Au SALON INTERNATIONAL DU LIVRE D’ALGER _ SILA
1
Nous avons quitté Oran par sa gare, tôt le matin, hier
vendredi. Il était 8 heures. Le train est un Rapide. Départ à l’heure prévue
moins trois minutes. Arrêt à Chlef. La voiture où nous nous trouvons est
pleine. Des voyageuses s’énervent à propos de rideaux à tirer ou non. Les
passagers restent cois, mais pas le contrôleur « Sallou ala ennbi… »
Il réussi à les calmer, mais entre temps des injures avaient fusé… Il fait
chaud lorsque nous arrivons à 10 heures à Chlef et que les esprits sont sur le
qui-vive, on ne sait jamais. Cinq minutes d’arrêt. On a eu droit à un thé
(gratuit) et à des biscuits, sandwichs (payants)… distribués à partir d’un
chariot sans âge, conduit par une jeune et charmante employée en tenue SNTF,
bleu-nuit sur lequel est porté bien en vue le nom de l’employeur. Blida,
Boufarik… Nous atteignons Alger gare Agha à 12 heures 55. Recherche d’un hôtel
ni trop cher, ni inconfortable… A cette heure-ci, un jour sain, tout est ou presque
tout est closed. Débrouillez-vous. Face au fameux hôtel Aletti une gargote
propose des sandwichs. Une étrangère, (européenne ?) entre avec ses deux
enfants. Le serveur lui dit instantanément « pas maintenant madame ».
J’ai comme l’impression qu’il s’agit là d’un refus de servir parce qu’elle est
femme, puisque moi-même suis servi, « un sandwich steak
haché-frites ». La pauvre femme reprend « pas
maintenant ? » et sort. Elle ne semble pas avoir saisi, et j’en suis
presque honteusement content. Content qu’elle n’ait pas saisi la saloperie du
gars, un sexisme doublé de xénophobie. Alors que je quitte la sandwicherie, à
l’extérieur trois hommes sortis, je ne sais comment, d’un imposant 4X4 sautent
sur un homme qui semble avoir picolé un peu. On ne lui pardonne pas d’avoir bu
un jour sain (au nom de quelle loi ? la leur). En trois temps, trois
mouvements, le malheureux, un tas désarticulé, est brutalement jeté dans le
véhicule qui part en trombe vers une destination trouble.
Taxi, direction le Palais des expositions. 500 dinars
demande le premier, 700 le deuxième, 300 le troisième. Arrivé à hauteur du
Palais, le chauffeur du taxi ne sait pas trop si l’impressionnante queue devant
nous est formée par des admirateurs de tel ou tel écrivain ou bien par des
mordus du super Centre commercial R 10 ( ? histoire de pirate… ne cherchez
pas à comprendre…) appartenant dit-il à Saïd Bouteflika… Je ne peux l’aider.
Le Palais des expositions déborde de clientèles.
L’Institut français est archi bondé. Autour de Salim Bachi qui répond
patiemment à toutes les questions, les spectateurs sont très attentifs.
Benjamin Stora qui lui succède répond aux cinq questions de l’animateur
puis s’empresse d’aller vendre ses livres…
Trois allées plus loin je rencontre Nadia Sekhi
et Hassina Hadj Sahraoui, les courageuses animatrices des revues Livresq
et Salama. Echanges et perspectives…
Je reviendrai. 17 heures, la foule se fait plus compacte
- impressionnante - et cela me perturbe quelque peu. Je prends le tram
jusqu’à Ruisseau puis le Métro jusqu’à Tifoura, la Grande poste. Je continue à
pied jusqu’à l’Institut français. Maïssa Bey et Laure Adler (magnifique)
évoquent le dernier roman de Maïssa « Hizya ». Une collation est
offerte par les responsables. Monsieur l’ambassadeur est parmi nous, ainsi que
du directeur du lieu et d’autres collaborateurs… Nous avons passé un long
moment à échanger avec l’auteure de Hizya ainsi qu’avec Laure Adler. Je lui dis
toute mon admiration. Et lui offre mon « Arabe dans les écrits d’Albert
Camus ». Elle parle de son métier, de ses expériences diverses au milieu
du monde médiatico-politique… de son ancien poste auprès de Mitterrand… Une
collation dans les jardins de l'Institut a lieu.....
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2
Toilette de chat et café-crème avec m’semen légèrement
croustillant et confituré. « Quinze mille » réclame le serveur,
jovial. Dans les rues attenantes à l’hôtel (changement) les passants sont
nombreux et les curieux tout autant. Les marchands de fleurs sont joyeux, pas
les chauffeurs qui klaxonnent à tout rompre. Certains passagers arborent à
travers les portières (ou sur les toits) des drapeaux d’équipes de football (ou
de hockey-sur-glace ?) et chantent « Palestine, chouhada… »
L’excitation ambiante renvoie probablement au match de football USMAlger-TPMazembe
de ce soir, à moins que cela n’annonce une soirée révolutionnaire dédiée aux « valeureux-martyrs-de-la-noble-et-bienheureuse-Révolution-de-Novembre ».
Oui, mais trahis les martyrs et la Révolution jusqu’à la moelle. La place du
Cheval ou de l’Emir est saturée. La Librairie du tiers-monde est chagrine. La
façade du Beaumarché est triste. Fermé depuis des lustres.
Métro à Tafourah. Direction La foire en passant par le
tram à prendre au Ruisseau : 40 minutes environ. « 70 Da monsieur
tout compris ». 1° Mai, Aïssat Idir… Jardin d’Essai, Les fusillés. Puis
Tripoli-Taâlabia, Tripoli-mosquée, Tripoli-Hamadach…. En arabe Tripoli se
dit Tarabouls. Croyez-moi, j’entendais « Garagous » ce qui signifie
« Marionnettes »… Allah ghaleb, le temps qui passe agresse nos
organes, et c’est pourquoi l’indulgence à l’égard de mes auditifs doit être de
mise.
Je continue. La foire enfin, on pourrait préciser le
Salon. Mais non, on dit le plus souvent La foire… Je vous passerai les détails.
Maracaña, le mythique et immense stade brésilien craquerait devant l’importance
de cette foule dont je fais partie. Nous sommes partout, tout est monde, tout
est mouvement, tout est zdihem… Le Salon de Paris m’apparaît soudainement
ridicule en terme de fréquentation. Les mauvaises langues (je les ai entendues)
disent que 70 à 80% des fréquentations du Salon bénéficient aux livres
orientaux, aux livres religieux. Mauvaises langues. Je rencontre beaucoup de
collègues, des libraires, des éditeurs (charmantes de Sédia), des auteurs…
notamment le pétillant Caryl Férey qui parle de l’écriture avec une grande
élégance à l’espace dédié à l’Institut français.
Notre ami Mohamed Balhi donne une interview à une
télévision et Yamina Benguigui ne sait plus où donner de la tête, mais son film
« Inch Allah Dimanche » projeté là-bas dans la salle Ali Maachi
n’attire pas…
Le soir, devant la Grande poste, face à un écran géant,
la foule des supporters de football qui s’échauffent, chantent, crient,
dansent… Le match sera viril et la victoire certaine… Raté. Malgré la défaite
des algérois USMAlger : 0 – TPMazembe : 2, la fête a duré longtemps
dans la nuit, se confondant avec celle du 1° novembre 54… Des coups de canon
(ou d’autre chose) sur la baie (ou ailleurs), je n’en sais rien, mais aussi des
sirènes de bateaux, clôturent une journée folle de promesse. Les boules Quies
font le reste. Nos « valeureux-martyrs-de-la-noble-et-bienheureuse-Révolution-de-Novembre »
peuvent dormir (pas en paix, non, pas possible).
Je n’irai pas à La foire ce dimanche, je me le promets.
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3
Il a plu cette nuit de dimanche à lundi. Il ne fait pas
chaud, mais je n’irai pas jusqu’à parler de petite laine, nous en sommes loin.
Métro Grande poste Tifourah. Toujours du monde. Lorsqu’arrive mon tour je
demande « un aller pour La foire s’il vous plaît ». Le guichetier me
tend le ticket. Je lui demande s’il combine bien les deux trajets métro et
tram. Il est sur le point de répondre, mais derrière moi un homme s’impatiente.
Depuis un moment d’ailleurs, à vouloir passer devant sans bonne raison, un
handicap, je ne sais... Il tend son bras par dessus mon épaule (il est grand
l’abruti) et pause une pièce sur la plate-forme. Je lui demande si cela
l’ennuie d’attendre son tour. Il me répond « je suis pressé ». Plus
abruti que cela tu meurs aurait dit mon fils, ou ma fille, à l’âge de leur
adolescence. Il insiste et répète « tu nous fais perdre notre
temps ». Je lui fais signe, l’invite à passer devant. J’étais sur le point
de l’applaudir, mais je lui dis simplement « vous ne manquez pas de culot,
mais beaucoup de respect ». « Tu monopolises le guichet. »
Personne n’a rien dit. Pas d’approbation, pas d’acquiescement, en tout cas, non
exprimés. Neutralité.
Arrivé à « La foire » je prends deux galettes,
m’semen aux oignons, des M’hajba » (50DAX2). Au stand de l’Institut
français Amhis Djouhar raconte une histoire à une quinzaine de gamins
attentifs. A l’Esprit Panaf une table-ronde s’apprête à commencer. Je
m’installe. « Quel regard sur le temps qui passe ? » Vaste et
inextricable question. Il y a des confusions dans l’air. On confond temps,
mouvement, durée… (vidéo)
Cette question fut l’objet principal de mon premier
roman, il y a quinze ans… « Le temps
d’un aller simple », lui-même aussi confus (normal) que la question. Voici
ce que j’y écrivais (entre autres), page 105 : « Le mercredi, d'un
commun accord nous quittâmes tôt la rue Dejean pour la porte de Clichy. Le
pieux patron qui nous vit sortir ne répondit pas à notre "au revoir"
mais baissa la tête et tira sur sa moustache. Puis il cracha, contraint par la
chique ou bien pour nous maudire. Par je ne sais quelle combinaison sinon celle
du hasard nous tombâmes dans la rue saint Honoré. Un passant qui tuait son
temps s'alarma devant mon visage défait et son regard sur le mien. Il devina
que nous étions perdus. J'ai naturellement bafouillé quelques mots pour
justifier notre égarement. "Prenez sur la Madeleine puis les Mathurins dit
le passant. Surtout ne vous y arrêtez pas. Continuez sur votre gauche. Plus
loin vous aurez Rome sur votre droite et Messine sur votre gauche. Ne prenez ni
l'une ni l'autre. Allez tout droit devant vous. A saint Augustin redemandez
votre chemin". L'inconnu n'avait pas tout à fait tort et sa conviction
était graniteuse. Il ajouta à Katarina : "Et bonne chance parce qu'avec ce
sac à dos…!" Elle sourit et l'homme s'évapora. Nous arrivâmes devant la
place le métro l'église et le bar-tabac saint Augustin. Nous ne vîmes pas le
temps passer. A hauteur d'yeux sur la partie gauche du portail de l'église une
plaque sans âge se laisse parcourir. Elle brave l'éternité et nous met en garde
: Ecce puta uox corporis incipit
sonare… Imagine-toi qu'une voix corporelle commence à se faire entendre,
qu'elle continue à se faire entendre, et puis qu'elle cesse, et que le silence
lui succède. Alors cette voix est passée, et ce n'est plus une voix : elle
était à venir avant qu'elle se fit entendre ; et comme elle ne pouvait alors
être mesurée, parce qu'elle n'était pas encore, elle ne le saurait être
maintenant, à cause qu'elle n'est plus. Elle pouvait donc être mesurée pendant
qu'elle résonnait, parce qu'elle était, et qu'ainsi on la pouvait mesurer ;
mais en ce temps-là même elle n'était pas ferme et stable, puisqu'elle marchait
et passait. Amen.
- Tu as compris ? »
Boudjedra, pour justifier sa grandeur ou sa hauteur (il
ne connaît pas Montaigne (pas Beaumarché) peut-être ? « Sur le plus haut
trône du monde, on a beau s’élever… »), ne se présente pas laissant en
plan le public. Amin Zaoui arrive. Evoque sa famille, particulièrement l’amour
qu’il porte à sa mère et celui qu’elle-même et son mari partagent… et de ses
romans et nouvelles. Son parler est direct, courtois. En arabe dialectal, une
réjouissance, mais aussi en français. De nombreuses questions furent posées,
certaines fortement marquées par des contenus idéologiques rétrogrades qu’il a
su remettre à leur place, et passer à la littérature.
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4
Mardi 3 novembre. Non loin de la Grande poste les
bouquinistes s'installent pour une nouvelle aventure... Je me suis rendu
directement au Musée des Beaux-Arts. 70 marches, rappelez-vous et 200
dinars. « Laissez votre sac à dos à l’entrée. Gardez bien le
ticket ». Numéro 4. Longue bâtisse sur quatre niveaux.
De sa terrasse on peut observer toute la baie de la
capitale. « Quelques photos s’il vous plaît. C’est pour mon site, vous ne
connaissez pas ? 10 ans pourtant et beaucoup de visiteurs… http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/
. C’est pour faire connaître ce magnifique lieu ». « Une
seule ? » « non quelques-unes ». J’ai renouvelé cette
demande plusieurs fois car les gardiens qui circulent à travers les différentes
travées sont nombreux. Que de beaux ouvrages en effet, de la peinture, de
la sculpture, art déco et contemporain… bref, des siècles d’histoire de l’Art
en Algérie. De Utrillo, Bourdon à Matisse, Vlamenck, de Gammiéro à
Maya. De l’espace Belmondo à Racim… Un régal. Deux heures plus tard, je ne
sentais plus mes jambes. Il me fallait reprendre quelques forces, attablé
à la gigantesque terrasse.
Je reprends le métro et le tram jusqu’à… vous avez
deviné : « La Foire ! » Mon ami… A.K. me fait faux bond. Un
sociologue très demandé. Je prends un thé dans la grande Kheima de Béchar. Les
allées du Salon me semblent moins bondées. On circule mieux. C’est moins le
souk. Si la majorité des personnes ont le cou libéré, d’autres portent, pendues
autour, des cartes rouges avec cette mention « 20° SILA », d’autres
celle-ci « Presse », sur des cartes blanches. De la chaise où
je me suis installé pour charger mon appareil photo (j’ai oublié de m’en
occuper à l’hôtel). J’aperçois au stand du très sérieux CRASC, un professeur
que je connais pour avoir participé à une de ses interventions (en cercle
réduit) à Manosque. Monsieur Q. J-M. Il tient entre les mains le dernier
ouvrage (reconnaissable par ses volume et couleurs) du centre de recherches
anthropologiques. CRASC : « Dictionnaire du passé de
l’Algérie : de la préhistoire à 1962. » Je débranche mon Leica Lumix
le temps de prendre en photos monsieur le professeur. Il est plongé sur
la même page qu’il semble lire et relire. Je participerai un peu plus tard à sa
conférence intitulée « L’enfant, le livre et l’école : l’expérience
française »
Tiens voilà quelqu’un d’autre que je connais (ou plutôt
« reconnais », nos relations sont certes amicales, mais
superficielles). S. H. éditeur de son état. « Bonjour, bonjour »
« quoi de neuf, » « ça va ? » « oui ça va »
« et Marseille ? » « Ah, Marseille… » J’ai peine à
comprendre ce qu’il dit. Il traîne d’une main une lourde (en apparence)
valise mauve sur roulettes noires et de l’autre il presse un sandwich
quelconque, qu’il porte à sa bouche encore pleine. Il lève un bras pour dire
« désolé, je dois continuer ». Il ne le dit pas, car il mâche,
goulûment, son sandwich, mais je comprends. Il hoche la tête devant une dame
qui le croise. Une journaliste. Elle le croise, elle vient donc vers moi. Cette
fois ce sont nos propres regards qui se croisent. Dans le sien je vois un point
d’interrogation aussi gros qu’une boule de pétanque prête à être lancée sur le
cochonnet qui l’attend. Je lui tends la main et lance « La
Tribune ? », elle dit « Chaîne 3 ». Les journalistes, comme
les éditeurs, et contrairement aux chercheurs, sont toujours pressés.
L’actualité leur colle au corps pour mieux les berner et nous avec. Je lui
offre mon dernier recueil dont elle lit le titre et lance « Ah
ghrompawghawch ! ». Comme vous, moi non plus je n’ai pas vraiment
saisi ce qu’elle m’a envoyé. Etait-ce une amabilité ? Pendant ce temps mon
appareil photo se gave de particules élémentaires. A l'Espace Institut
français, Maïssa Bey et les représentants de l'Institut (M. Alexi A...)
récompensent les lauréats de La nouvelle fantastique.
Plus tard j’assiste à une table-ronde assez animée sur
« La nouvelle littérature africaine, vers la rupture ? » Un débat
chaud disais-je, avec le dynamique et talentueux Armand Gauz, avec aussi Kangni
Alem, Parkes Nii Ayikwei et la traductrice Sika Fakambi. La modératrice ne fut
hélas pas à la hauteur.
Mercredi 4 : « Gare d’ Agha ». 8 heures.
Départ du train à destination d’Oran où l’on arrive à 12h52 (oui, parfaitement,
tel qu’annoncé).
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Ces textes ont été écrits le samedi matin 31 octobre, les
1°, 3 et 5 novembre 2015.
Cf ici (avec
photos, vidéo) :
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Vous pouvez également consulter mes textes de 2016…
… de 2017
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