisaient certains proches du
régime – qui se déclaraient opposants – dans les années 91-95...) J’ai beaucoup
de respect pour cet homme (ainsi que pour son frère Arezki). Dans l’article le
journaliste Hacen Ouali écrit très justement : « Les rares libertés dont
jouissent les Algériens sont les acquis d’un combat acharné et courageux mené
et assumé par une poignée de militants qui ont fait un choix difficiles pendant
que d’autres ‘‘ravalaient honteusement leurs convictions’’, aujourd’hui érigés
en chevaliers de la démocratie ». Merci monsieur Ouali. Oui, des gens ont
lutté pour la démocratie en Algérie depuis les débuts de l’indépendance, alors
que d’autres ont soutenu, directement ou indirectement (« soutien
critique »), la dictature, puis ont tourné casaque… aujourd’hui ils se
sont « érigés en chevaliers de la démocratie ». Dans l’entretien
l’avocat fait le constat que « jusqu’à un passé récent, le ministère de la
justice, comme toutes les autres institutions d’ailleurs, dépendait d’un
colonel du DRS. » Cela fait du bien parfois de mettre de tous petits points
égarés, sur les i orphelins de ces dits points.
Ah,
mais c’est que nous sommes arrivés « à la foire ». Le soleil réussit
tant bien que mal à se frayer un espace entre les nuages.
Ce
n’est pas encore la grande foule, mais nous ne sommes qu’aux premières heures
de l’ouverture. Dans le hall central, à la salle des conférence a lieu une
rencontre, en arabe : « El I’lam wa ethaqafa jenben ila jenben emm
wejhen li wejh ? » L’information et la Culture côte à côte ou face à
face ? Je questionne. « C’est Saâd Bouokba d’El-Khabar dit un
homme, un grand bandit… ». Cet homme est enseignant à l’université il
poursuit « Cet individu se dit opposant, mais en réalité il n’en est
rien ». Au stand B36 occupé par El-Ibriz j’achète « Momo le poète
béni » de Amar Belkhodja (300 DA). En exergue l’auteur a porté ces mots de
Momo : « Il vaut mieux aider un homme qui reconnaît avoir été le véhicule
d’une erreur que de seconder un autre qui prétend diriger la vérité » et
chez Gallimard, un peu plus loin, je prends « Journaux de voyage » de
Camus (300 DA). Un des rares ouvrages de lui que je n’ai pas. Je lis en page
99 : « Fatigué de noter des riens… » Sur le stand de l’Égypte,
pays invité d’honneur de cette édition, Mahmoud Darwich clame sur un grand
écran un de ses poèmes qu’il achève par un « Khallastou li… », mais
je n’en suis pas sûr, devant une centaine de personnes aux anges. Le documentaire
date du 26 janvier 2004, un peu plus de quatre ans avant la disparition du
légendaire poète.
13h30 :
« un peu d’air », sandwich… Dans le hall Casbah il y a des dizaines
d’éditeurs, rez-de-chaussée et étage, essentiellement en arabe. Je ne m’y
attarde donc pas. 14 heures. Une affiche informe la présence de Dany La
ferrière pour lundi prochain. Je serai loin.
Impossible
de trouve le stand C20, où a lieu une rencontre avec entre autres Agnès
Spiquel. Au plafond est suspendue (en plusieurs endroits) une grand affiche
bleue sur fond blanc mentionnant « El-mountaqa, Zone, C » el-mountaqa
qui signifie ‘zone’ est écrit en arabe. Aucune info, ou très peu, sur les
allées. Certains stands sont indiqués « A 20 », « C30 »…
pas tous. C’est plutôt aléatoire. Cette zone semble désigner l’ensemble du
bâtiment ou une grande partie… Je lis enfin « Chihab », le stand C20
que je cherche. Je reconnais Agnès Spiquel que j’interpelle aussitôt. Je lui
remets mon « L’Arabe dans les écrits d’Albert Camus ». Elle me
demande de le lui dédicacer. « Avec mes plus vifs remerciements pour vos
travaux » Elle est en charge des Études camusiennes depuis longtemps où
elle abat un travail phénoménal. Elle me dit qu’elle référencera mon livre.
Plus
loin, dans le stand de l’Égypte, le ministre algérien de la culture, Azzedine
Mihoubi fait l’éloge de « ce pays frère ». La crème de la culture
officielle des deux pays est ici agglutinée. Manque que les youyous. Un jeune
m’interpelle. Il croit (je ne sais pourquoi, peut-être parce que je prends des
notes ?) que je suis journaliste. Il me demande si j’ai la liste des
ouvrages interdits de salon. Je lui réponds que non. Ce jeune cherche un livre
dont le titre est « La casquette et le cigare » d’un certain Ghani Mahdi.
Non je ne connais ni ce titre ni ce monsieur. « C’est un journaliste de El
Mgharibiya ». Non, je ne connais pas, mais je comprends que le titre soit
interdit… « la casquette »…
« Bonjour
Amel Bouaqba » (Canal Algérie), « tiens ». Je lui remets
« Débâcles » etc… Je tourne, tourne. A hauteur du stand où je me
trouve, « El Majless el Aâla Li elloughati el arabiya » arrive le ministre
entouré de sa cohorte. Je l’apostrophe « tenez monsieur le ministre, je
vous offre mon recueil de poésie, faites votre tri… » Il prend
« aâtik Saha, Choukr »… quelque chose comme ça. Il est pressé. Il
pend le livre, le feuillette, en fait comme un rond de serviette, c’est dire.
Et il sourit par-dessus le marché. Sa garde rapprochée le presse.
15h45,
de nouveau la grande salle des rencontres (ou des conférences). Jean Noël
Pancrazi parle de ses romans. Un gars d’ici « je suis Algérien, un enfant
du Bled, de Batna… huit ans en 62… » Inexact, peut-être la mémoire qui
joue des tours. Il est né en 49, alors 13 plutôt que 8 non ? Il parle de
ses livres Montecristi, Madame Arnoul, Indétectable »… Et c’est Youcef
Sayah l’animateur de l’émission hebdomadaire (mardi) « Expression
livres » qui le présente, avant les questions de la salle. A la fin de la
rencontre je discute avec l’un et l’autre.
17
heures, peut-être rentrer. La journée s’annonçait chaude, elle ne le fut pas
vraiment. Tram et métro (la clim rend malade). Dans la chambre d’hôtel je me
connecte à l’Internet. Non, je tente de me connecter. Ca ne marche pas. Le
matin oui, le soir non. Comme hier. Je prends l’ordi, le place à tel angle de
la pièce, à tel autre, derrière la fenêtre, sur le balcon. Tiens là peut-être.
Oui le signal indique une possibilité, la page Google apparaît, mais pour se
fige aussitôt. Insister est peine perdue… Dans le journal télévisé, des
attributaires de logements disent haut et fort leur grande satisfaction
« Louange à Dieu, vive l’Algérie, vive Bouteflika… » et lancent des
youyous. Un peu plus tard un long documentaire est consacré à Kateb Yacine mort
à Grenoble à 60 ans, le 28 octobre 1989. Un docu qui n’a plus d’âge (2002)où
l’on voit ses amis Khalfa, Zamoum, Mediène le raconter. Et sa jeune sœur… et un
long silence au SILA. Silence au sila.
------------
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire